La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • Fièvre - Louis Delluc - 1921 -Collections La Cinémathèque française
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Louis Delluc / Fiction / France / 1921

Dans un cabaret populaire du Vieux-Port de Marseille, le patron Topinelli et sa femme Sarah remplissent les verres des habitués. Une troupe de matelots de retour d’Orient arrive, s’installe et exhibe les reliques rapportées de voyage. Parmi eux se trouve Militis, l’amant qui avait autrefois abandonné Sarah, avant qu’elle n’épouse Topinelli. Sarah est troublée. En Orient, Militis a épousé une jeune femme qui désormais l’accompagne. Les filles de joie accourent, l’alcool coule à flot et la fièvre monte.

  • Titre original : Fièvre
  • Autre titre : La Boue
  • Genre : Drame
  • Année de production : 1921
  • Année de sortie d'origine : 1921
  • Date de sortie en France : 24 septembre 1921
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 1000 m
Lieux de tournage :
  • (Studio) Studios Gaumont ( Buttes- Chaumont), France
  • (Extérieur) Marseille, France

La Cinémathèque française a restauré Fièvre à partir d’un négatif nitrate, reçu en dépôt en 1943, et d’une copie d’exploitation d’époque acquise par la Cinémathèque en 1950.

En 1963, la Cinémathèque française a sauvegardé le négatif original en tirant des éléments de préservation.

En 2008, une nouvelle copie de Fièvre a été tirée à partir du contretype de 1963, auquel ont été réintroduits les cartons issus de la copie nitrate. Cette même copie nitrate a servi de référence pour l’élaboration des teintes.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
2008TeintéFrançais885 m18 i/s43 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2012-12-01Cinémathèque française Festival Toute la mémoire du monde
2011-10-27Festival Cinemed - Montpellier
1993-04-01Festival Ciné Mémoire 1993 (improvisation)

Tulip’s Bar est une nouvelle écrite par Louis Delluc, tout d’abord parue dans le magazine satirique Fantasio du 1er juillet 1919, puis sous le titre de La Tulipe dans le recueil de nouvelles L’Homme des bars, publié en décembre 1923 aux Editions de la Pensée française. La nouvelle devient le scénario de La Boue (premier titre attribué à Fièvre), publié dans Drames de cinéma dans cette écriture extrêmement concise qui caractérise les drames cinégraphiques écrits par Delluc. « Le lecteur verra suffisamment le déroulement des scènes et leur équilibre, explique-t-il. C’est son imagination, aidée de son intelligence, qui lui évoquera les images à la distance voulue dans la proportion voulue, selon le mouvement voulu. Et le réalisateur, de même, emploiera presque automatiquement les procédés de son métier comme l’écrivain met sa pensée sous forme de mots sans recourir à un dictionnaire. Et même l’apprenti, ignorant de tous trucs professionnels, les apprendra machinalement en obéissant à sa raison[1]».

Produit par Alhambra-Film, société de production fondée par Delluc, La Boue est tourné en huit jours seulement, en février 1921, dans les studios Gaumont des Buttes-Chaumont. Le décor du cabaret populaire marseillais est construit en quatre jours. Les quelques plans du port de Marseille, contrepoint à l’univers clos du cabaret, sont tournés en extérieur dans le Vieux-Port.

Pour incarner les nombreux et indispensables rôles secondaires qui viennent cimenter l’interprétation des vedettes comme Edmond Van Daële, Gaston Modot, Ève Francis et Elena Sagrary, Delluc fait appel à des acteurs amateurs, dont quelques amis. Ils donnent véritablement corps au lieu et à l’action grâce à une brillante méthode qui consiste à les plonger et à les maintenir dans le climat du film, et en leur attribuant une personnalité propre et marquée. Ainsi l’ancien clown Footitt interprète l’homme au chapeau gris, «gentleman des demoiselles ou paladin de l’aventure en eau trouble[2]», L.V. de Malte est un ivrogne définitivement rivé à sa table, Léon Moussinac le matelot César et sa femme Jeanne la galante Flora.

Delluc rapporte ainsi ses sentiments sur le plateau : «La vie du Bar-bar commence. Ève Francis silhouette sa robe photogénique sur la toile de Bécan où dorment les bateaux du Vieux-Port. Elle attend quoi? Que les bateaux aient des pattes, que la rose d’argent érigée sur le comptoir fleure l’héliotrope ou que Modot ressemble à Joubé? On verra bien. Ce Modot est épatant. Et voilà bien son seul défaut. Dès qu’il entre dans un rôle, tout y est, et l’on s’apprête à ne rien lui dire tant il est peu acteur, mais homme. Ses godillots de faux luxe, sa chemise à carreaux, sa coiffure savante, sa gueule précise et bien musclée, quelle allure! Et quelque chose en plus, à l’intérieur: le sens du cinéma.[3]» Dans une ambiance glacée en raison des températures hivernales, la ferveur des protagonistes augmente à mesure que se déroule l’intrigue. Car Delluc tourne les scènes en continuité, dans l’ordre de l’écriture du scénario (exceptée la scène du mariage de Militis, située dans le passé), respectant ainsi l’unité de temps et de lieu et exaltant la montée progressive de la tension et de la violence. «Professionnels ou amateurs tous sont entraînés dans un mouvement qui les anime et les humanise. Est-ce la brutalité de leurs personnages? Est-ce l’atmosphère amusante du drame? Est-ce la rapidité, est-ce l’intensité que nous apportons tous à la réalisation de ce drame de huit jours qui demandait normalement trois ou quatre semaines? Je ne le sais pas encore. Je ne le saurai jamais. La fièvre court. Le bal se démène. L’alcool enveloppe les dix ou quinze petites tragédies qui composent cet essai d’ensemble tragique. Après seulement, nous comprendrons que c’était folie d’entreprendre ce film. Il est raisonnablement impossible d’indiquer le détail de chaque minute à trente individus qui doivent rester au même plan, c'est-à-dire demeurer aussi importants les uns que les autres aux yeux du spectateur. Mais il est arrivé que trente jeunes gens ont compris et ont senti la qualité de collaboration qu’on leur demandait. Intelligents, prudents mais passionnés, désintéressés, artistes, spontanés, électrisés par leur propre sincérité, ils composent avec soin et avec simplicité une espèce d’enthousiasme symphonique dont leur Kappelmeister d’un jour garde une impression de joie inoubliable.[4]»

