Argument tiré du dossier de presse de l'époque:
Ciné-drame en 6 parties. Hélène, jeune orpheline, est recueillie par sa tante Madame Doss, une femme autoritaire et orgueilleuse qui la méprise. Seul son oncle Michel la console et devient son confident. Un jour, la tante Doss apprend qu’Hélène est la seule héritière d’une fortune considérableᅠ; elle change alors immédiatement de comportement et pousse sa nièce à épouser son fils Jean. Celui-ci s’intéresse aux jeux d’argent et fréquente un club tenu par le chinois Li. Après la noce, Hélène apprend la tromperie de sa tante mais demeure impuissante. Les époux ne s’aiment pasᅠ; Jean dépense sans compter pendant qu’Hélène s’éprend de Girard, un ami de son mari, redevable d’une importante dette auprès de Li.
- Titre original : La Dame masquée
- Autre titre : La Femme masquée
- Autre titre : Les Deux masques
- Titre parallèle : Die Dame mit der Maske
- Titre parallèle : The Masked Lady
- Genre : Drame
- Année de production : 1924
- Année de sortie d'origine : 1924
- Date de sortie en France : 21 novembre 1924
- Format d'origine : 35
- Métrage d'origine : 2150 m
- Visa d'exploitation : 90327
- Réalisateur : Vyacheslav Tourjansky
- Scénariste : Vyacheslav Tourjansky
- Société de production : Films Albatros
- Distributeur d'origine : Films Armor
- Directeurs de la photographie : Nicolas Toporkoff, Joseph-Louis Mundwiller, Albert Duverger
- Décorateurs : Alexandre Lochakoff, Edouard Gosch
- Costumier : Lucie Schwob
- Interprètes : Nathalie Kovanko (Hélène Tesserre), Nicolas Koline (l'oncle Michel), Nicolas Rimsky (le Chinois Li), Jeanne Brindeau (Madame Doss), René Maupré (Jean), Sylvio de Pedrelli (Girard), Boris de Fast (Robin), Madame Alama
- (Studio) Montreuil, France
Le film a été restauré dans les années 1980 à partir du négatif nitrate acquis par la Cinémathèque française en 1958. En 2009, les teintes ont pu être réintroduites grâce aux indications présentes dans le négatif original. Les travaux ont été menés au laboratoire l'Immagine Ritrovata de Bologne.
Informations techniques sur les copies
Année du tirage | Procédé image | Version | Métrage | Cadence | Minutage | Format |
---|---|---|---|---|---|---|
2009 | Procédé Desmet | Français | 2126 m | 18 i/s | 103 min | 35 |
Projections notables (avec accompagnement musical)
Date de projection | Lieu | Accompagnement musical | Commentaire |
---|---|---|---|
2011-10-20 | Cinémathèque de Grenoble | Cycle Albatros | |
2011-09-20 | Jeu de Paume - Paris | Ciné-concert à l'occasion de l'exposition Claude Cahun | |
2010-05-20 | Institut Jean Vigo - Perpignan | A l'occasion du festival Zoom Arrière organisé par la Cinémathèque de Toulouse | |
2010-03-11 | Cinémathèque de Toulouse | Zoom arrière | |
2009-10-07 | Il Giornate del Cinema Muto-Pordenone |
Le reflet pris au piège, la proie s'évade.
Claude Cahun [1]
Couleurs.
Rouge, l'instinct sexuel. Jaune, la faim. Bleu, la peur. Et leurs dérivésᅠ: Orangé, la sociabilité. Vert, la ruse. Indigo, la conscience du moi, de l'humain. Violet, la conscience du soi, du surhumain.
Autrement ditᅠ: Violet, l'orgueil. Indigo, l'amour-propre. Bleu, les lâchetés. Vert, la manie du mensonge. Avarice et cupidité, jaune. Orangé, la vanité. Rouge, la luxure et la manie sexuelle.
Et leurs correspondances, l'autre face du prismeᅠ: Rouge, le courage. Orangé, l'émulation. Jaune, l'ordre et l'énergie. Vert, l'art. Bleu, la bonté, toutes les indulgences. Indigo, l'héroïsme. Violet, la dignité – et la spiritualité. Mais j'en ai assez de nuancer du blanc au noir le détail infini de ces vertus extensibles. Ne découvrirons-nous jamais les sentiments ultra-violetsᅠ? Qui ne se vouerait à l'infra-rouge même pour éprouver entre tant de notes défendues la moins accessible de gamme inouïe, inhumaine...
