La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages

La Glace à trois faces

Jean Epstein / Fiction / France / 1927

Un jeune homme est aimé de trois femmes. Mais lui en aime-t-il uneᅠ?

Carton titre du film.

  • Titre original : La Glace à trois faces
  • Genre : Drame
  • Année de production : 1927
  • Année de sortie d'origine : 1927
  • Date de sortie en France : 22 novembre 1927
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 1200 m
  • Visa d'exploitation : 86639

Restauration du film à partir d'un négatif conservé dans les collections de la Cinémathèque française et établissement d'un matériel de conservation dès 1965. Le dernier tirage 35mm a été réalisé en 2004 aux laboratoires Cinarchives.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
2004Noir et blancFrançais870 m20 i/s38 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2014-05-02La Cinémathèque française - cycle Jean Epstein

Troisième film des productions Jean Epstein, La Glace à trois faces est l’adaptation d’une nouvelle de Paul Morand, la première du recueil L’Europe galante publié en 1925. Nouvelle fort brève et simpleᅠ: trois femmes font au narrateur le portrait de leur amant. L’ami du narrateur, mortellement blessé dans un accident de la route, lui demande avant d’expirer de porter la nouvelle de sa mort à ces trois femmes. Le narrateur comprend alors que son ami fut l’amant des trois femmes qui  ont dressé de lui des portraits différents.

Dans son adaptation de la nouvelle, Epstein supprime le personnage du narrateur. C’est à travers la mémoire de ces trois femmes que le souvenir de l’homme va revivre, tandis qu’il expire au bord de la route. Jean Rouch résuma somptueusement l’argument du film en disantᅠ: «ᅠTrois femmes aiment le même homme. Lui n’en aime aucune mais seulement sa Bugatti. Il sort sa voiture du garage et roule vers son destin.ᅠ»

Epstein fut toute sa vie passionné par les voitures et fasciné par la vitesse. Les scènes d’automobiles constituent un motif récurrent de ses films. La Glace à trois faces lui donnait tout loisir de revenir sur les possibilités photogéniques offertes par un bolide en mouvement. Mais ce n’était pas pour lui l’essentiel. En adaptant la nouvelle de Paul Morand, en établissant son découpage, Epstein s’attacha d’abord à illustrer sa conception du temps cinématographique, qui, ainsi qu’il l’écrivit, ne doit rien au temps des astronomes. Aussi bien ne suivit-il pas la chronologie toute littéraire du récit de Paul Morand, mais construisit une narration différente, purement cinématographique, qui séduisit et fascina bien des critiques et spectateurs lors de la sortie du film.

La réalisation de La Glace à trois faces eut lieu durant l’été de 1927. Epstein était alors en proie à de graves difficultés financières. Son nouveau film ne serait donc pas un long mais un moyen métrage, avec peu de personnagesᅠ: quatre rôles principaux, celui de l’homme étant tenu par son ami René Ferté, les trois femmes par Suzy Pierson, Olga Day et Jeanne Helbling. Dans l’équipe techniques deux prochesᅠ: l’acteur Nino Costantini, qui renonça à jouer pour être l’assistant d’Epstein, Pierre Kéfer qui assuma une nouvelle fois la conception des décors. Le tournage fut assez rapide et le film prêt au début de l’automne. Comme pour Six et demi, onze, c’est la Compagnie Universelle Cinématographique qui en assura la distribution et le Studio des Ursulines la première exclusivité.

A l’occasion de la sortie, prévue le 27 novembre 1927, Epstein publia plusieurs articles dans la presse spécialisée, dans lesquels il explicitait en détail ses intentions et le caractère novateur de son nouveau film.  Ainsi dans la revue Comoedia du 18 novembreᅠ: «ᅠNégligeant trois rendez-vous voisins, donnés à ou par trois femmes très différentes, un jeune homme, content d'être comme en vacances, seul et libre, sort sa voiture  grand sport du garage et roule... tant, qu’il se casse la figure sur le bord de la route de Deauville. Une hirondelle, volant encore plus vite que la voiture ne roulait avait assommé d'un petit coup de bec entre les deux yeux celui qui fuyait l’amour. - Les quinze pages de la nouvelle de Paul Morand, La Glace à trois faces, se fondaient ainsi en un scenario d'une simplicité et d'une vérité dédiées au cinématographe. Après les drames prétendument sans fin, voici un drame qui voudrait être sans exposition, ni seuil, et qui finit net. Les événements ne se succèdent pas et pourtant se répondent exactement. Les fragments de plusieurs passés viennent s'implanter dans un seul aujourd'hui, L'avenir éclate parmi les souvenirs. Cette chronologie est celle de l’esprit humain.ᅠ»

La Glace à trois faces montrait un réalisateur en pleine possession de son art, ayant su donner à son film le cadre formel exactement adapté au sujet. Usant en virtuose de son vocabulaire cinématographique favori (le gros plan et la surimpression en particulier), il construit son récit selon un montage sophistiqué, dans lequel le champ/contrechamp ne tient quasiment aucune place. Au contraire, Epstein multiplie, d’une même scène, les points de vue, les alterne, les juxtapose. Il varie à l’infini les valeurs de plan, le rythme du montage, traduisant ainsi les caprices de la mémoire. Chacune des faces du miroir est ainsi déformante mais offre un type de déformation différent. S’il s’agit bien du même homme, le triple portrait qui en est montré lui conserve ainsi tout son mystère. Seule la dernière partie du film, centrée sur lui, seul au volant de son bolide (avec de nombreux plan en caméra subjective), semble le révéler vraimentᅠ: ivre de liberté et de vitesse…jusqu’à la catastrophe finale.

L’accueil de la presse et du public fut unanimement favorable au film et Jean Dréville, qui le soutint fermement dans sa revue Cinégraphie, notait avec satisfaction en janvier 1928ᅠ: «ᅠToute la presse découvre une deuxième fois le cinéasteᅠ».

Joël Daire

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