La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • Harmonies de Paris - lucie Derain - 1927 - Collections La Cinémathèque française
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Harmonies de Paris

Corpus Albatros
Lucie Derain / Non-fiction / France / 1927

Un avion survole Paris et décharge ses touristes. Notre Dame. Le métro aérien, au gré des carrefours, des circulations piétonnes et automobiles, par la route ou par le fleuve, l'ancien Paris et le moderne, la pierre et l'acier, se croisent, se mêlent et vivent ensemble. Voilà l'Arc de Triomphe et l'Étoile, la Madeleine et l'Opéra Garnier. Aux portes de la ville, les marchés regorgent. Les musiciens et les chanteurs sont dans les rues. Voilà les rues borgnes et les boulevards d'Haussmann, les Invalides, la tour Eiffel et la place de la Concorde. À Montparnasse, la foule est aux terrasses. Les magasins de luxe et les galeries d'art ouvrent leurs portes. Les ouvriers travaillent dans les usines ou sur les quais de la Seine à décharger le bois, le sable et le charbon. Les petits métiers : bouquiniste, rémouleur, rempailleuse. Paris la nuit : Mistinguett au Moulin-Rouge, les lumières des fêtes foraines, Pigalle. Le jour, c'est Paris au fil de l'eau, c'est l'harmonie de ses jardins publics, c'est un visage de femme.

  • Titre original : Harmonies de Paris
  • Autre titre : Harmonie de Paris
  • Genre : Documentaire
  • Année de production : 1927
  • Année de sortie d'origine : 1929
  • Date de sortie en France : 17 mai 1929
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 600 m
Lieux de tournage :
  • (Extérieur) Ile-de-France, Paris, Paris, France

Tirage de 1995 issu d'un contretype safety à partir du négatif original conservé dans les collections de la Cinémathèque française.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
1995Noir et blanc578 m20 i/s25 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2012-04-06festival du Film Francophone d'Athènes
2010-11-29Cinémathèque française
2009-10-04Il Giornate del Cinema Muto - PordenoneCycle Albatros

Suivez le guide !

« Le visage des villes est fait de visages innombrables, dont l'effrayante complexité attire et repousse. » C'est aux États-Unis qu'a été inventé l'urbanisme moderne, mais ce sont les Allemands qui l'acclimatèrent en Europe, et c'est en Allemagne, au carrefour du modernisme et de l'expressionnisme, qu'est née cette idée que la ville est une personnalité, qu'elle a une physionomie, un caractère, ou si l'on y tient, une âme. Découvrir pareille idée depuis une capitale qui n'avait connu que le simpliste urbanisme haussmannien (trouer le tissu urbain, par de grands axes qui l'aèrent et en évacuent la puanteur populaire, avec ses miasmes et ses périls révolutionnaires), ne pouvait mener qu'à la caricature, ou alors au vague, à l'atmosphérique.

Aussi bien, s'il s'est trouvé en cinéma « des hommes inspirés par la grandeur des villes pour peindre sur la toile les reflets mouvants de la vie des capitales », ce fut avant tout en terrain allemand, avec Berlin, Die Symphonie Einer Grosstadt (Symphonie d'une grande ville), qui « a voulu, a essayé d'exprimer tous les aspects d'une grande ville ». De la symphonie aux simples harmonies, il est tentant de poursuivre le parallèle esquissé par Lucie Derain elle-même[1] , et de voir dans son petit film une sorte d'esquisse du grand film que Ruttmann ferait l'année suivante, ou plus justement, sa réduction (comme le piano ou le quatuor des caf' conc' lisaient des partitions réduites des versions orchestrales classiques).

« Tout y est : travailleurs se rendant au labeur, usines, puis bureaux, puis commerces de luxe. Les oisifs faisant du cheval au Bois... » Cela, c'est le programme idéal - mais que le film Harmonies de Paris ne tient qu'au prix de beaucoup de légèreté, voire de futilité. Le Travail, annoncé par un carton en capitales, n'y déborde pas la dimension d'une petite capsule inoffensive, d'à peine plus d'une minute, sans jamais montrer d'autre travailleur que celui qui œuvre seul : l'artisan, le petit commerçant, le marinier. Le travail, ce sont les lignes de téléphone, les gazomètres, les billes de bois chargées sur un chariot, le sable ou le gravier au Point-du-Jour, et plus emblématiquement encore, la surimpression de roues et d'engrenages sur le net graphisme de voies ferrées : tout le bric-à-brac moderne et avant-gardiste, repris à peu de frais parce qu'il est photogénique, que la photographie l'a d'ailleurs familiarisé à l'oeil, et qu'illustrer ainsi le travail ne demande pas que l'on quitte le journalisme de mode.

Juste avant la brève séquence consacrée au travail, on trouve l'Élégance (autre carton, en capitales aussi) : les oisifs faisant, justement, du cheval au Bois, les vitrines de fourrures et de vêtements chics. Juste après le travail, une autre séquence obligée, celle du «nocturne», le Moulin-Rouge, le Pigall's (si !), menant sans erreur aux Halles la nuit, au petit jour sur les Tuileries, enchaînant sur un carton qui dit seulement : «La douceur de vivre.» Le Paris qui nous est montré, sans doute n'oublie aucune des cartes postales obligées, même pas celle de «faubourgs» ici scrupuleusement cantonnés aux grandes rues commerçantes, près de la République et des Grands Boulevards. Aucun monument ne manque à l'appel, et les rues elles-mêmes, filmées comme des perspectives, dans l'axe, deviennent de plats monuments (on n'échappe pas aux Champs-Elysées, abusivement quoique banalement baptisés « perspective incomparable ») - à moins que, filmées depuis Notre-Dame, elles ne deviennent le lacis de vieilles rues si pittoresques qui fait que « partout à Paris surgit le passé».

Si les images sont convenues, jusque dans leur pseudo-modernisme (outre les plans de machines, voir le cliché, déjà rebattu en 1928, de la plongée verticale sur le carrefour, avec ses pavés et ses rails de tramway luisants), si leur enchaînement est livré à une rhétorique à deux sous, à qui tout cela s'adresse-t-il ? En ouvrant d'ailleurs son film sur le train qui amène les travailleurs de banlieue à Berlin, Ruttmann donnera une réponse volontariste ; Lucie Derain, aimablement, nous donne aussi sa réponse, mais ce n'est pas la même. Les premiers plans du film sont pour montrer des avions de lignes régulières (réservés à l'époque aux touristes de luxe) ; on en voit descendre des bourgeois dans leurs uniformes d'alors, si laids et ridicules qu'on prend pitié et leur pardonne presque d'être venus salir une ville, en y transportant leur regard stéréotypé, leur capacité à ne rien regarder, à détruire, à repartir sans avoir su où ils étaients. Quarante ans plus tard, Tati leur dira la vérité sur ce tourisme, dans Playtime. Lucie Derain, elle, semble surtout regretter de ne pas être arrivée avec leur avion : elle fait de son mieux pour faire comme si.

Jacques Aumont

(texte initialement publié dans La Persistance des images, catalogue des sauvegardes et restaurations de la Cinémathèque française, 1995).

[1] Toutes les citations entre guillemets sont tirées de son article «La ville au cinéma», Cinémagazine, 22 février 1929.

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