La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • India - Roberto Rossellini - 1957 - Collections La Cinémathèque française © Renzo Rossellini
  • India - Roberto Rossellini - 1957 - Collections La Cinémathèque française © Renzo Rossellini
  • India - Roberto Rossellini - 1957 - Collections La Cinémathèque française © Renzo Rossellini
  • India - Roberto Rossellini - 1957 - Collections La Cinémathèque française © Renzo Rossellini
  • India - Roberto Rossellini - 1957 - Collections La Cinémathèque française © Renzo Rossellini
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
Roberto Rossellini / Non-fiction / Italie / 1957

Images de Bombay, « porte d'entrée de l'Inde ». L'Inde, c'est aussi une multitude de villages. Dans l'un d'eux, un mahout (conducteur d'éléphant) raconte son travail dans la forêt et, après le labeur, le rituel quotidien du bain de l'animal dans la rivière. Des marionnettistes ambulants sont arrivés au village. Le narrateur s'éprend d'une des jeunes artistes. C'est aussi la saison des amours pour les éléphants. Dix mois plus tard, la femme et l'éléphante du mahout sont enceintes. Pour dompter les crues provoquées par la mousson, un barrage coupe désormais le fleuve Mahanadi. Le narrateur, un des trente cinq mille ouvriers du chantier, parcourt une dernière fois la gigantesque réalisation qui a causé la mort de soixante quinze hommes, dont son frère. II prend un bain rituel dans le lac artificiel et, le lendemain, part vers un autre travail avec sa femme et leur enfant, né pendant la construction. La jungle. Le narrateur, âgé de quatre-vingts ans, y vit avec sa femme une vie contemplative. Scènes quotidiennes. Un jour, des prospecteurs de fer arrivent et le bruit du forage fait déguerpir tous les animaux de la jungle. Le tigre, affamé, s'en prend à l'homme. Un matin, le vieillard se lève avant les chasseurs et allume un grand feu pour faire fuir le fauve vers d'autres terrains de chasse. Sous un soleil écrasant, un homme et son singe savant se rendent à la fête d'un village. Mais en chemin, l'homme meurt. Le petit singe éloigne un temps les vautours, puis va jusqu'au village où il fait son numéro sans savoir que faire des pièces qu'on lui lance. Il est recueilli par un nouveau maître. C'est la fin du voyage; nouvelles images de foules urbaines, un dernier plan sur un vol d'oiseaux.

  • Titre original : India, matri bhumi
  • Autre titre : Matri Bhumi
  • Genre : Faux Documentaire
  • Année de production : 1957
  • Année de sortie d'origine : 1959
  • Date de sortie en France : 20 janvier 1999
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 2999 m
  • Visa d'exploitation : 21799
Lieux de tournage :
  • (Extérieur) , Inde

Roberto Rossellini avait donné à Henri Langlois la seule copie de la version française d'India, version qu'il considérait comme l'originale et qui fut présentée à Cannes en mai 1959. Cette copie, perdue puis retrouvée, perdait cette fois ses couleurs qui viraient toutes au rouge. Grâce aux compétences techniques acquises par le laboratoire Neyrac-Film, une restitution plus proche des couleurs d'origine a peu être menée à terme. De même, le son, qui était étouffé, a été éclairci et rendu de nouveau audible.

Claudine Kaufmann et Bernard Martinand

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
1996CouleurFrançais2585 m24 i/s94 min35

Vivre sa vie

Le voyage en Inde de 1956-1957 procède, pour Rossellini, d'un double mouvement. Depuis deux ans (son dernier film est Angst/la Peur, en 1954), il traverse un moment de crise généralisée : séparation d'avec Ingrid Bergman, échecs publics et attaques critiques répétés qui menacent sa carrière de cinéaste en Italie, doutes sur sa capacité à renouveler son inspiration dans une Europe qui lui semble spirituellement essoufflée. Il part en Inde à la rencontre d'un véritable continent d'altérité où il espère raviver sa curiosité, son désir de comprendre et de filmer, sa vitalité. Cette rencontre avec la « Terre mère » va dépasser ses espérances : il en sort totalement enthousiaste, régénéré, pétillant d'idées et porteur d'un grand projet de cinéma et de télévision qui va devenir celui de sa quatrième et dernière vie de cinéaste. Mais dans ce pays inconnu - il semble en avoir été surpris lui-même - le choc de l'altérité s'accompagne d'un mouvement en retour, autoanalytique, où c'est une part de lui-même et de son passé qu'il retrouve : « Ce pays si différent de l'Italie, c'est un peu ma maison paternelle vers laquelle on revient pour Noël : j'ai eu l'impression de retrouver Naples[1] ». «N'était-ce pas là, peut-être, un retour, physiquement, à l'extraordinaire atmosphère dans laquelle nous vivions en Italie de 1944 à 1946, alors que étions comme des enfants lancés à la découverte de la vie[2] ? » Ce retour n'est pas régressif-sombre, ce sont des retrouvailles avec la fraîcheur des perceptions dans l'enfance, la vivacité des sensations liées à toutes les grandes premières fois des découvertes de la vie.

Le film est travaillé par ces deux mouvements : un mouvement vers le monde indien (où Rossellini s'émerveille comme un enfant de l'altérité du monde, de la nature, des animaux) ; le mouvement de retour sur soi d'un homme mûr - il vient d'avoir cinquante ans - qui accomplit le travail de deuil d'une vie antérieure par le truchement de ce pays où il croit retrouver ses «vraies» origines de « drapé» romain. Ainsi que les vertus conjointes de la paresse active, de la contemplation méditative et de la tolérance qu'il dénie aux civilisations «cousues» et activistes.

