La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • Les Misérables - Albert Capellani - 1912 - Collections La Cinémathèque française
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Les Misérables

Albert Capellani / Fiction / France / 1912

Adaptation en quatre épisodes du roman de Victor Hugo racontant la chute de Jean Valjean, envoyé au bagne pour avoir volé du pain, son évasion, sa reconversion en notable et comment dès lors il sera poursuivi sans relâche par Javert, l'ancien garde chiourne du bagne, qui refuse, d'années en années, d'oublier sa fuite. 1ère époque : Jean Valjean (805 mètres. Sortie : 3 janvier 1913) 2ème époque : Fantine (800 mètres, sortie 3 janvier 1913) 3ème époque : Cosette (730 mètres, sortie 17 janvier 1913) 4ème époque : Cosette et Marius (1110 mètres, sortie 24 janvier 1913).

  • Titre original : Les Misérables
  • Genre : Drame social
  • Année de production : 1912
  • Année de sortie d'origine : 1913
  • Date de sortie en France : 3 janvier 1913
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 3445 m

Tirage réalisé en 1985 établi à partir d'un contretype issu des collections de la Cinémathèque française.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
1985Noir et blancFrançais3310 m18 i/s160 min35

Projections notables (avec accompagnement musical)

Date de projectionLieuAccompagnement musicalCommentaire
2010-07-01Il Cinema Ritrovato - BologneRétrospective Albert Capellani - édition 2010 - Cinémathèque de Bologne

Les Misérables est un des premiers longs-métrages produit en France, c'est – en quatre épisodes – un film à la longueur exceptionnelle dont l'horizon premier est de démontrer de quelle façon le cinéma, à coté du roman ou du théâtre peut désormais faire récit.

Le film est habité par un soin exceptionnel, pour 1912, à vouloir découper les scènes, à vouloir jouer avec les décors naturels : la séquence – au premier épisode – où Valjean vole le pain est, à ce titre, une leçon. Elle démontre en quelques minutes de quelle façon le cinéma peut aujourd'hui s'ériger en récit, jouer avec les espaces, insuffler un rythme qui n'est plus comparable à du seul théâtre filmé.

L'autre ambition (inavouée ?) de Capellani avec ce film est d'arriver à hisser le cinéma jusqu'à Victor Hugo, à la hauteur de sa stature – Hugo est avec Emile Zola et André Antoine, la figure tutélaire sur laquelle s'appuie toute l'esthétique de Capellani, à la fois par son sens du récit époque et par sa morale républicaine.

Tout son travail consiste justement à ne pas anoblir le cinéma (ce qui reviendrait à l'emprisonner dans une représentation figée) mais le placer dans un dialogue permanent, brouillon, vivant, animé, avec la peinture, la littérature, la photographie (le film cite la photo célèbre des cadavres de la Commune de Paris) ou le théâtre naturaliste. Les uns comme les autres sont sur une recherche du réalisme, du naturalisme et avec Capellani le cinéma leur enjoint le pas.

C'est, partout, un film qui recherche l'ampleur : il y a de la foule dans chaque séquence, de la figuration, du monde, à chaque plan. Au bagne, le jeu est âpre, la carrière de pierre englobe les hommes, les figurants ont des trognes, les plans respirent. Capellani se permet même une scène impressionnante de précision : celle la vérification des fers. Il y a là une façon presque mythique de filmer le bagnard. L'évasion de Valjean en seulement un plan est magnifique : sa cellule est sombre, ébloui uniquement par la lumière blanche derrière les barreaux, qu'il scie avant de plonger dans le blanc (en plan presque serré !).

Une façon de jouer avec la lumière et les clairs-obscurs que l'on retrouve dans un très beau plan où Valjean, poussé par la misère à voler l'argenterie de son hôte, l'Abbé Myriel, est filmé d'assez près, avec une lumière haute (on est en pleine nuit) venue de l'extérieur – lumière dont on ne connaît pas la source et qui est presque comme un châtiment divin, une lecture morale du geste. Krauss, qui incarne Valjean, fait la démonstration qu'en 1912 un jeu tout en retenue est d'ores et déjà possible. Ainsi, quand il comprend que Javert l'ancien garde-chiourme du bagne de Toulon est désormais dans la région : aucune gesticulation immature, aucune grimace, juste un jeu concentré, presque moderne ! On peut trouver paradoxal que ce soit par une adaptation littéraire que le cinéma se soit engagé sur une voie réaliste qu'il n'a cessé d'explorer et d'expérimenter depuis.

