Incunables

Le cinéma existait avant 1895

Le cinéma existait avant 1895, même plusieurs centaines d'années avant, tout comme le cinéma sonore existait avant 1929. Pour parler du cinéma avant le cinéma et pour évoquer finalement toute œuvre pionnière, le terme d'incunable peut être emprunté aux bibliophiles. Si l'on ouvre le dictionnaire : incunable vient du latin incunabula, pluriel neutre de incunabulum, berceau, commencement et par extension un adjectif « qui date des premiers temps de l'imprimerie ». Autre tentative de définition du terme glanée dans un ouvrage de 1862, citée ci-dessous. Il est en effet passionnant d'étendre cette définition à un autre support, celui du film et de l'image animée, et d'inscrire ainsi les œuvres dites des premiers temps, les « avant-coureurs », à la chronologie de l'histoire du cinématographe.

« Découvrir, en faisant des fouilles, une Vénus sans bras ou un incunable, c'est tout un. Les incunables, tout le monde le sait, sont les livres imprimés depuis l'invention de l'imprimerie jusqu'en 1500. Les incunables témoignent de l'enfance de l'art typographique. Ils sont incomplets, grossièrement imprimés, ridiculement reliés. Ils n'en sont que plus précieux. A l'encontre de toutes les idées généralement reçues, c'est leur imperfection qui fait leur valeur. Les incunables les plus recherchés sont ceux qu'on nomme les avant-coureurs, dénomination donnée aux impressions qui ont fait naître la première idée de multiplier les livres par le moyen mécanique des types mobiles. La plupart des avant-coureurs connus portent une date; mais il en est en bibliophilie de la date d'un livre comme de la signature d'un tableau ou de la marque de fabrique d'une porcelaine. Toute la question est de savoir si cette date est authentique. Aussi, quoique plusieurs incunables portent le millésime de 1454, le premier livre d'une date incontestable qui soit arrivé jusqu'à nous est toujours le fameux Psautier, imprimé à Mayence en 1457. On compte aussi dans les incunables les premières impressions de certains pays ou de certaines villes où l'imprimerie n'a pénétré que tard; les produits de certaines imprimeries d'où sont sortis très peu de volumes, celles par exemple d'Adam Rot, d'Arnaud de Bruxelles, etc. Les incunables sans date ne sont ni moins rares ni moins appréciés que les autres. Les amateurs, du reste, ont, pour leur donner une origine et leur constituer pour ainsi dire un état-civil, une foule d'indices, dont les principaux sont :
- L'absence de frontispice ;
- L'absence des lettres capitales au commencement des chapitres et des alinéa ;
- La rareté de ces divisions mêmes ;
- L'absence complète des virgules et des points et virgules ;
- L'inégalité et la grossièreté des types ;
- Le manque de pagination ;
- Le manque des signatures et des réclames ;
- La solidité et l'épaisseur du papier ;
- La non-apposition du nom de l'imprimeur, du lieu et de l'année ;
- La grande quantité d'abréviations ;
- Les points carrés et le trait oblique en place du point sur les i.

Ces particularités, qu'il est indispensable de mentionner dans une vente publique, rendent excessivement difficile la confection des catalogues. Le moindre oubli peut ôter à un livre de ce genre la moitié de sa valeur. Ce ne sont pas des mentions, mais de véritables descriptions, que les experts chargés des ventes sont obligés de faire. »

Henri Rochefort, Les Petits mystères de l'Hôtel des ventes, 1862, éditions E. Dentu, (Paris, Libraire de la société des gens de lettres, Palais Royal)  [2].

[1] Henri Langlois, « Il est temps de rappeler le cinéma à la vie », Les Lettres françaises, n° 1292, 16 juillet 1969.

[2] L'ouvrage est accessible sur le site de la Bibliothèque nationale de France : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55205g.