La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • Quatre-vingt-treize - André Antoine - 1914 - Collections La Cinémathèque française
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Quatre-vingt treize

Albert Capellani, André Antoine / Fiction / France / 1914

Première époque : Le vieux Marquis de Lantenac débarque sur les côtes bretonnes en compagnie d'un homme qui a failli le tuer parce que le Marquis avait fait fusiller son frère, coupable du naufrage du navire qui les ramenaient en France. Mais le Marquis lui avait répondu que c'était la faute qui l'avait tué, et non lui. Pendant ce temps, sur le sol vendéen, un bataillon de fédérés parisiens découvre une pauvre femme et ses trois petits et les adoptent.

Seconde époque : L'insurrection est devenue formidable, surtout grâce au Marquis de Lantenac. Mais, bientôt, il est assiégé dans sa tour. Auparavant, les Chouans avaient fait prisonnier les trois enfants de la Flécharde, pensant les échanger. Lantenac s'enfuit en mettant le feu au fort où sont enfermés les enfants. Les cris de leur mère lui font faire marche arrière. Il est arrêté. La veille de son exécution, il s'échappe grâce à l'aide de son neveu Gauvain. On veut guillotiner ce dernier en échange, et au même moment Cimourdain, qui avait demandé cette exécution, se suicide d'un coup de pistolet.

  • Titre original : Quatre-vingt treize
  • Autre titre : 93
  • Genre : Film historique
  • Année de production : 1914
  • Année de sortie d'origine : 1921
  • Date de sortie en France : 24 juin 1921
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 3408 m

La Cinémathèque française fait appel à Philippe Esnault au début des années 80, afin de reconstituer le film, projet réalisé dans le cadre de l’année Victor Hugo (1985) et avec l’aide l’Association Française pour les Célébrations Nationales. Elle conserve alors des éléments négatifs, mais épars et incompletsᅠ: seule une partie du négatif monté a subsisté, le reste du film étant conservé sous forme de chutes.

Par ailleurs, si les inserts (parfois considérés comme des plans) étaient conservés, les cartons-titres étaient perdus. Philippe Esnault a donc tenté de reconstituer le film avec les éléments existants, et certains éléments provenant de la Cinémathèque de Belgrade.

En 2010, la Cinémathèque française a procédé au tirage d’une copie couleur, selon le modèle du travail réalisé à l’époque, copie réalisée au laboratoire de l’ANIM – Cinemateca portuguesa avec le procédé Desmetcolor.


Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
2010Procédé Desmet Français3408 m18 i/s165 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2011-06-27Il Cinema Ritrovato Rétrospective Albert Capellani - édition 2011 - Cinémathèque de Bologne

Quatre-Vingt-Treize est un film au destin tourmenté : Entamé au début de l'été 1914, son tournage fut interrompu par la déclaration de guerre. Et les rushes du film ne furent pas montés. Albert Capellani partira aux Etats-Unis, laissant en jachère un film qui, de toute façon, n'aurait pu sortir durant les hostilités : son sujet (une guerre civile) était proscrit. Le film fut achevé une fois la guerre terminée par André Antoine (Capellani étant aux USA de 1914 à 1923). Sorti durant l'été 1921, on ne peut le voir aujourd'hui sans relever un-à-un les archaïsmes qui, en 1921, alors que le cinéma entrait dans une autre époque, devaient dater lourdement le film à sa sortie.

D'une certaine façon, Quatre-Vingt-Treize ressemble à son sujet : le roman de Victor Hugo racontait la révolte, à partir de 1792, de ceux qui n'acceptèrent pas la révolution de 1789. La réaction tardive à la révolution s'explique par le fait que les évènements de 1789 furent connus dans le détail avec retard dans certaines provinces et la réaction n'en fut qu'amplifiée ; Quatre-Vingt-Treize est un film qui arrive sur les écrans avec six ans de retard mais sans doute amputé de ce qui aurait pu être, en 1914, sa force innovante.

Il est ainsi indéniable que le film souffre d'une présentation laborieuse des personnages, très marquée par un jeu encore théâtral. On a parfois le sentiment, rare pourtant chez le Capellani des années 1913-1914 (qui avait donné à la SCAGL/Pathé une série d'absolues réussites, à commencer par Germinal et Les Misérables) que le paysage breton sert ici uniquement de scène, mais guère plus. Il faut attendre qu'entrent dans le champ les charrettes, le monde du travail pour que le plan gagne enfin en réalisme.

Le film est pourtant ambitieux dans son découpage en deux temps : la seconde partie sera épique, répondant aux codes du roman d'aventure. La première est bien plus aride, qui ne repose que sur le débat d'idée – ce qui ne va pas sans lui affecter une certaine lenteur. Il faut voir surgir, vers la quarantième minute, un plan pris en plongée depuis une fenêtre et représentant la rue révolutionnaire pour voir surgir enfin à l'image cette violence documentaire, qui est la marque de Capellani, mais qui jusqu'ici faisait défaut à ce film encore trop théorique.

