La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
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La Glu

Albert Capellani / Fiction / France / 1913

Adapté du roman à succès de Jean Richepin, La Glu (car «qui s’y frotte s’y colle») fait le portrait d’une séductrice sans remords, qui trompe d’abord son mari, tourne la tête d’un jeune homme riche, quitte Paris pour la Bretagne où un marin pêcheur marié se prend de passion pour elle. Elle sera tuée par la mère de ce dernier.

  • Titre original : La Glu
  • Genre : Drame
  • Année de production : 1913
  • Année de sortie d'origine : 1913
  • Date de sortie en France : 7 novembre 1913
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 1900 m
Lieux de tournage :
  • (Extérieur) Le Croisic, France
  • (Extérieur) Paris, France

Copie sauvegardée en 2001 à partir d'un matériel de conservation établi en 1987, d'après un négatif nitrate issu des collections de la Cinémathèque française.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
2001Noir et blancFrançais1954 m18 i/s75 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2010-07-03Il Cinema Ritrovato - BologneRétrospective Albert Capellani - édition 2010 - Cinémathèque de Bologne

La Glu commence par une utilisation de la surimpression qui vaut presque pour théorieᅠ: Un homme amoureux la voit en songe (c’est la surimpression). Mais ce songe est, il ne faut pas l’oublier, une illusion – elle n’est sans doute pas comme il la voit (et pourtant, l’amoureux l’épouse). Beau thème pour un cinéaste.

Mais La Glu, au-delà de son sujet (une femme immorale que le récit va condamner) vaut surtout pour Mistinguett, la modernité de son physique et de son jeu. Elle surgit dans le plan, le regard effronté, presque un garçon manqué, (les garçonnes n’apparaîtront que durant la guerre). Ses mouvements ne semblent pas ceux de ses partenairesᅠ: c’est simple, vus d’aujourd’hui, ils ne semblent pas appartenir à la même époque.

Elle joue avec réalité. Son jeu ne s’embarrasse pas de la caméra ni de l’espace scénique. Elle apparaît dans une liberté de mouvement, dont on comprend qu’elle est exactement ce qui manque au reste des actrices et acteurs de la période. Comparés à elle, ses partenaires masculins ont tous l’air de grimacer en cherchant la connivence avec la salle.

Ses déplacements se jouent de l’espace avec aisance, que ce soit les intérieurs très bourgeois des appartements parisiens qu’elle fréquente ou la Bretagne, plus vétuste, plus minérale.

Cette désinvolture magnifique, Mistinguett la redouble d’une violence brutale, d’un réalisme franc – on est surpris par la virulence de la scène de dispute entre la Glu et le mari fou de douleur.

Elle permet aussi à Capellani de filmer un des thèmes dramatiques qu’il affectionne le plus alorsᅠ: la pulsion suicidaire que l’on retrouve dans Eternel Amour, Drame Passionnel et Mortelle Idylle. Cette fois, la tentative de suicide a lieu en bord de rivière, à l’aube, et Capellani la traite avec une assez grande assurance, même si elle n’a pas la puissance des torrents d’Eternel Amour. Le récit lui permet également de nous documenter sur les endroits que fréquentaient la noblesse et les demi-mondaines – lieux de loisirs, de danse, restaurants, tous filmés en extérieurs dans la première partie du film.

Tout concourt finalement à établir dans La Glu (mais c’était déjà à l’œuvre dans un film antérieur, la Bohème) une théorie de la désinvolture. Quand Capellani filme Mistinguett, il est totalement de son côté, et on en vient à oublier, dans cette joie à filmer la légèreté des sentiments, le cinéaste de Germinal ou Quatre-vingt treize, plus monumental.

On le retrouve en revanche tout entier dans sa passion pour le naturalisme dès que le récit se transporte au Croisic, en Bretagne, où Capellani laisse s’exprimer son penchant documentaire, atteignant des degrés de réalisme sans équivalent dans le cinéma de l’époque. Il faudra attendre l’Hirondelle et la Mésange d’André Antoine pour voir dans un récit des trouées narratives semblables à la scène où Capellani filme l’entrée des bateaux au port, avec tout le temps nécessaire et l’attention au geste que l’on pourrait attendre d’un récit moderne. Mieux, il ne fait jamais carte postaleᅠ; ce qui le passionne, c’est le geste.

Le marin Marie-Pierre joue encore comme au théâtre. Au contraire de Mistinguett, son jeu n’a pas pris en compte la visée naturaliste de la mise en scène. Pire encore, le personnage «ᅠpittoresqueᅠ» de Gillioury, littéralement grimé. L’épisode breton est déséquilibré par ces deux acteurs, et Capellani semble passer son temps à rattraper les scènes en misant sur la photogénie des roches, ou en s’abandonnant à filmer les lieux de rendez vous des villages pêcheurs (le ponton où toute la ville se retrouve), tout cela qu’il capte sous une lumière froide mais belle. Mistinguett ici lui sert comme élément perturbateur de l’ordre naturel de l’espace.

Le premier plan serré du film intervient tard, mais il est splendideᅠ:

Marie-Pierre craque dans les bras de la Glu, lorsqu’il la rejoint dans sa voiture. Filmé depuis l’intérieur de la voiture, il est forcément un plan rapproché, mais cette contrainte crée une tension érotique rare dans le cinéma de cette période.

Tout le film n’aura fait qu’affronter les pulsions les plus ancestrales avec un ordre plus civilisé. Il enregistre aussi la difficulté d’un ordre esthétique à soutenir une tornade moderne telle que Mistinguett.

Philippe Azoury

Autour du film

Autour du réalisateur

  • David Bordwell's website on cinema

    Capellani trionfante

    http://www.davidbordwell.net/blog/2011/07/14/capellani-trionfante/

  • Christine Leteux, Albert Capellani, cinéaste du romanesque, Editions La tour verte, Grandvilliers, 2013.

  • Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains - histoire d'une rencontre 1906-1914, Ecole Nationale des Chartes/ AFHRC, 2002.