La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • Marie Stuart - Albert Capellani - 1908 - Collections La Cinémathèque française
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Marie Stuart

Albert Capellani / Fiction / France / 1908

A la mort de François II, son époux, Marie Stuart fait ses adieux à la cour de France pour rejoindre l'Ecosse, son pays natal où elle devient reine à 19 ans à la suite de la mort de son père. Catholique, elle est mise en prison par les protestants. Elle s'évade, s'en va demander la protection de la Reine Elisabeth, qui la trahit en l'emprisonnant à son tour. Elle fut exécutée.

  • Titre original : Marie Stuart
  • Genres : Film en costumes - Film historique
  • Année de production : 1908
  • Année de sortie d'origine : 1908
  • Date de sortie en France : —
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 255 m

Copie restaurée en 2000 d'après un élément de conservation issu des collections de la Cinémathèque française.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
2000Noir et blanc261 m18 i/s12 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2011-06-30Il Cinema RitrovatoRétrospective Albert Capellani - édition 2011 - Cinémathèque de Bologne

Tout Marie Stuart est à la recherche d'une profondeur : le lit de mort de François II dans le premier plan (qui redirige l'action vers le fonds du plan), la marche vers l'Ecosse ensuite (tournée en extérieur, et suivant une trajectoire qui vient du fond de l'image pour se rapprocher lentement vers nous).

L'enjeu du film est double pour Capellani : montrer à la fois un savoir-faire inégalable, du moins en France, en matière de reconstitution historique : du soin rare apporté à la décoration, les toiles peintes sont remplacées par des décors, ça n'a pas toujours été le cas chez Pathé jusqu'ici) au travail comme il l'entend (c'est à dire en «aérant» l'ordre des séquences par des excursions en plein air).

Mais surtout, Marie Stuart est l'un des films de la première période (celle des films courts de Capellani, antérieure aux Misérables) où il expérimente le plus en terme de découpage.

On retrouve ici un très bel exemple de raccord extérieur / intérieur, très audacieux pour l'époque, dans une séquence où le messager envoie à Marie Stuart un courrier, en le jetant à sa fenêtre, située au premier étage, depuis le jardin. Alors qu'en 1908, le tout venant de la production se contente de reproduire le point de vue frontal d'une scène de théâtre et prend la séquence comme une unité de longueur que l'on ne saurait fragmenter, Capellani découpe l'action en plusieurs plans mais surtout fait communiquer les espaces en jouant entre l'extérieur et l'intérieur, et –comme plus tard dans Germinal – entre le haut et le bas, construisant des actions en étage.

Il y a ici même l'origine d'une idée chère à Capellani : le double espace. Pratique courante : des plans où deux actions avaient lieu en même temps – une au premier plan (qui correspond à l'action dramatique, au récit, au théâtre) et un second plan (où il filme le travail, la vie quotidienne, tout ce qui échappe au théâtre). Ainsi dans Germinal, on voyait les acteurs jouer le roman de Zola à l'avant-scène, mais derrière, le mouvement des machines qui transportaient par seaux entiers le charbon trouaient l'espace scénique. Dans Germinal encore, il se sert de la séquence de l'éboulement pour tenter des raccords dans une même séquence entre ceux qui sont coincés dans la mine, et ceux qui, au-dessus, tentent de les en sortir.

Ici, dans cette séquence de Marie Stuart, cette communication de l'un à l'autre est, à proprement parler, une «évasion», voire une double évasion : évasion de la Reine d'Ecosse de son donjon, évasion du cinéma d'un théâtre, avec ses «cadres-prisons» dans lequel l'action est tenue prisonnière. Fuite par la fenêtre pour aller là où la séquence se brise, gagne en risque : en extérieur.

Aussi, il n'est pas étonnant qu'après cet enchaînement, Capellani ose, de surcroît, un raccord dans l'axe avec un plan serré de Marie Stuart, le bras coincé dans la porte, hurlant de terreur. Un plan d'une intensité dramatique qui explique pourquoi ce saut qualitatif du plan d'ensemble au plan serré, qui donne forme au suspens et à l'accélération dramatique du récit. Un plan qui laisse le raccord conduire l'émotion. Ce plan précis porte Marie Stuart au statut de film très en avance sur la production mondiale, soit un film à l'heure exacte, avec ce que fabrique Griffith aux USA à la même époque.

Dommage que Capellani n'ait pas systématisé ce type de raccord, et ne s'en soit servi qu'à titre de prototype.

Cela n'en fait pas moins de Marie Stuart un film vertigineux par son audace, où l'on ne fait que sauter d'espace en espace, de haut en bas, de bas en haut, de droite à gauche : un film où les blocs d'espaces ne se succèdent plus mais sont, au contraire, enchaînés Jusqu'à ce qu'ils se télescopent, comme dans ce magnifique plan où les troupes de la Reine Elisabeth arrivent de la droite du cadre pour arrêter le convoi de Marie Stuart.

Dans sa géographie, ce film va jusqu'à dessiner des cercles, des points de fuite, des croisements. Il donne vie et se soumet à une conception spatiale maîtrisée, Capellani ne s'en servant pour des raisons purement narratives, jamais pour satisfaire sa seule envie d'expérimentation. Qu'à terme ce ballet ait dessiné un cercle et que cercle se soit refermé sur Marie Stuart, la ramenant vers l'intérieur (la prison, une fois encore), et la condamnant au châtiment absolu (la mort) est déjà inscrit dans la mise en scène.

Capellani a pensé le destin de Marie Stuart en espace. La dernière prouesse de ce film incroyable tient à la scène d'exécution de Marie Stuart, impressionnante d'économie et d'efficacité dramatique. Le plan est tourné en plan-séquence, avec évidemment un trucage : si le bourreau cache sa tête, on voit néanmoins le corps se détacher avec violence du crâne, et retomber sans tête, Capellani s'est sans doute servi du montage dans le plan appris lors de sa maîtrise des scènes à truc. Mais surtout, le plan, à ne pas montrer la chute de la tête mais en enregistrant ses effets de convulsion sur le reste du corps, n'en est que davantage saisissant.

Philippe Azoury

Autour du réalisateur

  • David Bordwell's website on cinema

    Capellani trionfante

    http://www.davidbordwell.net/blog/2011/07/14/capellani-trionfante/

  • Christine Leteux, Albert Capellani, cinéaste du romanesque, Editions La tour verte, Grandvilliers, 2013.

  • Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains - histoire d'une rencontre 1906-1914, Ecole Nationale des Chartes/ AFHRC, 2002.