La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • Ménilmontant - Dimitri Kirsanoff - 1924 - Collections La Cinémathèque française
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Dimitri Kirsanoff / Fiction / France / 1924

Un couple est sauvagement assassiné. Après le drame, les deux sœurs orphelines demeurent plus unies que jamais. Devenues de jeunes femmes, elles travaillent désormais à Paris et vivent dans le quartier populaire de Ménilmontant. La cadette est séduite par un jeune homme. Elle tombe enceinte et découvre que son amant entretient également une relation avec sa sœur aînée. Elle s’enfuit. Désespérée et démunie, elle erre dans les rues avec son enfant. En observant le va-et-vient de prostituées, elle reconnaît sa sœur parmi elles.

  • Titre original : Ménilmontant
  • Genres : Drame social - Expérimental
  • Année de production : 1924
  • Année de sortie d'origine : 1924
  • Date de sortie en France : —
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 880 m
Lieux de tournage :
  • (Extérieur) Paris, France

Film sauvegardé en 1960 d'après une copie d'exploitation d'origine conservée dans les collections de la Cinémathèque française. En 2012, une numérisation HD a permis la réalisation d'un bluray, les travaux ont été menés au laboratoire Omnimago en Allemagne.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
1960Noir et blancFrançais882 m18 i/s42 min35
2012Noir et blancFrançais882 m18 i/s42 minHD

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
Cinémathèque FrançaiseFestival Ciné Mémoire 1992

Ménilmontant est un mélodrame à caractère social, comme le sont la plupart des films de Dimitri Kirsanoff. Tourné en 1924 en décors naturels dans Paris et aux Studios Éclair d'Epinay, il met en scène le désarroi d'une orpheline devenue fille-mére (interprétée par Nadia Sibirskaïa) et la trahison dont elle est victime. Il aborde également le thème de la prostitution et la condition de modestes citadines soumises à un homme malhonnête.

Kirsanoff revendique la simplicité de son sujetᅠ: la vie est une succession de joies et d'épreuves dont le rythme quotidien est noyé dans l'intemporalité du destin. Pour cela, il dispose « ᅠd'un mouvement, de la forme et du rythme[1]ᅠ ». Sa mise en scène se veut réaliste et sans virtuosité apparente. « ᅠChoisir l'image propre, caractéristique, éviter tout ce qui serait superflu – telle était la préoccupation de l'auteurᅠ » résume Nadia Sibirskaïa[2]. Tout comme L'Ironie du destin et bien d'autres films de l'époque, Ménilmontant a la particularité de dévoiler son intrigue sans l'aide d'intertitres. A l'exception de quelques inscriptions diégètiques (« ᅠA notre pèreᅠ », « ᅠà notre mèreᅠ » sur les tombes des parents et « ᅠmaternitéᅠ »), aucun mot n'apparaît dans le film. « Dans le cinéma absolu, le sous-titre ne doit pas exister. C'est un palliatifᅠ » explique Kirsanoff. « ᅠLe sous-titre se maintient et est entré dans les habitudes du public parce que les gens manquent de sensibilité, parce qu'ils ne sont pas encore conquis par l'esthétique nouvelle. On n'explique pas, par des mots, une symphonie. Un film doit être compréhensible par lui-même.[3]ᅠ »

Puisque, toujours selon Kirsanoff, les images ne sont pas des mots mais plutôt des notes ou des accords, la musicalité des scènes doit apparaître sans détours au travers du montage. « ᅠDans le cinéma, il doit y avoir une cadence comparable à la cadence musicale. C'est ce rythme, donné par le montage, qui doit créer la poésie de la vision[4]ᅠ ». Kirsanoff fascine par sa maîtrise du montage rapide et saccadé et son art de l'ellipse. La séquence d'ouverture du film en est l'exemple le plus frappant. La scène du meurtre est saisissante d'effroi par la confusion, l'immédiateté et la rapidité de l'événement. Kirsanoff met en scène la montée subite et inattendue de cette violence par un montage rapide de trente-cinq plans courts extrêmement découpés et détaillés, dont certains suggèrent l'abominable cruauté, sans véritablement la montrer. La découverte ensuite par l'enfant de ses parents assassinés est tout aussi radicale et illustre nettement la progression de sa frayeurᅠ: une succession foudroyante de cinq plans courts de son visage, à l'échelle chaque fois plus serrée, du buste jusqu'à ses yeux écarquillés[5]. Une fois de plus, le caractère suggestif des plans participe au sentiment d'angoisse. Après les obsèques des parents, Kirsanoff figure alors l'immuabilité des choses à travers des plans fixes du cimetièreᅠ: les tombes aux chaînes figées, les herbes hautes, la pourriture des couronnes, le délabrement des croix et des messages d'adieu. Après le deuil, le départ définitif des fillettes, vers un ailleurs où la vie continue, clôt cette période de leur vie. La route sur laquelle elles s'engagent et avancent, lentes et hésitantes, trace le chemin qu'il leur reste à parcourir, seules.

Par le jeu des acteurs, le montage et l'ellipse, Kirsanoff met donc en scène la montée des sentiments, mais également leur ambiguïté et la confusion qu'ils provoquent. Nadia Sibirskaïa excelle dans ce registre. La montée du désir entre les deux amants est un mélange de fougue et de candeur qui apparaît d'abord comme un jeu. Lorsqu'elle erre sur les bords de la Seine, la jeune femme a-t-elle réellement l'intention de mettre fin à ses jours ? Le fleuve semble la happer, et le tourbillon de la ville en fondu sur son visage impassible paraît accentuer cet effet. En maintenant un sentiment d'incertitude chez ses personnages et en distillant les informations de manière éparse, Kirsanoff instaure finement le doute dans l'esprit du spectateur. P. Adams Sitney note d'ailleurs que « ᅠla modernité du film est fonction du choc entre le caractère rapide et elliptique de sa narration et sa compréhension retardée par le spectateurᅠ[6] ». Il aborde comme exemple le point de vue unique sur la sœur cadette qui occulte les histoires parallèles et ne permet pas au spectateur d'estimer la durée et la nature de la relation entre la sœur aînée et le jeune homme.

