La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • The Cold Deck  - William S. Hart - 1917 - Collections La Cinémathèque française
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The Cold Deck

William S. Hart / Fiction / Etats-Unis / 1917

La Californie vers 1860, dans un camp de chercheurs d'or. « Level » Leigh, joueur de cartes professionnel, voit arriver par la diligence sa jeune soeur Alice, épuisée par son long voyage depuis la Virginie. Immédiatement, il la prend sous son aile protectrice. À peine remise, il l'emmène se reposer dans les montagnes, pas loin du camp de «Hellandgone ». Au bar de la ville, Leigh rencontre Coralie l'entraîneuse, « la malédiction des hommes qui l'ont aimée», et se heurte à un vaurien « Black Jack » Hurley. Peu de temps après, ce dernier importune Rose Larkins, la, fille du convoyeur. « Level » Leigh le corrige très sévèrement. Mais Coralie, amoureuse de Leigh, est jalouse de l'attention qu'il porte à la gentille Rose. Le soir même au saloon, elle conspire contre lui et aide un joueur à le ruiner. L'état de santé d'Alice se dégrade. Ruiné, acculé, son grand frère attaque la diligence. Échange de coups de feu. Dans l'action, «Black Jack» abat Silent Larkins d'une balle dans le dos, mais Leigh est convaincu d'être le meurtrier. Alice est morte. Au désespoir, il se livre et va être pendu. «Black Jack» vient le narguer en prison et, éclatant d'un rire diabolique, se vante d'être le vrai coupable. Leigh écarte les barreaux de sa cellule, saute sur un cheval, échappe à ses poursuivants, retrouve l'or volé et s'empare du tueur. De retour au camp, il le livre au chef de la milice qui, en échange, lui demande de rester parmi eux. Rose se tiendra à ses côtés. Coralie, elle, est sommée de quitter la ville.

  • Titre original : The Cold deck
  • Titre parallèle : Grand frère
  • Genre : Western
  • Année de production : 1917
  • Année de sortie d'origine : 1917
  • Date de sortie en France : —
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 1109 m
Lieux de tournage :
  • (Extérieur) Felton, Californie, Etats-Unis

En février 1951, la Cinémathèque a reçu en dépôt plus de trois mille négatifs et contretypes nitrate de la part de la société Pathé, dont un négatif nitrate en six boîtes sous le titre « Grand frère ». En 1992, un marron incomplet a tout d'abord été tiré. En 1994, lors du catalogage des collections, trois boîtes du négatif ont été retrouvées, ce qui a permis de compléter cet élément et de tirer un autre marron, ainsi qu'un contretype et une copie travail. Le film a été restauré en 1995, après établissement d'un double intertitrage anglais/français, aboutissant au tirage de trois copies 35 mm.

La restauration fut accomplie avec le concours de la Cineteca del Friuli (Lorenzo Codelli), l'Academy of Motion Picture Arts and Science, Beverly Hills (Michael Friend), L'American Museum of the Moving Image, New York (Richard Koszarski).

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
1995Noir et blancFrançais-Anglais1109 m18 i/s53 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
1995-10-15Ii Giornate del Cinema Muto - Pordenone

Le grand jeu

The Cold Deck (Grand Frère en France et sous ce titre dans les écrits de Louis Delluc) est l'acmé du « système Ince » et un joyau du western, même si, en 1917, le genre n'a pas encore vraiment pris consistance. Hart, réalisateur et acteur principal (comme Eastwood), joue ici de sa caméra comme d'une arme de précision, soignant tous les détails et prouvant ainsi qu'il est conscient des possibilités de son art.

Quand il réalise The Cold Deck, William S. Hart n'en est plus à son coup d'essai et, désormais, peaufine ses motifs. II renoue encore une fois avec l'atmosphère des romans d'aventure du début du siècle et leurs héros qui n'ont qu'une parole (ou préfèrent rester silencieux, mettant parfois en péril leur existence avec une obstination qui étonne) tandis que de frêles jeunes femmes traversent innocemment ce monde de perdition dominé par une justice immanente, longtemps muette mais éloquente en dernière instance. C'est que la partie, comme toujours, se joue entre le Ciel et l'Enfer. Ainsi, quand sort personnage, «Level»Leigh, met enfin la main sur le meurtrier, il ne manque pas de lui signaler sa destination : «Tu as rendez-vous avec le Diable, Black Jack, et je ne voudrais pas le décevoir !». De même, le nom du camp minier est « Hellandgone », ce qui se lit « hell and gone ». En arrivant littéralement en enfer, « Level » Leigh touche le fond. Il invoque alors la divinité qui lui indique un chemin très détourné pour gagner son Salut. Ce chemin « tordu » est figuré par une branche d'arbre coudée qui traverse le champ au premier plan alors qu'au-dessous, à l'horizon, passe la diligence [1].

Les signes d'élévation sont d'une limpidité biblique : la chute d'abord, puis le dénuement (Leigh se débarrassant de sa fortune en achetant le calme dans le saloon où se repose sa soeur ; seul le silence est d'or...), enfin l'ascension/régénération achevée avec la phrase du chef des Vigilants : « Your place is up there on the hill» c'est-à-dire là où sa sœur est enterrée. Et si la foi soulève les montagnes, ici elle donne au héros la force de plier les barres de fer. Il en place une autour du cou de Black Jack qui vient d'insulter une jeune femme. Comme un écho, il attaque la diligence au lieu-dit Horseshoe Bend, « la courbe du fer à cheval », et c'est là que le destin des personnages prend un tour fatal. Hart construit donc en partie son film autour de figures géométriques et de signes.The Cold Deck s'achève sur l'image d'une croix et commence pratiquement par celle de deux croix figurant sur un tapis indien au mur du saloon. Les grands réalisateurs se remarquent à l'attention portée au moindre détail et à leur inscription dans un ensemble.