Quatre-Vingt-Treize est un film dont l'action ne prend chair qu'à terme d'une première heure aride avec, pour l'heure, en guise d'action des plans de troupes qui marchent, se rassemblent. Une sorte de ballet silencieux. Ce qui au fond intéresse surtout Capellani, ce sont les mouvements des lignes, les préparatifs, l'enthousiasme des troupes- quelque soient leurs idées. Bref, une sorte de théâtre des opérations qui parfois semble tourner à vide, mais c'est ce vide, cet appétit à les filmer en déplacement, dans une chorégraphie que seule les militaires dansent, qui fait la particularité de certains des films épiques de Capellani (Le Chevalier de Maison Rouge est tourné ainsi, lui aussi).

La Vendée est l'autre point de représentation du film : en quoi elle est terre, donc enjeu naturaliste d'une fronde royaliste Chouan, menée depuis Londres, et venue par bateau (les scènes de bateau étant les moments les plus inspirés de la première partie du film). Les plans en plein air de tribunes politiques édifiées sur les roches donne lentement au film un coté calcaire, minéral qui a quelque chose à voir avec le charme, plus tard, des Contrebandiers de Moonfleet (de Fritz Lang) ou de Iguana (de Monte Hellman).

La seconde partie du film va effacer progressivement ce qui rendait la première partie fragile, ce rythme trop linéaire, qui mettait tout en scène sur un même ton, enchaînant des positions dans le plan qui sont peu à peu les mêmes, ne confrontant pas les points de vues mais les faisant glisser. On imagine le désarroi d'un spectateur de 1921, déjà habitué à la dialectique d'un Griffith (chez qui les évènements s'affrontaient) face à ce film qui ne met en place, pour l'instant, que des successions de scènes, et déplacements. La seconde partie est heureusement plus nerveuse, plus consciente dans son découpage des avancées du cinéma depuis 1914, et plus inspirée aussi dans ses compositions ( l'arrivée du vieux dans le village en ruine est assez belle, qui profite assez bien de l'effet visuel que diffuse la fumée).

Le film montre alors à quel point Capellani était le seul en France à aimer les scènes de troupes, les plans dans lesquels il y a foule, combien il apprenait film après film à les mettre en scène, à insuffler du mouvement dans leur composition. La mise en scène de la bataille finale montre un cinéaste essentiellement préoccupé par des questions de mise en scène de groupe : comment les ordonner, comment réinventer l'élan à chaque plan ? Il y a un coté meneur de troupe, ou général des armées dans son cinéma, qui donne une ironie supplémentaire à ce film qui devait précéder de quelques heures l'entrée en guerre du monde en 1914.

Dans les scènes représentant la dérive de Franchète, il retrouve ses accents pastoraux, se sert comme il veut de la lumière, des reflets, du mouvement. Il prend la scène depuis l'autre rive de la rivière et lui donne une grâce, une ampleur unique. Ce que confirment plus tard les très beau clairs-obscurs du cachot final. La lumière de l'aube, le matin de l'évasion, l'insistance de la lueur : Albert Capellani encore et toujours peintre.

On finit par retrouver, comme dans Germinal, l'affirmation d'une croyance dans le plan, dans la force même du plan. Si Capellani apparaît moderne aujourd'hui, en dépit d'une certaine théâtralité propre à son époque, c'est par cette croyance-là, qui nous arrive intacte.

Que filme Quatre-Vingt-treize ? Le corps disloqué d'une nation : la France dont la guerre civile signe le démembrement. L'unité de récit qui hante la première partie est à regarder dans ce sens là. Le film est garant d'une unité que le récit met à mal. La noirceur de la dernière séquence, où Cimourdain demande à Gauvain à quoi il pense («Je pense à l'avenir» continue de lui répondre Gauvain, qui s'apprête pourtant à être exécuté à l'aube) c'est celle d'une France à nouveau tournée vers des temps crépusculaires. On comprend que la question de finir et sortir ce film ait été évitée, contournée, jusqu'en 1921 – il est probable qu'au sortir de la grande Guerre, le public en recherche de distractions cinématographiques ne voulait plus avoir à affronter ce crépuscule à nouveau.

A tous les égards, Quatre-Vingt-treize est un film pris en défaut par le temps. En 1914, il est contemporain des peurs de l'époque et d'une certaine manière s'apprêtait à les devancer. En 1921, il est une peinture obscure que personne n'a envie de voir.

Philippe Azoury

Autour du film

Autour du réalisateur

  • David Bordwell's website on cinema

    Capellani trionfante

    http://www.davidbordwell.net/blog/2011/07/14/capellani-trionfante/

  • Christine Leteux, Albert Capellani, cinéaste du romanesque, Editions La tour verte, Grandvilliers, 2013.

  • Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains - histoire d'une rencontre 1906-1914, Ecole Nationale des Chartes/ AFHRC, 2002.