Claude Cahun [2]
La Dame masquée, drame délirant, masochiste et oriental, offre la particularité d'inviter l'artiste Claude Cahun au générique technique. En effet, les costumes sont signés par la photographeᅠ : signature visible à l'écran, initiales (étranges KN) brodées en or sur une robe de velours magnifique portée par Nathalie Kovanko. Dans ses jeux plus ou moins ésotériques, Claude Cahun a souvent recours aux initiales. Si nous n'avons pu trouver aucune source ou témoignage de la rencontre de Claude Cahun avec la troupe Albatros, trois premières pistes d'enquête se dessinent :
1/Assidue des salles de cinéma, Claude Cahun s'enflamme pour les nouvelles formes de l'expression dramatique, donc pour les films Albatros, grands succès de l'époque.
2/Claude Cahun fait la connaissance de quelques artistes de l'Ecole de Paris à Montparnasse, où elle vitᅠ: Lipchitz, Zadkine et tout particulièrement Chana Orloff. Cette dernière assure vraisemblablement la connexion avec les russes de Montreuil. Notamment avec Ivan Mosjoukine, au Théâtre ésotérique (Berthe d'Yd et Paul Castan), espace d'expérimentation et filiation du Théâtre d'art contestataire initié par Aurélien Lugné-Poe. Claude Cahun s'essaie au théâtre en compagnie de Mosjoukine mais ne peut assurer son rôle, empêchée par des problèmes de santé. Ils peuvent également se croiser à l'Union des Amis des arts ésotériques, qui se propose de donner des soirées de musique et de poésie, des pièces oubliées et inédites, dans le cadre d'un théâtre privé, dans une petite chapelle, au 12 rue Guynemer dans le 5e arrondissement parisien.
3/Claude Cahun se passionne également pour les Ballets russes, conduits par Serge de Diaghilev, dont elle collectionne les livrets programmes. Elle témoigne un grand intérêt pour les réalisations signées par Jacques Copeau, Gaston Baty, Charles Dullin, Louis Jouvet et particulièrement Ludmilla et Georges Pittoëff, comédiens et metteurs en scène d'origine russe, qui s'imposent alors dans plusieurs théâtres parisiens (Le Vieux Colombier, Les Mathurins...). Les célèbres Ballets russesᅠdemeurent un véritable lieu de rencontre, de collision pour les avant-gardes et donnent naissance à des collaborations extraordinairesᅠ: Darius Milhaud et Cocteau, Prokofiev et Massine, de Chirico et Balanchine, Juan Gris et Montéclair, Francis Poulenc et Marie Laurencin, sans oublier Picasso, Satie... Cette rencontre permet de se pencher sur le Paris russe de cette époque, lieu d’échange et de création absolument unique, où le cinéma est véritablement au rendez-vous des arts.
Quant au film, il révèle une histoire très cruelle, incarnée par Nathalie Kovanko, épouse de Viatcheslav Tourjansky. Celle-ci est une habituée des productions Albatros et a également joué dans Les Contes des Mille et une nuits (film perdu), Nuit de Carnaval, Le Quinzième prélude de Chopin, Calvaire d'Amour, Le Chant de l'amour triomphant, Michel Strogoff. En 1931, Viatcheslav Tourjansky rencontre l'actrice française Simone Simon de qui il s'éprend et qu'il engage dans un premier film, Le Chanteur inconnu, suivi bientôt d'un second, Les Yeux noirs, en 1935. Nathalie Kovanko rentre alors en Russie, puis en Ukraine.
Il faut noter la présence dans le fonds Société des Films Albatros conservé à la Cinémathèque française d'un dossier exceptionnel sur le film : dossier de presse d'époque, contrats d'acteurs (notamment celui de Nicolas Rimsky, où l'on voit que l'acteur est habillé à l'année par la firme), devis du film – artistes (base d'embauche sur deux mois), personnel technique, appointements artistes et dépenses antérieures diverses, figuration et petits rôles, pellicule, meubles, accessoires, costumes, déplacements, théâtre, frais généraux.
