La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • La Femme de nulle part - Louis Delluc - 1921 - Collections La Cinémathèque française
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La Femme de nulle part

Louis Delluc / Fiction / France / 1921

Non loin de Gênes, une jeune femme hésitante s’apprête à quitter mari et enfant pour suivre son amant. Une femme âgée, lasse et meurtrie, arrive dans cette propriété qu’elle a jadis occupé et reçoit l’hospitalité de la famille. Ayant vécu le même tiraillement quelques années auparavant, elle comprend vite les raisons de la fébrilité de son hôtesse. Ce séjour est un pèlerinage douloureux car les souvenirs de bonheur qu’il renvoie sont déchirants pour cette femme qui a finalement tout perdu. Le passé ressurgit.

  • Titre original : La Femme de nulle part
  • Genre : Drame
  • Année de production : 1921
  • Année de sortie d'origine : 1922
  • Date de sortie en France : 8 septembre 1922
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 1700 m
Lieux de tournage :
  • (Studio) Studios Gaumont, Buttes-Chaumont, France
  • (Extérieur) Nîmes, France
  • (Extérieur) Arles, France
  • (Extérieur) Saint-Raphaël, France
  • (Intérieur) environs de Gênes, Italie

Copie sauvegardée en 1979 d'après un élément de conservation issu des collections de la Cinémathèque française.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
1979Noir et blancFrançais1211 m16 i/s66 min35

La Femme de nulle part est produit par Felix Juven, patron de presse et éditeur, entre autres, de la revue Fantasio à laquelle collabore parfois Louis Delluc. Le scénario semble tiré d’une série de huit chroniques publiées dans Film en juillet 1917 et octobre 1918, sous le titre de La Femme de nulle part. Ces chroniques sont signées Ève Francis, mais il est plus probable que ce soit Delluc qui les ait lui-même écrites.

Delluc considère La Femme de nulle part comme son film sans doute le plus abouti. Léon Moussinac affirme que le cinéaste «semble être allé jusqu’au bout de son idée originale, d’un souffle égal, sans défaillance, avec une autorité sûre[1]». Dans ce drame psychologique, une fois de plus le personnage féminin est en proie aux démons du passé qui ressurgissent et qui la hantent. «Cette confrontation du présent et du passé, de la réalité et du souvenir par l’image, est un des arguments les plus séduisants de l’art photogénique, écrit Delluc. Plusieurs cinéastes s’y sont employés. C’est œuvre délicate et parfois décevante. Il y faut la collaboration d’interprètes, non seulement intelligents, mais encore intuitifs et de soins techniques tout spéciaux. Avec ces éléments strictement choisis on peut atteindre à la précision psychologique de nuances que la poésie et la musique gardaient jusqu’ici jalousement. Je ne sais rien de plus tentant que de transcrire en moving picture la hantise du souvenir ou les retours profonds du passé […] Une femme âgée, usée, finie, fait un ultime pèlerinage à la maison qu’elle quitta pour son malheur il y a trente ans, elle y retrouve une jeune femme dans la même situation et surtout l’image de ses heures de joie, et elle ne regrette pas d’avoir payé si durement le bonheur enfui. Ces thèmes me tourmentent et me poursuivent. Ils peuvent plaire. Ces évocations doivent trouver chez le spectateur une compréhension profonde. Chacun a une chose en lui ou une histoire qu’il croit morte et que les fantômes de l’écran ont tôt fait de ranimer [2]». 

Le rôle principal est initialement prévu pour la comédienne italienne de théâtre Eleonora Duse mais sa santé ne lui permettant finalement pas de jouer, c’est Ève Francis qui la remplace. Selon Gilles Delluc : « Cette substitution  explique sans doute pourquoi le jeu de cette dernière est un «jeu de diva, exalté et mécanique». «La Femme de nulle part est un beau poème d’amour, l’âme douloureuse d’une femme qui se souvient» déclare Ève Francis. La presse de l’époque constate que «tout en elle, dans ce rôle, fait songer au jeu poignant et volontaire de la Duse [3]».

Le tournage s’effectue rapidement, en six semaines. Il débute en décembre 1921. Les scènes intérieures sont tournées aux Studios Gaumont des Buttes-Chaumont, dans les décors conçus par R.-J. Garnier. Les prises de vue dans la propriété proviennent du tournage en Provence, entre Nîmes et Arles, puis à Saint-Raphaël. Le tournage se termine en janvier 1922, dans une villa des environs de Gênes. Jean Epstein, qui côtoie Louis Delluc depuis quelques temps, est présent au tournage et apparaît sur certaines photographies. Y a-t-il participé en qualité d’assistant ou de simple figurant? Le générique en tout cas ne le mentionne pas.