Pour les lier, Rossellini invente un tressage inédit depuis que l'on fait des films, comme s'il avait trouvé en Inde la formule qui ne devait servir qu'une fois, et dont ce film unique porte aujourd'hui encore l'émotion perdue.

On peut aussi appeler ce double mouvement à l'intérieur d’India : documentaire et fiction.

On sait que Rossellini a commencé par filmer en 16 min (avec deux caméras, une muette et une sonore, sur pellicules couleur Ferrania et Kodak, entre décembre 1956 et mars 1957) des heures de plans documentaires sur sa découverte de l'Inde, à la fois repérages pour le grand film et matériaux pour les futures émissions de télévision[3]. Puis entre mars et juin 1957, il tourne en 35 mm (sur pellicule Gevaert) les quatre histoires d'India, inspirées de faits-divers, et dont Rossellini dit qu'elles sont « probables et ne proviennent pas seulement de l'imagination »[4]. Plus tard, au montage, il intègrera aux plans tournés directement en 35 mm des plans documentaires 16 mm gonflés, pour la plupart des plans d'animaux sauvages : tigres, vautours, singes.

Chaque fois qu'il parle de ces deux tournages, il insiste sur le fait qu'avec le documentaire en 16 mm, il a retrouvé un plaisir perdu, l'enfance de son art : « Aujourd'hui, dit-il en 1958, je suis un vieux du cinéma. L'amusement d'être derrière la caméra est fini pour moi. Pourtant, je puis vous dire qu'avec le 16 mm je me suis amusés [5] ». On le voit même, sur certaines photos de ce premier tournage, filmer directement lui-même à la petite Paillard, sans l'aide d'Alda Tonti. « Lorsque je tournais le film proprement dit, avoue-t-il, je m'amusais moins[6]. » C'est que la fiction du « grand » film, même considérablement allégée, même fragmentaire, même fondée sur des faits-divers, le ramène à lui-même et à ce difficile passage dans sa vie d'homme.

Tout a été dit sur ce film de l'après Ingrid Bergman, sauf peut-être à quel point les quatre épisodes sont autant de variations sur un même sentiment précis, celui de la mélancolie après une séparation pourtant rationnellement nécessaire et inévitable. Rossellini dit en 1959 que dans ce film, contrairement à ceux de la période précédente, la fiction ne naît pas d'un conflit. C'est effectivement du travail de deuil d'après l'affrontement, quand la rupture est consommée, dont nous parlent en sourdine les quatre mouvements.

Le premier épisode se clôt sur le départ de la jeune épousée du mahout qui quitte son mari pour aller accoucher chez sa mère car celui-ci a trop à faire avec son éléphant (dont il est à la fois le maître et le serviteur) pour s'occuper d'elle. Dans le deuxième épisode, le couple qui vit depuis des années sur ce site du barrage où est né leur enfant, éprouve dans une mélancolie douloureuse ce moment où il leur faut quitter la région, maintenant que le chantier est terminé. L'homme fait une dernière promenade méditative dans ces lieux où il abandonne une partie de sa vie. Le vieil homme du troisième épisode met volontairement le feu à la forêt pour que « son » tigre échappe à la battue. Il l'éloigne du même coup définitivement de lui. L'animal, familier au vieillard contemplatif, est devenu mangeur d'homme à la suite d'un déséquilibre écologique provoqué par la cupidité des hommes. Dans le dernier épisode, le singe savant doit abandonner son maître aux vautours, dans le désert où il est mort d'un coup de chaleur. « Alors, dit Rossellini, le pauvre singe qui n'est plus un singe ni un homme, éprouve le besoin d'aller à la fois chez les singes et chez les hommes, de retourner en arrière et d'aller en avant. C'est bien là le drame qui est notre drame à tous[7] »

L'aveu est fait : India n'est pas un film aussi non-autobiographique que Rossellini n'a cessé de le proclamer. Sa rencontre avec ce pays lui permet de résoudre cette contradiction qu'il lui faut à la fois retourner en arrière (la fiction) et aller en avant (le documentaire comme rencontre, émerveillement, découverte) pour recommencer à vivre et à filmer.

Alain Bergala

(texte initialement publié dans La Persistance des images, éd. Cinémathèque française, Paris, 1996.)

[1] « Le pays des hommes drapés vu par un homme cousu », entretien avec François Tranchant et J.M. Vérité, Cinéma 59, mai 1959.

[2] Déclaration de Roberto Rossellini à la radio, mai 1960.

[3] A partir de ce matériel tourné en 16 mm, Rossellini a réalisé deux séries de dix épisodes pour la télévision, qui ont été diffusées en noir et blanc en France

[4]Présentation télévisée, réalisée pour l'ORTF en 1962, en vue d'un cycle jamais programmé, Roberto Rossellini, Cahiers du cinéma/La Cinémathèque française, 1990.

[5] « Comment sauver le cinéma », entretien avec André Bazin et Jacques Rivette, France-Observateur, n° 413, 10 avril 1958.

[6] « Le cinéma, la télévision, la technique », entretien avec Roberto Rossellini. France-Observateur, n° 442. 23 octobre 1958.

[7]« Entretien avec Roberto Rossellini », par Fereydoun Hoveyda et Jacques Rivette, Cahiers du cinéma, n° 94, avril 1959.

Autour du film

Autour du réalisateur

  • Romain Lefebvre, Le motif de la croyance à travers le cinéma de Roberto Rossellini, projet de thèse, préparation à Lille 3, dans le cadre de Ecole doctorale Sciences de l'homme et de la société (Villeneuve d'Ascq) depuis le 01-10-2010, Sous la direction de Edouard Arnoldy et de Dork Zabunyan.

    http://www.theses.fr/s46331