Pour en venir au personnage exotique du film, il est vrai que le maquillage de Rimsky en chinois est tout à fait remarquableᅠ: les paupières sont tirées et maquillées et l'expression de l'acteur est inoubliable de cruauté et de perversion, soutenue par un montage compulsif, maladif. A ce propos, une anecdote au sujet du réalisateur Tourjanskyᅠ: sous l'égide de l'association «ᅠMai 36, mouvement populaire d'art et de cultureᅠ», des cours de cinéma étaient orchestrés par Germaine Dulac (secrétaire du groupe cinéma), avec la complicité d’Henri Langlois[2]. Soit 19 cours consacrés au «ᅠcinéma, art et scienceᅠ»[3]. Le 20 janvier 1939, un cours sur le maquillage était dispensé par Viatcheslav Tourjansky. Les notes préparatoires sont conservées à la Cinémathèque française. Lisons un extrait de l'argument de Germaine Dulac publié dans Le Populaire, en octobre 1938ᅠ: «ᅠLe cinéma est un art mais c'est aussi une science qui s'apprend. Il nous a semblé que le public comprendrait mieux s'il en connaissait sa technique. C'est pourquoi nous avons pensé qu'il serait intéressant d'établir un contact direct entre les spectateurs et les artisans du cinéma. (…) Avec un double objectif, attirer le public au cinéma et créer de bons spectateurs.ᅠ»
Citons pour finir une critique de Cinémagazine du 27 juin 1924 [5] , qui loue particulièrement le travail de Toporkoff à la photographie et de Lochakoff aux décorsᅠ: «ᅠSi on crée un jour quelque cinémathèque, ce film Albatros mérite d'y avoir sa place. Chaque film sorti de ce phalanstère étonnant qu'est le studio de Montreuil, porte une marque personnelle quant à la décoration. La Dame masquée qui vient de nous être présentée, se signale par un art profond sous une facilité apparente. A quel sûr talent M. Lochakoff a construit et brossé des décors d'une stylisation parfaiteᅠ! On ne pouvait faire une plus riche évocation de l'action et des caractères, des personnages avec plus de sobriété. Les immenses salons au dessin linéaire où les blancs et les noirs se heurtent sans demi-teintes, la froide demeure de Mme Doss, le désert de l'hôtel d'Ellen épouse malheureuse, la garçonnière basse et banale du séducteur, la rotonde du tenancier Li, sont autant d'attraction pour l'oeil amusé. Le scénario qui fait des grandes concessions au public ne peut manquer de lui plaire, car on a recherché, dans une histoire dramatique ordinaire, le détail original. D'autre part, la mise en scène de Tourjansky s'est appliquée à faire évoluer très plastiquement dans les décors dont j'ai parlé plus haut une pléiade d'excellents comédiensᅠ: Natalia Kovanko, si belle et si harmonieuse, Koline si humain, et Rimsky, homme protée dont la composition du rôle du chinois est étonnante d'adresse et d'intelligence. Citons enfin Sylvio de Pedrelli, René Maupré et Mme Brindeau, de la Comédie française qui donnèrent fort brillamment la réplique à leurs camarades.ᅠ»
Emilie Cauquy
[1]cité dans Claude Cahun, L'exotisme intérieur, par François Leperlier, Fayard, 2006.
[2] Aveux non avenus (réécriture du sonnet «ᅠVoyellesᅠ» de Rimbaud), Les éditions du Carrefour, créées et dirigées par Pierre Lévy, 1930.
[3] Mais également Diamant Berger, Alekan, Chaki, Cellierᅠ: le rendez-vous était chaque vendredi, de novembre 1938 à mars 1939, de 21h à 23h, au 116 bis, Avenue des Champs Elysées, au 5e étage. Il fallait payer 3 francs l'entrée aux conférences, Les Amis du Populaire et les membres de Mai 36 étaient reçus sur présentation de leur carte.
[4] Le programme des cours de vulgarisation cinématographique se découpait ainsiᅠ, quelques exemples : le scénario (Brunius), La mise en scène (Raymond Bernard et Jean Benoît Levy), la prise de vues (Alekan), le son (Havadier), l'interprétation (Eve Francis), la musique (Jaubert, Wiener, Levine), le dessin animé (Grimaud, Alexieff, Starewitch).
[5] Jean Listel, Cinémagazine, 27 juin 1924.
Autour d'Albatros
François Albera, Albatros: des Russes à Paris 1919-1929, Mazzota-La Cinémathèque française, 1995.
L'Aventure des films Albatros/ Le cinéma russe en exil
http://www.cinematheque.fr/expositions-virtuelles/albatros/index.htm
Autour du film
Catalogue Pordenone 2009
Albatros
http://www.cinetecadelfriuli.org/gcm/ed_precedenti/screenings_recorden.php?ID=6375
Brochure promotionnelle d'époque
Autour de Nicolas Rimsky
Présentation du fonds Albatros conservé à la Cinémathèque
http://www.cineressources.net/repertoires/archives/fonds.php?id=albatros
Autour de Claude Cahun
Cahun, Claude, Aveux non avenus, 1930 (réédition Mille et nuits, 2011).
Cahun, Claude, «ᅠL'acteurᅠ», Paris-Journal, 23 juin 1923.
Anonyme, «ᅠUne répétition au Plateauᅠ», Comoedia, 25 février 1929.
Autour des ballets russes
Les ballets russes à l'Opéra, 1909-1929, catalogue d'exposition, BnF/Louis Vuitton, 1992.
Entretien avec le comédien de théâtre Pierre Bertin, qui fut témoin dans sa jeunesse du choc esthétique provoqué par la venue des Ballets Russes à Paris, à partir de 1909.
Los Ballets rusos (Diaghilev, 1909-1929, Cuando el arte baila con la musica), catalogue d'exposition La Caixa, 2011.
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