La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • The Matinee Idol - 1928 - Franck Capra - Collections La Cinémathèque française
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Bessie à Broadway

Frank Capra / Fiction / Etats-Unis / 1928

Don Wilson est une vedette de Broadway. Mais fatigué de son rôle de chanteur « noir » à la Al Jolson, il se met au vert avec quelques amis.

À la suite d'un quiproquo dans un petit bled, Don qui a dit s'appeler Harry Mann, est engagé au pied levé par Bessie Bolivar, la fille du directeur d'un théâtre ambulant. Le voilà inclus dans un spectacle jouant avec conviction un épisode de la guerre de Sécession. Le public du coin est captivé, seuls les New-Yorkais rient à gorge déployée de tant d'amateurisme. L'un d'eux, patron d'une revue, a l'idée de faire venir la troupe à Broadway, pressentant un grand succès... comique. Affaire conclue.

De retour à New York, Don continue de masquer sa vraie identité tout en essayant de séduire Bessie. Le soir de la première, Harry est introuvable et son « double », grimé en Noir, se propose pour le remplacer.

Avant la fin du premier acte, la salle n'en peut plus de rire. Furieuse, Bessie quitte la scène et sort sous une pluie battante. Don veut la retenir, mais la pluie le démaquille. La jeune femme comprend qu'elle a été le jouet d'un homme et d'une ville. La troupe a maintenant repris contact avec la province plus indulgente. Don vient faire amende honorable. Bessie Iui pardonne et l'engage à vie.

  • Titre original : The Matinee Idol
  • Titre parallèle : Bessie à Broadway
  • Genre : Comédie
  • Année de production : 1928
  • Année de sortie d'origine : 1928
  • Date de sortie en France : —
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 1560 m

Film redécouvert et restauré en 1994 à partir d'un contretype issu des collections de la Cinémathèque française.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
1996Noir et blanc1563 m20 i/s68 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2011-11-08Cinémathèque de Toulouse
1995-12-09Cinémathèque française

Le contrat du siècle

Chaque film est un contrat passé entre ceux qui le font et ceux qui le voient. Et même si le cinéma dit moderne a bouleversé plus d'une fois cette simple réciprocité, elle reste vraie et indispensable. Dans le cas de Frank Capra, loin d'être implicite, ce contrat était tout bonnement explicite.

Ainsi, ses œuvres les plus célèbres prennent-elles régulièrement le spectateur à témoin et le font juge et partie. II lui est même arrivé de faire de ce contrat, lui qui n'en avait pas en 1928 pour travailler à la Columbia du terrible Harry Cohn, le sujet principal d'un film : c'est le cas et l'exemplarité de The Matinee Idol.

Si bien que dans ce qu'elle dit déjà des émotions, de l'acteur, du public et du spectacle, cetteœuvre de la fin du muet est comme l'avant-scène du show «capraien» à venir et la justification presque théorique de tout un systeme. Comme souvent chez Capra, et ici comme en amorce, The Matinee Idol est un double voyage initiatique : d'abord, celui de la troupe innocente quittant la calme province pour Broadway et sa rampe à risques. Et parallèlement, en sens inverse et en solitaire, celui de Don Wilson, acteur en crise. Un personnage qui met tout le film à être juste lui-même, utilisant un nom d'emprunt en fonction des circonstances, sans cesse dissimulé derrière un maquillage, un loup ou un paravent, si bien qu'il est toujours double : quand il a son vrai visage, son identité est fausse et quand il est lui-même, il avance masqué. Pas étonnant qu'il finisse par organiser un bal costumé[1]!

Déjà, Capra s'insurge contre une société en miroirs et lui oppose Bessie, caractère tout d'une pièce, sans double fond ni fond de teint, présenté au début du film en un gros plan très simple : pour Capra, le visage est la vérité d'un être (visages des acteurs, visages de spectateurs au spectacle). Déjà, il est l'ennemi d'un double langage, d'un double jeu, ennemi de la duplicité, du cynisme, de l'intellectualisme snob qui distancie et refroidit. C'est que le morceau de bravoure de The Matinee Idol est une même pièce de théâtre jouée deux fois ; la première représentation ravit un public de province et, bien sûr, c'est à lui que le film donne raison. Avec ses réactions immédiates, son empathie spontanée, le spectateur est en phase avec le spectacle et entretient avec les acteurs, qui le lui rendent bien, une relation d'amour.