L’interprétation est sobre et splendide, le rythme haletant. Delluc dresse un tableau qui prend vie instantanément, avec une intensité telle que le réalisme qui en émane est saisissant. Chaque personnage se débat avec sa solitude, dans une ambiance close, trouble et dépravée, teintée des airs d’Hindoustan tout droit sortis du piano mécanique. À la nostalgie, l’ennui et le rêve, Delluc mêle l’envie, le fantasme, les mystères et la magie du voyage. La tension progresse et devient vite venimeuse avant que l’ivresse et la folie renversent la réalité de manière abrupte et sordidement banale.

La Boue est présenté en avril 1921 à la Commission Supérieure d’examen des Films Cinématographiques du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts et suscite de vives oppositions de la part des représentants du ministère de l’Intérieur. D’une manière générale, le fait que l’action se déroule dans un «bouge» dérange. Ils exigent non seulement la coupe de certaines scènes estimées trop subversives (des scènes de violence, le sein dévoilé de Vintiane) mais également le changement du titre, jugé trop provocant. C’est donc censuré de quelques scènes que le film est finalement accepté par la censure en mai 1921, sous le titre de Fièvre. Sa première représentation a lieu le 8 juin et sa sortie en salle le 24 septembre 1921.

«Ah! Certes, Louis Delluc est un grand criminel ironise Pierre Scize[5] dans un article publié dans Bonsoir. Il a supposé dans son cynisme que l’on pouvait observer autour de soi le monde, les hommes, les femmes, le cirque des passions, le jeu des désirs, le conflit des races et beaucoup d’autres choses innommables dont on ne peut s’occuper que si l’on est vraiment perdu de vices et de crimes.» Ève Francis déclare: «Fièvre est une fresque brutale, une tranche de vie grouillante, dramatique, osée, directe, dépouillée. Un comprimé de sensations âpres excessives et émouvantes. Le film eut un effet ahurissant sur la faune cinégraphique d’alors et il porta ses fruits».

Le film séduit le public et la critique est dithyrambique. Dans Le Crapouillot, Léon Moussinac affirme que Delluc est «dans la vérité cinégraphique. L’anecdote n’intervient que pour servir en quelque sorte d’armature au tableau, l’animer et en porter ainsi au maximum l’intensité expressive. L’image se suffit absolument à elle-même, le texte n’intervient que dans la mesure strictement indispensable. Demain, Delluc l’éliminera complètement de ses réalisations visuelles. Tout l’intérêt se concentre, de la sorte, dans la répartition des valeurs. Peu d’œuvres cinégraphiques sont aussi caractéristiques et plus riches d’indications.»

Paul de la Borie écrit dans La Liberté: «Derrière chaque geste, chaque regard, chaque nuance de pensée ou d’action des héros du film, il y a l’intelligence de l’auteur qui poursuit son but et vise à l’effet médité. Et c’est pourquoi, sans nul doute, jamais nous n’avons vu un drame cinégraphique s’élever à cette intensité d’expression. Mis en scène avec une telle recherche d’art – d’art cérébral plus encore que d’art plastique – interprété par des artistes comme Ève Francis, Elena Sagrary, Van Daële, Modot, qui sont dotés de la flamme intérieure, ce film – cinématographiquement parlant – est admirable. Il est, en tout cas, inoubliable.»

Samantha Leroy


[1] Louis Delluc, prologue de Drames de cinéma, Ed. du Monde Nouveau, Paris, 1923, p. V.

[2] Louis Delluc, Huit jours de Fièvre, Cinéa n° 20, 23 septembre 1921

[3] Louis Delluc, idem.

[4] Louis Delluc, idem.

[5] Sa femme Noémie interprète le rôle de la Rafigue.

Autour du réalisateur

Autour du film

  • Louis Delluc, prologue de Drames de cinéma, Ed. du Monde Nouveau, Paris,1923.

  • Louis Delluc, "Huit jours de Fièvre", in Cinéa, n°20, 23 septembre 1921.

  • Catalogue Ciné Mémoire, 1993, p. 145-146.

Autour d'Eve Francis

  • Louis Delluc, Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l'étoile/ Cahiers du cinéma, Paris, 1990.

  • Pierre Lherminier, Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l'étoile/ Cahiers du cinéma, Paris, 1990.