La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • Carmen - Jacques Feyder -1925 - Collections  La Cinémathèque française
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Jacques Feyder / Fiction / France / 1925

Carmen, ravissante gitane de Séville, est la maîtresse du contrebandier Garcia le borgne. Un jour, au cours d’une violente dispute, elle blesse une ouvrière à la Manufacture royale de tabacs où elle travaille et espionne pour le compte de son amant. Don José, le brigadier venu l’arrêter et chargé de la conduire en prison tombe sous son charme et la laisse s’enfuir. Fou d’amour pour elle, il manque à son devoir et séjourne en prison. A sa sortie, l’histoire d’amour mouvementée se poursuit et prend une tournure dramatique.

  • Titre original : Carmen
  • Genres : Aventures - Drame
  • Année de production : 1925
  • Année de sortie d'origine : 1926
  • Date de sortie en France : 5 novembre 1926
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 3000 m
Lieux de tournage :
  • (Extérieur) Séville
  • (Extérieur) Cordoue
  • (Extérieur) Bayonne
  • (Extérieur) Nice
  • (Studio) Studio des Reservoirs, Joinville
  • (Studio) Studio Montreuil

Cette copie a été restaurée en 2001 par la Cinémathèque française à partir d’un négatif nitrate provenant de ses collections. Le matériel nitrate d’origine ne comportait pas d’intertitres.

En 1985, un premier travail avait été entrepris, concernant en particulier la reconstitution des intertitres d’après une copie safety existante. Ils ont été intégrés à la restauration en 2001.

Une copie nitrate provenant également des collections de la Cinémathèque française a servi de référence pour la reproduction des teintages.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
2001Noir et Blanc + TeintéFrançais3847 m20 i/s168 min35
2007Noir et Blanc + TeintéFrançais3847 m20 i/s168 minBetanum

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2009-10-05Giornate del cinema muto -PordenoneD'après la partition originale d'Ernesto Halffter Escriche
2008-04-20Cinémathèque françaiseInspiré de la partition originale d’Ernesto Halffter Escriche
2007-11-01Cinemed - Montpellierinspiré de la partition originale d'Ernesto Halffter Escriche

Afin d’exploiter une popularité grandissante, Alexandre Kamenka, directeur de la société de production Les Films Albatros, a engagé la comédienne espagnole Raquel Meller pour interpréter le rôle de Carmen. Elle est alors une grande vedette, notamment grâce au succès de son interprétation de la chanson La Violettera, lancé par le film d’Henry Roussel Violettes Impériales (1924). Après Gribiche, Jacques Feyder travaille sur plusieurs projets de film mais à la demande expresse de l’actrice, qui estime qu’il est le seul capable d’adapter le sujet à l’écran, Kamenka fait appel à lui pour réaliser Carmen.

Bien que le public de l’époque soit plus familiarisé avec l’opéra-comique de Bizet, Feyder s’inspire de la nouvelle de Mérimée, nettement plus sombre et plus tragique, restant ainsi fidèle à sa réputation de cinéaste réaliste, sensible aux destins tragiques et aux passions dévorantes. Le distributeur Les Films Armor justifie cette particularité en intégrant la mention suivante : «Le grand film que nous vous présentons est une œuvre purement cinématographique. Il n’est pas tiré de l’Opéra-Comique fameux dont certains personnages ont été imaginés pour les besoins de la partition musicale. Carmen, film réaliste, a dépouillé volontairement toutes les parures superflues dont la tradition a encombré le sujet primitif. Carmen, drame de l’écran, traduit directement en images fidèles la pensée de Prosper Mérimée. On n’y retrouve ni Micaëla, ni Escamillo, qui n’ont jamais figuré dans l’œuvre originale. Carmen, film puissant, ne prétend prendre la place ni d’un livre, ni d’une pièce de théâtre. Il est une œuvre entièrement nouvelle, qui recrée avec intensité l’atmosphère et les mœurs espagnoles de 1830. Nous espérons que le public appréciera l’effort de vulgarisation que nous avons tenté en nous inspirant à dessein du livre à la fois le plus célèbre et le plus mal connu d’un grand écrivain français[1]».

Outre le personnage central de Carmen, Don José est interprété par Louis Lerch[2] et Gaston Modot incarne Garcia le borgne. On aperçoit subrepticement Luis Buñuel qui joue un petit rôle de contrebandier chez Lillas Pastia. Il raconte cette anecdote: « Au cours d’une prise où Carmen, en compagnie de Don José, se tenait immobile à une table, la tête entre ses mains, Feyder me demanda de lui faire quelque chose au passage, un geste galant. J’obéis, mais mon geste galant fut un pizco aragonais, un véritable pincement, ce qui me valut une gifle retentissante de la part de la comédienne[3]». La collaboration avec Raquel Meller devient vite une réelle source de difficultés pour Jacques Feyder. L’incompréhension du personnage de Carmen dont elle fait preuve oblige le cinéaste à durcir sa direction d’acteur en même temps que le poids commercial imposé par le vedettariat lui impose une certaine diplomatie vis-à-vis d’elle. « Cette artiste espagnole de grand talent était toute désignée pour interpréter Carmen à l’écran. Mais il fallait d’abord arriver à lui faire lire l’histoire de Carmen. Or, elle n’aimait pas beaucoup la lecture. Alors elle se faisait raconter, par bribes, le roman par une secrétaire. Et ce faisant, inconsciemment, elle se forgeait une histoire à elle, plus conforme à ses goûts et à son idéal. Très pieuse et férue de principes rigides, elle souhaitait n’incarner – à l’écran – que des héroïnes pures, nobles et chastes. Il n’est donc pas étonnant qu’entre elle et moi soient nés quelques conflits à propos de l’interprétation de la Carmen de Mérimée. Car je sentais Carmen glisser. La gitane capricieuse et passionnée glissait au personnage falot d’une pure jeune fille, dont l’inclination platonique pour un toréador provoquait, par fatalité, le crime de son fiancé Don José[4]».

