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  • Soleil et ombre - Jacques Lasseyne et Musidora - 1922 - Collections La Cinémathèque française
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Soleil et ombre

Jacques Lasseyne, Musidora / Fiction / France / 1922

L'Espagne. Une cartomancienne prédit l'amour à Juana, servante d'auberge. Justement Jacana, un jeune torero, l'appelle. Elle accourt et ne voit pas la vieille femme retourner la carte suivante : la mort !

Mais pour l'instant, l'amant offre à son élue un beau châle blanc acheté chez l'antiquaire bossu. Arrive en ville une étrangère, aussi blonde que Juana est brune. Elle fait du charme à Jacana qui n'y est pas insensible. De dépit, Juana enlève son châle blanc et remet le noir.

Le lendemain à la plaza, c'est à la nouvelle venue que le torero rend hommage, ignorant celle qui jusque-là avait eu les faveurs de son coeur. Dans l'arène, il triomphe et part avec sa nouvelle conquête. Juana a suivi les amants jusqu'à la «tienta ». Un jeune taureau la charge et la renverse. Seul le bossu qui l'a accompagnée, fiévreusement amoureux de Juana, lui vient en aide tandis que l'autre la dédaigne. Convalescence.

La semaine suivante, le matador succombe à un coup de corne. Juana, folle de rage et de douleur, poignarde mortellement l'étrangère, sous les yeux du bossu qui conduit la meurtrière au couvent.

  • Titre original : Soleil et ombre
  • Autre titre : La Española
  • Genre : Drame
  • Année de production : 1922
  • Année de sortie d'origine : 1922
  • Date de sortie en France : 6 octobre 1922
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 1325 m
  • Visa d'exploitation : 117169
Lieux de tournage :
  • (Extérieur) Tolède, Castille, Espagne
  • (Extérieur) Ecija, Andalousie, Espagne

Film restauré en 1995 d'après une copie d'exploitation d'époque conservée dans les collections de la Cinémathèque française. Le générique et les intertitres ont été reconstitués par Christine Laurent.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
1995Noir et blanc880 m18 i/s42 min35

Soleil et Ombre, film produit, réalisé, interprété par Musidora et tourné en 1922 à Tolède en Castille et à Ecija en Anda­lousie, porte son projet d'inversion jusque dans son titre. Quelle inversion ? Celle de Musidora l'actrice dont le per­sonnage de femme vampire séduisante, cruelle, érotique et venimeuse se dépla­çait comme un scorpion dans les films de Feuillade et sur des images grises comme la cendre des cigares des méchants fi­nanciers de Judex. Dans Soleil et Ombre, Musidora retourne comme un gant noir et blanc son personnage troublant d'Irma Vep et s'enferme dans celui de Juana, la fiancée naïve, pure, humble et passionnée de Jarana, le torero d'avenir joué par le cordouan Antonio Canero, fameux to­rero à cheval dont Musidora était tombée amoureuse l'année précédente.

L'amour, l'Espagne, la corrida, la belle étrangère blonde, coquette et riche qu'elle interprète également dans un cu­rieux dédoublement[1], l'infidélité, la ja­lousie, les yeux derrière les éventails, la rivale « puntillée », poignardée comme un taureau, le soleil sur les lames des cou­teaux, le sang, la rédemption par la reli­gion, aucun poncif ne manquait pour que la nouvelle l'Espagnole d'Ernesta Stern n'accouche à l'écran d'un de ces films de pacotille où l'excès de couleur locale coule sous son béton de fanfreluches l'intensité silencieuse et nue de l'Espagne en géné­ral, de la tauromachie en particulier et, plus encore, la gravité cordouane. Or, non.

La sobriété elliptique de la réalisa­tion et la densité rigoureuse des images donnent à ce Soleil et Ombre la sévérité étrange et comme endeuillée des pein­tures du cordouan Julio Romero de Tor­res, ami de Canero, et qui peindra d'ailleurs Musidora, toile achetée par le Musée national de Buenos Aires. À quoi attri­buer cette absence de complaisance et ce refus du pittoresque qui fait honneur à celle à qui André Breton avait un jour lancé un bouquet de roses rouges ? Sans doute à la force de sa passion pour l'Es­pagne découverte en 1921 à l'occasion du tournage de Pour Don Carlos, à son sentiment amoureux pour Canero et à son coup de foudre pour la corrida qu'elle défendra, en France, y compris dans des ar­ticles de journaux. L'Espagne où elle vivra jusqu'en 1926, et à l'inverse de celle « décrite par nos littérateurs français », lui est apparue comme « étonnante de gra­vité, de sobriété, de grandeur ».

La per­sonnalité de Canero a du également jouer dans cette vision. À cette époque, le torero de Cordoue vient de recentrer, vers plus de classicisme et de sobriété, l'art de to­réer à cheval en s'inspirant de l'élégante efficacité de la tauromachie du « campo », dans les pâturages. On en aperçoit un re­marquable mais bref échantillon dans le film lorsque Jarana, à cheval, conduit un taureau avec sa « garrocha », sa longue pique en bois. Mais Musidora, qui en por­tait le pressentiment avec son pseudo­nyme trouvé dans un texte de l'hispano­phile Théophile Gautier, avait peut-être déjà eu vent de l'Espagne et des corridas grâce à Feuillade, « aficionado » s'il en fut et prolifique écrivain taurin[2].

On ajoute­ra, pour donner au pressentiment la part d'ombre qui lui revient dans toute créa­tion, que la mort cinématographique de Jarana/Canero annonce, de peu de jours, celle, pour de vrai, du torero Granero tué en mai 1922 à Madrid d'un coup de corne dans l'oeil par le taureau «Sans-Souci ». Quant à Canero, qui avait déjà reçu l'ex­trême onction pour une cornade en 1917, il se laissera finalement séduire par une comtesse russe.

Jacques Durand

(texte initialement publié dans La Persistance des images, La Cinémathèque française, 1996).


[1] Peut-être faut-iI chercher dans l'amour de Musidora pour Canero la raison de son dédoublement, de ce rôle à deux têtes, la même à la fois fiancée rejetée et femme fatale. Elle aurait été trop éprise de lui pour le partager avec une autre, comme à l'écran. En se don­nant les deux rôles, elle se donne forcément le beau rôle et l'encercle dans son désir.

[2] Louis Feuillade : Chroniques taurines, 1899-1907, édi­tion établie par Bernard Bastide, Ciné-Sud, 1988.

Louis Feuillade : Mémoires d'un toréador français, édi­tion établie par Bernard Bastide, Union des biblio­philes taurins de France, 1995.

Autour du film

  • Louis Feuillade : Chroniques taurines, 1899-1907, édition établie par Bernard Bastide, Ciné-Sud, 1988.

  • Louis Feuillade : Mémoires d'un toréador français, édition établie par Bernard Bastide, Union des bibliophiles taurins de France, 1995.

Autour de Musidora