Avec un même soin infini, Hart cisèle son personnage. On le nomme « Level », raccourci de l'expression «On the level», ce qui signifie «le Régulier». Son appartenance au Sud est signifiée par son double prénom : Jefferson Breckinridge[2]. Il est la brebis galeuse (« the black sheep ») d'une vieille famille de Virginie, alliant la courtoisie de son Sud natal à la hardiesse de l'Ouest»[3]. «Level» Leigh offre autant de visages que de situations : l'aristocrate du passé, à présent joueur de profession et l'homme de l'Ouest prompt à dégainer, capable d'attaquer une diligence, de sauter sur son cheval et de galoper à bride abattue, rôle que les situations d'urgence l'amènent à adopter naturellement. Chacune des facettes du personnage est signalée par une physionomie et des gestes : l'aristocrate courtois devant les femmes sait sourire, le joueur figé sur son siège garde un masque, l'homme d'action fait travailler tout son corps et adopte des postures familières qui réapparaissent de film en film et dont les photographies gardent le souvenir. Ses tenues vestimentaires aussi sont soignées et variées. Si c'est l'heure du poker, il arbore le chapeau haut de forme, la chemise à jabot, la lavallière et le gilet à pois. Qu'il attaque la diligence, il revêt alors l'habit du Californien (chapeau plat, veste mexicaine). Le réalisateur n'oublie pas non plus de mettre une grosse bague à la main gauche de son personnage, souvenir probable d'un état antérieur. Enfin, Hart joue sur les mots et leur double sens pour ne pas figer son héros dans le carcan d'une psychologie sommaire ; certes, Leigh est un black sheep mais la noirceur désigne plutôt une action précise (Leigh alias le Black Rider qui attaque les diligences) ou le caractère d'un villain (Black Jack). De même, il est un joueur professionnel et sa froideur en la circonstance est un impétatif catégorique mais « the cold deck » ne le désigne pas et renvoie à l'art de tricher, un art dont il est la victime[4]. À propos d'un autre film de Hart de 1916, The Return of Draw Egan, Jacques Lourcelles, dans son Dictionnaire, a écrit : « Dès cette époque primitive du western, et au moins dans des films adultes comme celui-ci, le manichéisme traditionnel du genre est beaucoup plus un manichéisme de valeurs que de personnages. La frontière entre le Bien et le Mal est nette, celle entre les bons et les méchants l'est beaucoup moins ».

Hart était connu en France comme « Rio Jim, l'homme aux yeux clairs ». C'est l'usage des gros plans qui a forgé ce slogan. En mai 1917, dans Motion Picture Magazine, Hart écrivait : «Lorsqu'un acteur ressent les émotions du personnage qu'il interprète, le gros plan est d'un appoint inestimable. S'il s'agit d'une scène dramatique, au cours de laquelle le personnage se trouve soumis à une tension mentale très forte et que la mobilité d'expression du visage de l'acteur est capable de transmettre cette émotion aux spectateurs, j'affirme que, en dépit de toutes les règles qui prétendent le contraire, la scène exige que soit introduit un plan de coupe rapide qui soit un gros plan du visage de l'acteur.» The Cold Deck offre effectivement plusieurs exemples de cet usage du gros plan, notamment «Level»

Leigh au chevet de sa soeur levant vers la caméra un visage au bord des larmes. Surtout,Hart ne limite pas la technique du gros plan aux visages ; il étend cette trouvaille encore jeune aux mains chaque fois que l'intrigue le demande (la bagarre, la partie de cartes) si bien qu'à voir tout ce qui circule, s'échange et passe sous la table, tout ce que des mains peuvent faire, on pense parfois au Pickpocket de Bresson...

Telle était l'aura particulière de Hart, et telle elle demeure : il propose un personnage tout d'un bloc et changeant, un visage reconnaissable entre tous, pivot autour duquel les postures et les émotions tournoient en s'échangeant les unes les autres. Nous sommes bien devant un monde livré essentiellement aux émotions et l'humanité de l'écran est plus légère que la nôtre. Béla Balazs notait un lyrisme du gros plan, et la tristesse du visage de Garbo. On peut en dire autant de Hart (ou de Keaton). Ils sont des beautés souffrantes.

Jean-Louis Leutrat

(Texte initialement publié dans La Persistance des images, Cinémathèque française, 1996.)

[1]Le personnage de Tumbleweeds / le Fils de la prairie (1925), le dernier film de Hart, apparaît à cheval sous un arbre dans un plan-vignette dont Ford saura retenir la leçon (par exemple, au début de Rio Grande, 1950).

[2]Soit les noms du troisième président, Jefferson, et d'un vice-président des États-Unis, Breckinridge, tous deux sudistes. Les films de la Triangle s'étaient donnés pour mission de réhabiliter les Sudistes aux yeux du public américain.

[3]Le romancier Owen Wister dans The Virginian créa au début du siècle un héros qui eut une longue suite, virginien et cowboy, mêlant les qualités aristocratiques de l'un à l'énergie de l'autre. À noter qu'Hatfield (John Carradine) dans Stagecoach/ la Chevauchée fantastique (1939) de John Ford est aussi un aristocrate déchu devenu joueur, que le voyage de la frêle jeune fille en provenance de Virginie est un classique (The Cold Deck, The Silent Man, The Wind, Stagecoach), que l'expulsion par la diligence de la femme de " mauvaise vie" dans The Cold Deck annonce celle de Dallas au début de Stagecoach, situation reprise par Anthony Mann dans Winchester '73, etc...

[4]L'expression-titre désigne dans le vocabulaire de l'Ouest un jeu de cartes truqué ou le fait d'introduire un jeu truqué dans une partie.

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