Le cinéaste focalise alors son attention et ses efforts sur l’authenticité du décor et des atmosphères afin d’apporter, loin du folklore, une portée réaliste à l’intrigue et aux personnages. Les scènes extérieures sont tournées en décors naturels, dans les arènes de Ronda et dans la sierra environnante. Les nombreux figurants viennent des alentours, en costume d’époque, ce qui apporte à la scène de la corrida une véritable valeur documentaire. L’ensemble du tournage se déroule sur presque une année, de novembre 1925 à août 1926. Il débute en Espagne, à Ronda et dans ses alentours, à El Choro. Il se poursuit dans le sud de la France, notamment sur la Côte d’Azur, puis à Fontainebleau et au Fort de Vincennes. Les prises de vues en studio ont lieu à Montreuil mais également à Nice et à Joinville. Les décors sont pensés et construits par le décorateur Lazare Meerson[5] avec qui Feyder a déjà travaillé pour Gribiche. Une fois de plus, leur collaboration est fructueuse et témoigne du degré d’exigence et de perfection qui caractérise les deux hommes. La conception de ces décors leur permet, sous l’illusion de la simplicité, toutes les audaces et quelques merveilles d’ingéniosité en termes d’espace scéniques et de prises de vues. Incontestablement, la richesse de ses détails apporte également au film son caractère réaliste et authentique, comme en témoigne Raquel Meller: «Le décor construit à Joinville, au studio des Réservoirs, dépasse de beaucoup les plus audacieuses des reconstitutions réalisées en France jusqu’à présent. La rue du Serpent, célèbre rue sévillane, déroule, sur 80 mètres de long, ses méandres pittoresques, où fruitiers, cordonniers et taverniers tiennent boutique à chaque coin de porte, à chaque angle d’impasse. Ce chef-d’œuvre de décoration est l’œuvre de Meerson, qui rapporta d’Espagne tous les documents topographiques nécessaires et les mit en œuvre avec une très grande habileté[6]».

La partition musicale de Bizet, qui s’inspire du livret de Meilhac et Halévy, ne correspond pas au caractère tragique que Feyder a donné à son film. À la demande d’Alexandre Kamenka, une partition originale est composée par Ernesto Halffter Escriche qui saisit instantanément les intentions du cinéaste: «Je me suis servi des vieux thèmes de terroir, déclare-t-il, des thèmes andalous, dont la couleur locale éclate aux oreilles des moins initiés. J’ai suivi pas à pas le rythme et l’ambiance du film, sans que jamais le drame musical prenne le pas, en intensité, sur le drame de l’écran, car il ne faut pas oublier que la musique, en l’occurrence, ne doit être qu’un accompagnement. J’ai trouvé en Feyder l’artiste sensible et intelligent, avec qui j’ai collaboré en pleine communion d’idées et j’espère que l’ensemble ne sera pas indigne de l’œuvre qui l’inspira[7]». Raoul Ploquin est conquis par la fusion des deux œuvres : «L’action, le décor, l’interprétation, les mouvements de foule, supportés par des rythmes qui font corps, littéralement, avec le rythme visuel du film, arrivent à recréer l’atmosphère véritable de la nouvelle de Mérimée et à lui restituer le caractère farouchement romantique et brutalement passionné que l’adaptation scénique avait complètement édulcoré. La partition originale qu’a composée Ernesto Halffter Escriche a été écrite pour un très grand orchestre, mais d’ores et déjà le compositeur a prévu la nécessité d’une partition plus simple qui pourra être interprétée par les orchestres les plus réduits[8]».

Le film sort le 5 novembre 1926, en exclusivité à Paris au Marivaux. La présence de Raquel Meller lui assure un certain succès. Selon Victor Bachy, «nul ne contesta le Don José de Louis Lerch. Aujourd’hui cependant, il paraît bien fade, alors que Meller, mises à part certaines œillades trop conventionnelles, continue à être une Carmen défendable[9]». Le coût de production, exorbitant pour l’époque (cinq millions de francs), est amorti par la distribution du film en France et à l’étranger.

Samantha Leroy


[1] Document des Films Amor intitulé Titre à tirer pour être placé dans les copies du film, archives Albatros, Cinémathèque française.

[2] Il tourne au même moment Nocturne, chanson triste, avec Raquel Meller et sous la direction de Marcel Silver, assistant de Feyder.

[3] Luis Buñuel, Mon dernier soupir, Ed. Ramsay, 2006.

[4] Jacques Feyder, Le cinéma notre métier, Ed. Albert Skira, Genève, 1944, pp 52-53.

[5] Une grande partie des dessins préparatoires sont consultables dans le fonds Lazare Meerson à la Cinémathèque française.

[6] Raquel Meller, Quand j’étais Carmen, Ed. La Renaissance du livre, 1926.

[7] Ernesto Halffter Escriche, Cinémagazine n° 39, 24 septembre 1926.

[8] Raoul Ploquin, Cinémagazine n° 39, 24 septembre 1926.

[9] Victor Bachy, Jacques Feyder, artisan du cinéma, Ed. Librairie Universitaire de Louvain, 1968.

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