Le film offre enfin un regard documentaire captivant sur Paris et sur son activité effrénée. La caméra mobile installée à la fenêtre d'un tramway saisit les quais de Seine, les trottoirs bondés, l'agitation de la foule anonyme vacant à de multiples occupations, le trafic, mais aussi des lieuxᅠemblématiques comme le jardin du Luxembourg ou la place de La Concorde. En opposition, Ménilmontant apparaît d'abord dans la quiétude apparente d'une fin d'après-midi mais se révèle ensuite être le théâtre d'histoires sordides et d'infortunes orchestrées par la criminalité. Ménilmontant est le berceau-refuge des deux sœurs, l'environnement qui détermine leur devenir. Ses ruelles désertes jonchées d'ordures et traversées par les chats, où l'on inscrit ses espoirs à la craie sur les murs, où l'on se cache en guettant l'amant, où l'on s'épie et d'où surgissent les rixes meurtrières, sont autant de venelles qui se révèlent être à la fois les piéges et les témoins silencieux du sort de chacun. Mais au-delà de l'incidence de ces lieux sur le destin d'êtres - finalement - de passage, Kirsanoff a visiblement souhaité rendre compte de la manière la plus naturelle et universelle du mouvement du temps et de la permanence des choses.

Le film sort dans la semaine du 22 au 28 janvier 1926 à Paris, au Théâtre du Vieux-Colombier. La salle est comble quasiment chaque soir, le succès est phénoménal[7]. Pour autant, le film rencontre quelques difficultés dans sa distribution. Nadia Sibirskaïa prétend qu'il est « ᅠcritiquéᅠ » et « ᅠqu'on le trouva faible, banal[8] ».

Samantha Leroy

[1] Dimitri Kirsanoff répond aux questions de Marcel Lapierre, "Opinions de cinéastes", Cinéa pour tous n°127, 15 février 1929

[2] Nadia Sibirskaïa, Op. Cit.

[3] Dimitri Kirsanoff répond aux questions de Marcel Lapierre, Op. Cit.

[4] Dimitri Kirsanoff répond aux questions de Marcel Lapierre, Op. Cit.

[5] Plus tard, lorsque la jeune fille découvre sa sœur et son amant, Kirsanoff utilise d'ailleurs la même construction de plans successifs, la surprise se transformant en une insoutenable angoisse.

[6] P. Adams Sitney, "Ménilmontant de Dimitri Kirsanoff, figures et syntaxes de l'avant-garde", in Jeune, dure et pureᅠ! Une histoire du cinéma d'avant-garde et expérimental en France, Ed. Cinémathèque française / Mazzotta, 2001.

[7] André G. Brunelin, Op. Cit.

[8] Nadia Sibirskaïa, "Kirsanoff et le cinéma", Carillon – Journal de la Côte (Bruxelles), 27 février 1929, Op. Cit.

Autour du film

  • André G. Brunelin, "Au temps du vieux Colombier", in Cinéma 61, n°52, janvier 1961.

  • Nadia Sibirskaïa, "Kirsanoff et le cinéma" in Carillon - Journal de la Côte (Bruxelles), 27 février 1929.

  • P.Adams Sitney, "Ménilmontant de Dimitri Kirsanoff, figures et syntaxes de l'avant-garde", in

    Jeune, dure et pure, Une histoire du cinéma d’avant-garde et expérimental en France, sous la direction de Nicole Brenez et Christian Lebrat, Ed. Cinémathèque Française /Mazzota, 2001.

  • "The Well-Furnished Interior of the Masses : Kirsanoff's "Menilmontant" and the Streets of Paris", Richard Prouty Cinema Journal, Vol. 36, No. 1 (Autumn, 1996), University of Texas Press.

    http://www.jstor.org/stable/1225592

  • Article sur les effets de surimpression du film par le blog The Cynic's Notebook

    http://thecynicsnotebook.blogspot.fr/2012/10/visual-collision-in-menilmontant.html

Autour du réalisateur

  • Article biographique sur Dimitri Kirsanoff par Santiago Rubín de Celis

    http://www.experimentalconversations.com/articles/532/the-paradoxes-of-dimitri-kirsanoff-menilmontant-w/

  • Rémy Pithon, « Léona Béatrice Martin & François Martin, Ladislas Starewitch 1882-1965 / Christophe Trebuil, l’Œuvre singulière de Dimitri Kirsanof », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 44 | 2004, mis en ligne le 15 janvier 2008.

    http://1895.revues.org/2042

  • Jacques Demeure, "Eloge de Dimitri Kirsanoff" in Positif No. 22, March 1957

  • Dimitri Kirsanoff répond aux questions de Marcel Lapierre, "Opinions de cinéastes", Cinéa pour tous n°127, 15 février 1929.

  • Richard Abel , French Cinema: the First Wave 1915-1929, Princeton, Princeton University Press, 1987.

  • Georges Sadoul, Histoire d'un Art. Le cinéma des origines à nous jours, Paris, Flammarion, 1949.

  • Marcel Lapierre, Les cent visages au cinéma, Paris, Grasset, 1948.