La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages

Louis Delluc

L'importance incontestable de Louis Delluc en cinq films sauvegardés par la Cinémathèque française grâce à la volonté initiale d'Henri Langlois.

Chercher la pensée avant le geste, la sincérité avant l'expression, le mouvement accéléré à la place d'un enchaînement paralysé...
Ève Francis à propos de Louis Delluc [1]

L'importance de l'œuvre de Louis Delluc et son influence sont incontestables. Précurseur de la critique cinématographique, acteur du premier mouvement d'avant-garde, il a su mêler la réflexion théorique à la pratique de l'écriture et de la réalisation cinématographique, avant de disparaître prématurément en 1924. Sa collaboration avec son inspiratrice, Ève Francis, offre au cinéma français huit films remarquables, dont cinq ont été sauvegardés par la Cinémathèque française grâce à la volonté d'Henri Langlois.

« La grande presse, écrivait Langlois, pas la presse corporative, pas les revues d'avant-garde, la grande presse vit la naissance de cette critique de choc qui se faisait, au dessus des gens de cinéma et des producteurs saisis par l'épouvante d'une fin fatale du cinéma français, le trait d'union, article par article, entre ces films et le public préparant la naissance du cinéma français. Delluc ne fut pas le seul de ces pionniers et l'on serait étonné des noms qui ont signé certains articles. Mais il les résume tous, il fut vraiment le conducteur, le prophète que le cinéma attendait : chacun de ses articles était un bulletin de victoire marquant, film après film, les étapes de la découverte et de l'initiation aux règles du nouvel art » [2]. Quant aux films, son sentiment est tout aussi respectueux et enthousiaste : « Je vous défie de trouver hors de France, en 1919, un film aussi révolutionnaire que La Fête espagnole et qui aille dans cette voie. Pourquoi donc croyez-vous que le mot d'impressionnisme ait jailli à la fois des lèvres de la critique de 1919 et de celle de 1936 ? » [3]. Et, à propos de Fièvre : « À la forme extérieure de l'impressionnisme, Delluc substitue un impressionnisme tout intérieur, à la forme, le fond. C'est par là que cet homme qui fit, par la seule force du verbe, surgir la première avant-garde française, est le pionnier du réalisme, du retour aux sources, du classicisme ». La Cinémathèque française se devait de préserver et de restaurer les films conservés dans ses collections, tout autant que ses archives et nombreux écrits, et de les publier afin de participer à la reconnaissance de l'ensemble de son œuvre.

Chez Ève Francis, Louis Delluc admirait « que son talent exceptionnel mette tant de science et d'équilibre dans le labeur matériel d'un rôle. Robes, coiffures, bijoux, soulignés par la ligne de ses attitudes spontanées, font d'elle une interprète profonde, aiguë, créatrice » [4]. Pierre Lherminier souligne ainsi l'omniprésence et le rôle indispensable d'Ève Francis dans l'œuvre du cinéaste. « D'une année à l'autre, d'un film à l'autre, en dépit de l'usure du temps, des difficultés, des ruptures, elle est là, non seulement comme interprète de prédilection ou comme star nécessaire, mais bien plus encore comme inspiratrice, muse, source, et finalement raison d'être du film : sept des huit films de Delluc (la seule exception étant Le Tonnerre) sont faits avec elle, autour d'elle, pour elle. D'elle. À la limite, elle est, à elle seule, le film même, dont toute la lumière, au propre et au figuré, semble se concentrer sur elle. Une lumière que multiplient du reste, à travers la grisaille où les images de ces films nous paraissent aujourd'hui immergées, le raffinement appliqué, la beauté parfois juste un peu trop voyante, des robes de l'héroïne – où se révèle par surcroît ce « goût quasi excessif de la peinture » où Delluc voyait « la seule qualité, la dangereuse qualité du petit cinéaste » en qui il se reconnaissait. S'il est un cinéma d'amour, c'est bien celui-là, et le « Merci, Francis » que Delluc place en exergue à la première page de Drames de cinéma est un aveu – et un signe – dont il faut entendre toute l'éloquence et toute la force » [5].

« La vocation d'un être est un mystère » pourrait conclure Ève Francis. « Ce n'est pas comme romancier que le nom de Louis Delluc subsiste et pourtant, son style était ultra moderne, libre, vivant, dynamique, mais il demeure comme l'animateur, le visionnaire, l'apôtre d'un Art qui bégayait, celui de cet extraordinaire instrument vivant, devenu indispensable au monde des humains » [6].

Samantha Leroy


[1] Texte de l'hommage rendu à Delluc le 22 mars 1964 à la Cinémathèque française, Palais de Chaillot.

[2] Henri Langlois, « L'avant-garde française », Cahiers du cinéma n° 202, juin-juillet 1968, p. 10.

[3] Ibid., p. 13.

[4] Louis Delluc, in Écrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Éditions de l'étoile / Cahiers du cinéma, Paris, 1990, p. 44.

[5] Pierre Lherminier, Écrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Éditions de l'étoile / Cahiers du cinéma, Paris, 1990, p. 11.

[6] Ève Francis, texte de l'hommage rendu à Delluc le 22 mars 1964 à la Cinémathèque française, Palais de Chaillot.