La nature rigoureuse et les éléments climatiques perçus dans certaines scènes filmées en extérieurs - le chemin de terre qu’emprunte Ève Francis, le vent qui souffle parfois violemment dans le parc - participent au sentiment d’âpreté ressenti par le personnage. De la même manière, la demeure isolée, immensément vide et austère en dépit des œuvres d’art accrochées aux murs, et les arbres du parc aux branches implorantes, sont le théâtre de la poignante nostalgie qui la meurtrie. L’évocation du passé à travers de nombreuses visions est liée à ces lieux, cette femme de nulle part est un fantôme qui les traverse. Dans l’incapacité de réparer les erreurs du passé, le regard éploré, elle erre seule vers l’inconnu, sur une route morne et dévastée. Le climat se substitue aux discours. L’usage extrêmement limité des intertitres est contrebalancé par les attitudes: sombre et inquiète pour le mari, songeuse et tourmentée pour les deux femmes. Pour Pierre Lherminier, La Femme de nulle part présente «une trame dramatique d’une sobriété extrême, un personnage central hiératique aux limites de l’impalpable, des comparses réduits aux fonctions d’utilité, un décor à la fois rigoureux et raffiné qui en paraît chargé de symboles, une mise en scène parfaitement contrôlée qui s’interdit toute dérive décorative, tout débordement lyrique, et pour finir toute émotion. Il n’en fallait pas davantage pour consacrer le film au premier rang des œuvres-phares d’une avant-garde déterminée à rompre avec les facilités et les complaisances du cinéma populaire (singulièrement, celui des ciné-romans), et son auteur comme modèle du cinéma d’art, point de rencontre idéal de la culture et de la création[4]».

Après une présentation en mai 1922 à quelques amis de la profession qui lui font le meilleur accueil, la présentation corporative a lieu en juillet 1922 et le film sort publiquement le 8 septembre 1922. Si le succès public n’est pas au rendez-vous, en revanche la critique est abondante et en majorité extrêmement favorable. Edmond Epardaud écrit dans L’Eclair : «Admirable thème, où apparaît toute la beauté du souvenir… Louis Delluc a le sens de l’intériorité et du symbole psychologique. Mais alors qu’il avait cherché jusque-là ses motifs dans la vie brutale et le réalisme violent (La Fête espagnole, Fièvre), il adapte aujourd’hui à l’écran des faits de la plus délicate sensibilité et de la plus profonde spiritualité. Avec La Femme de nulle part, Delluc a voulu réaliser avec le moins de mots et d’individualisations possible le drame intérieur cinégraphique. Notre émotion, directe et sincère, est la meilleure preuve qu’il y a pleinement réussi. Il y fut aidé par le génie lyrique d’ Ève Francis, l’artiste de cinéma qui pense et fait penser, l’artiste de cinéma qui ne cherche pas le secret photogénique dans une vaine coquetterie de façade, mais dans les plus secrètes inspirations de la beauté morale et humaine… La Femme de nulle part, pour tout ce que le film veut exprimer et exprime, pour ces tendances et son caractère, pour sa haute valeur d’art, d’intelligence et de sensibilité, me paraît devoir constituer une date importante dans les jeunes annales de la cinématographie…» Dans Comœdia, Jean-Louis Croze s’émeut : «J’ai rarement connu au cinéma une émotion aussi profonde. Louis Delluc a fait là œuvre de grand dramaturge cinégraphique. Il a traité ce thème avec une habileté, une maîtrise extraordinaire. Nous suivons le drame se déroulant dans l’âme de cette femme avec une netteté qui augmente encore sa puissance émotive».

Samantha Leroy


[1] Léon Moussinac, L’Âge ingrat du cinéma, Ed. du Sagittaire, Paris, 1946, p. 50.

[2] Louis Delluc, prologue de Drames de cinéma, Ed. du Monde Nouveau, Paris, 1923, p. VIII-XIV.

[3] Gilles Delluc, Louis Delluc, Ed. Périgueux: Pilote 24,  Coll. Les Indépendants du 1er siècle, 2002.

[4] Pierre Lherminier, Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l’étoile / Cahiers du cinéma, Paris, 1990, p. 83.

Autour du film

  • Léon Moussinac, L'Âge ingrat du cinéma, Ed. du Sagittaire, Paris, 1946.

  • Louis Delluc, prologue de Drames de cinéma, Ed. du Monde Nouveau, Paris, 1923.

  • Pierre Lherminier,  Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l'étoile/ Cahiers du cinéma, Paris, 1990.

  • Catalogue Ciné Mémoire 1993, p149-151.

  • Gilles Delluc, Louis Delluc, Ed. Périgueux: Pilote 24, Coll. Les Indépendants du 1er siècle, 2002.

Autour du réalisateur

  • Fonds Delluc conservé à la Cinémathèque française

    http://www.cineressources.net/repertoires/archives/fonds.php?id=delluc

  • Dossier Louis Delluc sur le site La Belle Equipe

    http://www.la-belle-equipe.fr/2016/02/05/entretien-avec-louis-delluc-pour-fumee-noire-cine-pour-tous-1920/

  • Henri Langlois, "L'avant-garde française", in Les Cahiers du cinéma, n°202, juin-juillet 1968.

  • Eve Francis, texte d'hommage rendu à Louis Delluc le 22 mars 1964 à la Cinémathèque française, Palais de Chaillot.

  • Louis Delluc, Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l'étoile/ Cahiers du cinéma, Paris, 1990.

  • Pierre Lherminier,  Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l'étoile/ Cahiers du cinéma, Paris, 1990.

  • Emmanuelle Toulet, «ᅠLouis Delluc, père posthume de la sauvegarde cinématographiqueᅠ?ᅠ», in Catalogue Ciné Mémoire, 1993, p 147-148.