La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages

Le Cinéma du peuple

Le Cinéma du peuple fut pour quelques mois (1913-1914) un moyen de propagande original pour les libertaires, soit le premier cinéma militant.
  • Réalisation : Armand Guerra
    Fiction / France / 1914

C'est le 28 octobre 1913 qu'est créée la « Société coopérative à capital et personnel variables Le Cinéma du Peuple » [1]. Les premiers souscripteurs sont Yves Bidament, militant syndicaliste des chemins de fer, incarcéré un temps en 1910 ; Robert Guérard, chansonnier ; Paul Benoist, cordonnier ; Gustave Cauvin, futur directeur de l'Office régional du cinéma éducateur de Lyon [2] ; Félix Chevalier, coiffeur ; Henriette Tilly, mécanicienne ; et Camille Laisant, qui se dit littérateur. À eux tous, ils apportent cent soixante-quinze francs, mais le capital social est fixé à la somme de mille francs. À la même époque, la société Pathé possède un capital de trente millions de francs.

Le comité de création du Cinéma du Peuple est en fait beaucoup plus large. Sébastien Faure, fondateur du journal Le Libertaire, Marcel Martinet, Pierre Martin, Émile Rousset et d'autres encore sont venus soutenir l'entreprise. La dominante du groupe est principalement libertaire mais, comme le souligne Tangui Perron dans une excellente étude [3], « il existait de nombreuses passerelles entre anarchistes, socialistes et syndicalistes révolutionnaires ».

Le programme d'action du Cinéma du Peuple est publié avant même la création officielle de la société, le 13 septembre 1913 : « Notre but est de faire nous-mêmes nos films, de chercher dans l'histoire, dans la vie de chaque jour, dans les drames du travail, des sujets scéniques qui compenseront heureusement les films orduriers servis chaque soir au public ouvrier [...]. De toutes nos forces nous combattrons l'alcool, comme nous combattrons la guerre, le chauvinisme stupide, la morale bourgeoise et inepte [4]. » Depuis longtemps, les libertaires rêvent de « moraliser » – c'est leur propre expression – le cinéma, de modifier aussi l'image de l'ouvrier alcoolique qui se retrouve dans bon nombre de drames sociaux produits par Pathé, Gaumont ou Éclair.

Laurent Mannoni

(Extrait du texte publié initialement dans La Persistance des images, La Cinémathèque française, 1996)


[1] Laurent Mannoni, « 28 octobre 1913 : création de la société Le Cinéma du Peuple », 1895, numéro hors série « L'année 1913 en France », Paris, AFRHC, octobre 1993.

[2] Voir Raymond Borde, Charles Perrin , Les Offices du cinéma éducateur et la survivance du muet, Lyon, PUL, 1992.

[3] Tangui Perron, « "Le contrepoison est entre vos mains, camarades". CGT et cinéma au début du siècle », Le Mouvement social, n° 172, juillet-septembre 1995.

[4] Le Libertaire, 13 septembre 1913.