Flirtant avec le populisme (l'idée n'est pas loin que le spectateur serait le vrai metteur en scène des films qu'on lui montre), Capra pose alors cette relation comme la base d'un rapport non névrotique au spectacle, lieu privilégié d'une catharsis légitime qui, en retour, légitime la représentation et « l'éternise ». C'est comme le champ-contrechamp : l'un n'existe pas sans l'autre, ils sont collés tels des frères siamois. Ce sont donc bien les New-Yorkais et leur sens critique (assimilé à un dédoublement de la personnalité) qui sont dans l'erreur. Alors, la première fois, la pièce est filmée d'assez près pour que le cadre épouse les contours du cube scénique, et la deuxième fois, prise de beaucoup plus loin, avec l'orchestre et le public en amorce du cadre, et une fois même vue du plafond[2].

D'une représentation à l'autre, le principe d'adhésion ne tient plus et le spectacle s'effondre. La relation d'exception entre les spectateurs et la représentation/projection fonde le cinéma non seulement comme art mais aussi comme institution. Si bien que le film de Capra, à l'époque charnière et inquiète du passage au parlant, énonce la règle numéro un sur laquelle repose et va reposer plus encore pendant trente ans tout le « studio system ». Cette règle est un accord idéal, un pacte de rêve, rêve de fusion (exit la rampe !), entre la scène et la salle, entre chaque film et son public : une règle si belle qu'on jurerait la version cinématographique du «rêve américain» (le melting-pot enfin accompli, et du côté de Capra-l'immigrant son acceptation par l'Amérique).

Une règle tellement fondamentale qu'elle dépasse Frank Capra et qu'elle est, au même moment et régulièrement après, répétée par d'autres ; par King Vidor par exemple, en 1928 encore, dans Show People /Mirages. Quelques années plus tard, deux scènes de Sylvia Scarlett (George Cukor, 1935) et surtout Preston Sturges dans Sullivan's Travels / les Voyages de Sullivan (1941) réaffirmeront avec force que le public a raison de croire à la belle illusion, qu'il est juste de (faire) rire et de (faire) pleurer devant une image.

En 1953 seulement[3], à l'époque charnière et inquiète d'une passation des pouvoirs entre cinéma et télévision, Minnelli dans The Band Wagon /Tous en scène pressentira que quelque chose de ce rapport de confiance est en train de changer irrémédiablement et commencera à fermer la marche de la longue cohorte des cinéastes classiques.

Bernard Benoliel

(Texte initialement publié dans La Persistance des images, Cinémathèque Française-Musée du Cinéma, Paris, 1996.)

[1]"Pensez-vous encore, que l'usage des masques soit approuvé de Dieu ? Je vous le demande. S'il défend toute sorte de simulacre, combien plus défendra-t-il qu'on défigure son image ? Non, non : l'auteur de la vérité ne saurait approuver rien de faux. Il regarde comme une espère d'adultère tout ce qu'on réforme dans son ouvrage" (Tertullien, "Traités sur l'ornement des femmes, les spectacles, le baptême et la patience, 200 après J-C", cité dans Les Cahiers de médiologie, n° 1, 1996, p. 291-292). À la fin de The Matinee Idol, la pluie qui, plus encore que démaquille et démasque, lave littéralement l'acteur est bien sûr une eau lustrale déversée par " l'auteur de la vérité".

[2]Sur ce plan pris du plafond, et pour d'autres exemples de différences, voir Dominique Païni, "The Matinee Idol de Frank Capra ou la loi de la foule", Cinémathèque, n° 6, automne, 1994.

[3]1953 est "l'année-déclic », pour Alain Bergala, celle "où aux États-Unis, les cinéastes scénarisent la fin d'un état du cinéma et du public ». 1953 est aussi l'année que retient King Vidor dans son autobiographie pour marquer "la fin d'une époque et la naissance d'une autre".

Autour du film

  • Dominique Païni, "The Matinee Idol de Frank Capra ou la loi de la foule", Cinémathèque, n° 6, automne, 1994.