On peut aussi trouver pertinent que ce soit les théories de Zola sur le naturalisme qui ait permis que le cinéma apprenne la retenue, et que le jeu d'acteur prenne (au fur et à mesure que la caméra se rapproche et abandonne un mode de représentation qui reproduit le point de vue d'un spectateur au théâtre) une autre dimension : Krauss est, à ce moment-là, l'acteur le plus impressionnant en France. Son jeu aurait pu être l'unique objet de fascination de Capellani. Il ne l'empêche pourtant pas d'innover, ou d'essayer enfin dans un format long les expérimentaitons qu'il avait mis en œuvre dès 1907 : ainsi, le fash-back en surimpression (par exemple, lors du récit de Fantine), une forme de récit dans le récit qui était devenu sa spécialité dans des films au métrage plus modeste. Mais encore, des audaces graphiques : ainsi, lorsque Valjean, devenu maire de la commune, personnalité double, est pris devant le dilemme philosophique de devoir vivre libre ou de faire emprisonner un inconnu à sa place. Capellani choisit de représenter cette dualité devenue folle en filmant un Valjean pris d'insomnie et qui, quand il se lève la nuit, tourne comme un lion en cage dans son bureau, avec au mur un grand miroir accroché de façon un peu trop penchée pour qu'on puisse voir, à l'image, son image se refléter ! Autre marque d'audace, le gros plan sur le bras tatoué du forçat. Ce plan est bien entendu le climax du procès de Valjean, mais il est aussi cet insert magnifique contre lequel toute l'esthétique du film vient s'amarrer. A contrario de cette esthétique qui demande toujours plus de réalisme, qui fait alliance entre le charbonneux et la franche lumière du soleil, la représentation des Thénardiers qui verse dans la caricature, et ramène le film à des archaïsmes d'avant 1912, voire aux premières années du cinéma forain.

Ici le réalisme réside dans l'alliance du pur charbonneux et de la brutale lumière du soleil. Ainsi, l'épisode de l'insurrection est passionnant à regarder : Capellani organise peu à peu l'espace en un joyeux bazar, le saturant d'une, deux, trois couches de révoltés, jusqu'à ce qu'on ne voit plus rien dans le plan sinon du mouvement. Ce plan bouché est chez lui synonyme de désordre.

Mais au montage, il joue l'affrontement de deux blocs d'espace : un de face (les gardes) contre un de dos (les insurgés). Pour détourner cette opposition trop franche, il se sert d'un espace sous l'espace, d'une scène sous la scène : les égouts. Cela deviendra, dans Germinal, dans Le Chevalier de Maison-Rouge, un des effets préférés de Capellani en matière de scénographie : le moment où il creuse dans le fonds du plan, dans l'arrière-plan ou, comme ici, dans le sol de la scène, mettant en place une dialectique – inédite au cinéma - entre le dessus et le dessous.

La fin du film, cependant déçoit. Assis chez lui, dans une scénographie qui n'a plus aucune trace de modernité (théâtrale, donc), Valjean voit apparaître en surimpression l'image de l'Abbé Myriel. Son image vient bénir Valjean, un Valjean lavé de tous ses péchés, de tous ses secrets ; Cosette et Olive sont à son chevet. L'ordre du monde est rétabli.

Mais est-ce que chez Capellani, la nature, le dehors, le mouvement sont le désordre ? Si oui, n'est-ce pas un beau désordre ? Est-ce un désordre à bannir ? Tout le film, qui semble porter pour projet esthétique le titre des chroniques de Victor Hugo, Choses vues, semble être la démonstration qu'au contraire le cinéma est l'expression d'un mouvement brouillon.

Philippe Azoury

Autour du film

Autour du réalisateur

  • David Bordwell's website on cinema

    Capellani trionfante

    http://www.davidbordwell.net/blog/2011/07/14/capellani-trionfante/

  • Christine Leteux, Albert Capellani, cinéaste du romanesque, Editions La tour verte, Grandvilliers, 2013.

  • Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains - histoire d'une rencontre 1906-1914, Ecole Nationale des Chartes/ AFHRC, 2002.