La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages

Jacques Feyder

« Jacques Feyder est au cinéma français ce que Degas fut à l'impressionnisme, ce que Ravel fut au réveil de la musique française. » Henri Langlois

Jacques Feyder débute comme acteur chez Gaumont, avant de devenir réalisateur pour la firme et de tourner, de 1916 à 1919, de nombreux films comiques tel que Le Pied qui étreint. En 1921, il réalise L'Atlantide, d'après l'œuvre de Pierre Benoît, qui rencontre un véritable triomphe aussi bien en France qu'à l'étranger. Malheureusement, les films qui suivront ne connaîtront pas tous le même succès. Parce qu'il n'est pas ce qu'on peut appeler un auteur de films « commerciaux », Feyder est, certes, un cinéaste reconnu et apprécié mais un cinéaste en difficulté. Les déconvenues s'enchaînent, notamment avec Visages d'enfants et L'Image. En 1925, il s'associe au producteur Alexandre Kamenka, directeur de la société de production venue de Russie, Les Films Albatros, alors à la recherche de collaboration avec des cinéastes français (ce sera le cas avec Jean Epstein, Marcel L'Herbier, René Clair). Kamenka met à la disposition du cinéaste toute son équipe des studios de Montreuil et favorise d'heureuses rencontres, comme celle avec le décorateur Lazare Meerson, avec qui il s'associe sur de nombreux projets et durant de longues années. Pour Albatros, Jacques Feyder réalise Gribiche en 1925, puis Carmen en 1926 et Les Nouveaux Messieurs en 1928, avant son départ pour les États-Unis en 1929. Il y tourne quelques films, notamment The Kiss, avec Greta Garbo, puis revient en France où il réalise les œuvres qui feront définitivement sa renommée : Le Grand Jeu, Pension Mimosa et La Kermesse héroïque.

Scénariste et adaptateur hors pair, il se confronte à tous les genres. Bien que maîtrisant parfaitement les techniques cinématographiques, sa mise en scène reste volontairement sobre et retenue, sans extravagance mais exigeante. Il est considéré comme un cinéaste du réalisme, d'une part parce qu'il analyse et retranscris avec justesse à l'écran les sentiments humains, mais également parce qu'il apporte un soin tout particulier à la confection des décors et qu'il tourne quasiment systématiquement ses scènes en extérieur. Il est d'ailleurs l'auteur d'une œuvre qui a su traverser les frontières, que ce soit en s'engageant dans des productions étrangères, à Hollywood, en Angleterre, ou bien à travers des lieux et des sujets qui l'inspirent : le Sahara de L'Atlantide, le Cambodge pour son projet du Roi lépreux ou l'Espagne de Carmen.

« Jacques Feyder est au cinéma français ce que Degas fut à l'impressionnisme, ce que Ravel fut au réveil de la musique française, déclarait Henri Langlois. Et c'est pourquoi de tous les cinéastes français de sa génération, il fut le seul qu'Hollywood fit sien, comme il l'avait fait de Lubitsch, de Sjostrom et de Murnau. Il suffisait de quelques minutes de conversation avec un Grémillon, un Carné, pour saisir tout ce qu'il représentait pour eux et pour tant d'autres dans les générations qui suivirent, celle de Gance et de Germaine Dulac. De Gance, on dit toujours qu'il est un génie, de Feyder, on dit qu'il est un maître. Son œuvre fut exemplaire pour tous ceux qui, vers 1924, préparèrent le devenir du cinéma français. Et il fut le seul de nos cinéastes à avoir marqué au temps du muet, de son influence, le cinéma allemand. Thérèse Raquin fut une date, un tournant, la fin de l'expressionnisme. Pour nous autres, Jacques Feyder est l'homme qui est le trait d'union entre notre grand cinéma des années 10 et celui des années 30, comme René Clair fut le trait d'union entre le cinéma muet et le cinéma parlant ».

Pour Langlois, le passage de Jacques Feyder chez Albatros n'est pas anecdotique. Si Gribiche est une œuvre de transition, Carmen est un compromis dont Feyder se relève grandi, notamment grâce à l'immense talent de Lazare Meerson, et Les Nouveaux Messieurs est « l'une des œuvres les plus parfaites du muet, une réussite totale, tellement copiée depuis, qu'il a fallu des années pour retrouver sa valeur originale ».

Grâce au don du producteur Alexandre Kamenka, ces films réalisés par Feyder au sein de la société Albatros ont pu être conservés et restaurés. En effet, au moment même de la création de la Cinémathèque française, Kamenka a confié à Henri Langlois l'ensemble des films qu'il avait produit, et plus tard diverses archives : des photographies, des dessins, des affiches et toute sorte de documents relatifs à la production des films. Tout ceci constitue aujourd'hui le fonds Albatros, un des joyaux des collections de la Cinémathèque française.

Ces archives sont complétées par le récent fonds Feyder. En février 2012, grâce au don de son petit-fils Jacques Frédérix, la Cinémathèque française a fait l'acquisition des archives du cinéaste, ainsi que de celles de son épouse Françoise Rosay. D'une grande richesse, le fonds est constitué de manuscrits de scénarios et de pièces de théâtre, de projets divers, correspondances, contrats, photographies, dessins et documents relatifs à la vie privée.

Samantha Leroy