La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages

Otar Iosseliani

Les quatre premiers courts métrages du réalisateur géorgien, longtemps invisibles et censurés.
  • Réalisation : Otar Iosseliani
    Fiction / URSS / 1958
  • Réalisation : Otar Iosseliani
    Fiction / URSS / 1961
  • Réalisation : Otar Iosseliani
    Fiction / URSS / 1959
  • Réalisation : Otar Iosseliani
    Non-fiction / URSS / 1964

Chacun est né pour boire le verre de sa vie.

Dès ses débuts, l'œuvre d'Otar Iosseliani est marquée par une volonté de refléter fièrement la singularité de la culture et de la société géorgienne, alors république d'Union soviétique, dans un contexte de production cinématographique plutôt avantageux (disponibilité de temps, de moyens financiers, techniques et humains non négligeables) mais malheureusement entravé par des contraintes d'ordre politique et l'application systématique et arbitraire de la censure. Pour autant, les quatre premiers courts métrages du cinéaste rivalisent de qualités laissant entrevoir le caractère de l'œuvre à venir.

Après un diplôme de piano, composition et direction d'orchestre en Georgie, puis un début d'études à la faculté de mathématiques et de mécanique à l'Université de Moscou (abandonnées par crainte de « contribuer personnellement à la destruction du monde (1) » en fabriquant des armes), Otar Iosseliani entre en 1955 au VGIK, célèbre institut du cinéma de Moscou, qu'il quitte en 1961. Au cours de ses études, il a pour professeur-tuteur Alexandre Dovjenko, dont il retient le grand principe « il faut faire chaque pas dans sa vie comme si c'était le dernier (2) », puis le cinéaste géorgien Mikhail Chiaureli. Il pratique le montage - activité qu'il affectionne tout particulièrement - et la réalisation, notamment lors de stages dans des studios de cinéma. Il monte d'abord des annonces publicitaires, puis se fait la main sur des films qu'il estime mal tournés et sur lesquels il se délecte à essayer de rattraper les erreurs de raccords. Il est ensuite chargé de confectionner de courts films d'actualité sur divers sujets. Il réalise son premier film, Akvareli (Aquarelle) en 1958. Cette fiction est « un film sur l'infortune, dans lequel on constate que malgré tout, il est toujours possible de trouver un mode de consolation. Il n'y a pas d'espérance matérielle mais plutôt une espérance d'un autre ordre. (3) » L'année suivante, dans la lignée des petits sujets d'actualité réalisés plus tôt, il tourne son deuxième court métrage, Sapovnela (Le Chant de la fleur introuvable), documentaire aux allures de plaidoyer écologique. En 1962, Aprili (Avril), son film de fin d'études, lui vaut les foudres de la censure. Il est interdit de distribution en URSS « dans le cadre de la lutte contre l'abstraction et le formalisme (4) », et cela jusqu'au début des années 70, mais reste longtemps inédit, même à l'étranger. Otar Iosseliani s'est toujours dédouané d'une quelconque prise de position politique. Selon lui, le simple fait d'ignorer le régime dans ses films serait plutôt à l'origine de l'irritation des autorités (5). Aprili est un conte moderne qui décrit l'envahissement d'un jeune couple par les choses matérielles et inutiles. Suite à cette interdiction et aux reproches qui lui sont faits, il quitte pour un temps le milieu du cinéma. Il envisage d'approfondir ses connaissances sur les conditions de travail afin de réaliser un film sur la classe ouvrière et s'engage dans diverses activités professionnelles. Il travaille comme marin-pêcheur sur un bateau et comme ouvrier dans une usine de métallurgie, dont il filme l'activité dans Toudji (La Fonte) en 1964. Son premier long métrage, Guiorgobistve (La Chute des feuilles), s'appuie quant à lui sur l'activité vinicole et présente une large part documentaire.

Les premiers longs métrages d'Otar Iosseliani sont interdits par la censure, mais malgré tout présentés à l'étranger. Guiorgobistve, non distribué en URSS, est révélé par le prix de la critique qu'il remporte au festival de Cannes en 1968. Réalisé en 1971, Ikho chachvi Mgalobeli (Il était une fois un merle chanteur) est également limité dans sa distribution (uniquement dans le circuit des ciné-clubs) mais il est présenté en 1974 à La Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, au cours duquel il remporte un franc succès. Enfin, Pastoral (Pastorale), tourné en 1976, est purement et simplement interdit en URSS (jusqu'en 1979). D'une certaine manière, la censure appliquée à outrance incite les artistes à émigrer en Occident. C'est ce que choisit de faire Otar Iosseliani au début des années 80, où il entame une carrière en France.

En 1977, Iosseliani déclarait : « j'ai découvert les règles de mon art : il doit être comme la vie. Mon métier m'aide à garder ma conscience. Je crois que créer la réalité signifie que l'on garde dans sa mémoire quelque chose qui a beaucoup d'importance pour soi et que l'on juge nécessaire de le communiquer au spectateur par un dialogue avec lui. Si on veut lui donner un peu de joie, il faut créer sincèrement, en étant fidèle à la vérité, en suivant les règles de son art telles que je les ai définies. C'est ce que j'admire particulièrement chez Vigo : tout est vrai, tout est l'expression de son existence dans le monde. [...] Je ne lutte pour rien car je sais très bien que je ne peux pas trouver le chemin. Je ne suis ni Dieu ni démiurge. Je veux fixer mon bonheur ou ma tendresse sur l'écran pour les transmettre aux autres. C'est la seule attitude qui ne soit pas agressive. [...] Je ne veux pas apprendre aux gens comment il faut vivre. Chacun est né pour boire le verre de sa vie. (6) »

Samantha Leroy


(1) Entretien réalisé avec Michel Ciment le 25 juillet 1977, Positif n° 206, mai 1978, p. 43.

(2) Otar Iosseliani, Positif n° 110, Novembre 1969, p.47.

(3) « Conversa com Otar Iosseliani », entretien avec Luciano Barcaroli, Carlo Hintermann et Daniele Villa, les 21 et 22 février 1998, in Otar Iosseliani : o mundo visto da Geórgia / A Geórgia vista do mundo, Ed. Cinemateca portuguesa – Museu do cinema, 2006, p. 38 (citation traduite du portugais vers le français par Samantha Leroy).

(4) Anthony Fiant, (Et) le cinéma d'Otar Iosseliani (fut), Ed. L'Age d'Homme, Lausanne, 2002, p. 217.

(5) Entretien avec Luciano Barcaroli, Carlo Hintermann et Daniele Villa, op. cit., p.47 (citation traduite du portugais vers le français par Samantha Leroy).

(6) Entretien réalisé avec Michel Ciment le 25 juillet 1977, Positif n° 206, mai 1978, p. 41.