La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages

René Clair

« Poussin résume, à lui seul, l'art classique français, Giotto personnifie la Haute renaissance, Picasso, l'art moderne. Dans le monde entier, depuis vingt-cinq ans, un seul homme personnifie le cinéma français : René Clair. » Henri Langlois

Poussin résume, à lui seul, l'art classique français, Giotto personnifie la Haute Renaissance, Picasso, l'art moderne. Dans le monde entier, depuis vingt-cinq ans, un seul homme personnifie le cinéma français : René Clair.

Mieux encore, il résume, aux yeux de l'étranger, non seulement notre cinéma, mais l'esprit même de notre nation; il est considéré à la fois comme le successeur de Feydeau et de Molière. Il s'identifie au charme de Paris et, à travers lui, rejoint Degas, Manet, Saint-Aubin, Vernet, par eux, deux grandes époques françaises par excellence.

Mieux encore, il est, aux yeux de tous, le fils spirituel de Méliès et de Lumière, et sa gloire est aussi grande et aussi universelle que l'était celle de Voltaire. Rendre hommage à René Clair en 1925 tenait de la divination et pourtant, il méritait déjà un tel hommage, car Paris qui dort et Entr'acte à eux seuls, étaient déjà des chefs d'œuvres.

Rendre hommage à René Clair en 1929, à la sortie de Sous les toits de Paris, était faire acte d'avant-garde, car, malgré leur succès, Un chapeau de paille d'Italie, Les Deux timides, Sous les toits de Paris impliquaient une prise de position, un choix. Rendre hommage à René Clair en 1932-33, ce n'était déjà plus cela. Paris, immobilisé à la projection de Sous les toits de Paris, fut comme soulevé par l'accueil triomphal qui lui fut réservé à Berlin, et se donna à René Clair, à la sortie du Million et de À nous la liberté. Lui rendre hommage, c'était donc ratifier la voix de l'opinion et le ralliement de tous au génie cinématographique de l'homme qui, à lui seul, était alors tout le cinéma français.

Rendre hommage à René Clair en 1939, quand triomphaient Quai des brumes, La Grande illusion, Pépé le Moko, c'était affirmer la nécessité de maintenir l'un des aspects les plus essentiels du cinéma français.

Rendre hommage à René Clair en 1945, c'était un acte de foi dans l'avenir du cinéma français.

Rendre hommage à René Clair en 1953, c'était rendre hommage au cinéma français lui-même rendre hommage à la fois à Méliès et à Lumière, à Feuillade et à Feyder, à Durand et à Max Linder, à l'époque des « soirées de Paris », des documentaires d'avant-garde, et aussi, à celle des grands pionniers. C'était affirmer un principe.

Rendre hommage à René Clair, aujourd'hui, après les honneurs qui viennent de lui être prodigués, après le succès des Grandes manœuvres, après sa réception à Oxford, c'est vraiment enfoncer une porte ouverte, ou passer pour un esprit enclin au respect des gloires consacrées. C'est pourquoi nous n'avons pas hésité à le faire, pour témoigner que toute cette gloire, tous ces honneurs, prodigués d'habitude à des morts-vivants, s'adressent à l'un des esprits les plus jeunes, les plus critiques, les plus conscients de notre temps.

Henri Langlois
Programme de la Cinémathèque française, 1956, 20ème anniversaire.