La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages

Ivan Mosjoukine

Retour sur l'irrésistible et génial Rudolph Valentino du studio Albatros.

Romain Gary était-il le fils d'Ivan Mosjoukine ? Selon sa biographe Dominique Bona, l'écrivain voulut le croire, évoqua des rencontres à Nice, une figuration dans Nitchevo, en 1936, et garda jusqu'à sa mort sur son bureau une photographie du grand Oriental à l'œil bleu transparent qui lui ressemblait en effet de façon troublante. Filiation mystérieuse, peut-être seulement rêvée, qui convient bien au romanesque de Mosjoukine, que l'on surnomma le « Dorian Gray slave » et qui signa des mémoires réputées des plus imaginatives (Quand j'étais Michel Strogoff). Pour certains historiens, Ivan Mosjoukine est en fait la première star masculine de l'histoire du cinéma. Né à Penza, dans la Volga Centrale, il abandonne ses études de droit pour devenir comédien et se forme à l'école de Stanislavski. Ladislas Starevitch lui donne quelques-uns de ses premiers rôles, suivi des réalisateurs Vassili Gontcharov et Evgueni Bauer. Ce dernier lui permet de révéler son puissant tempérament et d'atteindre à une grande sobriété de jeu dans des mélodrames dramatiques, sataniques, décadents, aux éclairages et aux décors raffinés. Après une quarantaine de films, il entre à la firme Ermolieff et s'affirme, sous la direction de Jacob Protazanov (La Dame de Pique, Le Père Serge), comme le plus grand et le plus populaire acteur de cinéma russe. A tout seigneur, tout honneur, c'est lui qui, après son départ de Russie, fera les frais de la fameuse expérience de Lev Koulechov destinée à montrer l'importance du montage.

Son exil à Montreuil n'interrompt pas sa carrière et Mosjoukine devient vite l'acteur français le plus connu dans le monde : pour les films Albatros, il tourne Kean, Le Lion des Mogols, Feu Mathias Pascal. Jean Tedesco écrit en 1924 : « il faut avoir vu mourir Sarah Bernhardt. On dira demain à ceux qui veulent connaître les plus hauts sommets du cinéma : il faut avoir vu mourir Mosjoukine ». Le Brasier ardent, qu'il réalise en 1923, est un délire onirique et psychanalytique qui fera longtemps regretter qu'il n'ait pas davantage mis en scène. En 1925, les intellectuels français lui rendent un hommage vibrant au théâtre du Vieux Colombier.

Mais le parlant ne sied pas à la beauté ténébreuse de celui qui ne s'exprima jamais qu'en russe, et après une tentative navrante à Hollywood (il y accepta de faire réduire son profil aquilin et son visage perdit de son caractère), il tourna quelques films en France et à Berlin (Le Diable blanc) et apparut pour la dernière fois dans Nitchevo de Jacques de Baroncelli (1936).

Celui qui fut sans doute l'âme d'Albatros, finit sa vie oublié dans une clinique de Neuilly, et l'on parla de suicide.