La Cinémathèque française Catalogue des restaurations et tirages
  • The Despoiler (Châtiment) - Reginald Barker - 1915 - Collections La Cinémathèque française
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The Despoiler

Reginald Barker / Fiction / Etats-Unis / 1915

Postées à la frontière turco-arménienne, les troupes kurdes du Khàn Ouârdaliah (Frank Keenan) sous le commandement du colonel allemand Franz von Werfel (Charles K. French), opèrent pour le compte des empires centraux. Les deux bandits pénètrent en Arménie, semant l'épouvante dans Kérouassi. Les femmes et les enfants se réfugient dans une abbaye, les notables sont arrêtés : s'ils ne livrent pas tous leurs biens, leurs femmes et leurs filles seront emmenées en captivité. Or, dans le tumulte de l'invasion, Béatrice, la fille du colonel (Enid Markey), qui cherchait à rejoindre son père, trouve elle aussi refuge dans l'abbaye. Les otages n'ayant pas cédé au chantage, Von Werfel livre l'abbaye à la fureur de Ouârdaliah. À condition que ses compagnes soient épargnées, Béatrice accepte de se livrer au Khân - qui la convoite. Au terme de l'horrible sacrifice, la jeune fille, à demi-folle, profite du sommeil de son tortionnaire pour s'emparer de son arme et, après une prière d'absolution, le tue. Aveuglé par la vengeance, Von Werfel fait fusiller la coupable avant de comprendre qu'il s'agissait de sa propre fille. Accablé, il épargne les malheureuses captives et entraîne ses mercenaires vers d'autres destinées.

  • Titre original : The Despoiler
  • Titre parallèle : Châtiment
  • Genres : Drame - Film de guerre
  • Année de production : 1915
  • Année de sortie d'origine : 1915
  • Date de sortie en France : 18 mai 1917
  • Format d'origine : 35
  • Métrage d'origine : 1738 m

Un film restauré en 2010 par la Cinémathèque française à partir d’une copie d’exploitation nitrate teintée issue de ses collections. Cette copie semble être l’unique élément filmique de The Despoiler conservé à ce jour, mais il s’agit d’une version courte, dont l’histoire diffère de la version longue d’origine : les intertitres et le montage ont été modifiés à des fins de propagande vers 1917. Par ailleurs, cet élément provient de sources différentes : les deux premières bobines sont issues d’un contretype, tandis que les troisième et quatrième bobines sont directement issues du négatif original. La copie restaurée a été tirée sur émulsion noir et blanc, les quelques plans couleur ont été tirés sur émulsion couleur avec le procédé Desmetcolor.

Les travaux ont été menés au laboratoire ANIM.

Pour aller plus loin : consulter le dossier complet sur la restauration, accessible depuis les ressources.

Informations techniques sur les copies

Année du tirageProcédé imageVersionMétrageCadenceMinutageFormat
2010Procédé Desmet Français1249 m18 i/s60 min35

Ce film est tout simplement étonnant. Il est réalisé par Reginald Barker, bras droit de Thomas H. Ince en matière de réalisation (il co-signe avec lui le monumental Civilization de 1916), avec un talent que la cinéphilie classique a tout simplement omis de retenir, alors que l'homme est aux commandes pour tous les films de prestige de la New York Motion Picture sous le label Kay Bee. Associé ici au directeur de la photographie Robert Newhard, il atteint des sommets dans la mise en scène et dans l'éclairage des scènes. Signe de l'importance du film dans la politique de la Triangle : il fait partie des premiers programmes lancés puisqu'il est diffusé à New York le 15 décembre 1915.

Mais l'étonnement ne s'arrête pas là : le film s'empare d'une question d'actualité internationale brulante : le génocide arménien dont les plus grands crimes relèvent de cette même année 1915. Certes des précautions ont été prises et les indications sont relativement brouillées, mais l'essentiel est bien là et est bien indiqué : l'action se passe en Arménie entre des tenants de l'Islam et les tenants de la Chrétienté. Pour corser le tout, le clou du film est une scène de viol répétée, impliquant les deux plus grandes stars de la Kay Bee : Frank Keenan, dans le rôle de l'émir amateur de chair fraîche, et Enid Markey, dans le rôle de la martyre se sacrifiant pour sauver les religieuses qui l'ont abritée. Cette violence peu voilée vaudra au film de sérieux ennuis avec la censure américaine, à tel point semble-t-il qu'il n'a pas pu être diffusé par la Triangle même, mais par une société montée en hâte à cette seule fin. Symétriquement, cela fera sans doute le bonheur de sa distribution en France, dans la mesure où le méchant est soutenu, par la grâce des cartons, par un colonel allemand.

Il faut ici ouvrir une parenthèse : la copie (française) dont on dispose montre des troupes kurdes à l'assaut d'une abbaye, pendant qu'un officier européen demande à un conseil municipal de livrer la ville sans combat. Dans le générique américain, le colonel et sa fille ont des noms à consonance française (Damien), alors que la copie française prend le soin de leur attribuer des noms à consonance germanique.

Revenons sur une structure selon la coda chère aux films de l'époque dans le cercle de Griffith : dans un réduit, la civilisation risque de succomber au siège et à l'assaut de sauvages omniprésents. Dans le schéma habituel, une cavalerie arrive au dernier moment pour empêcher le massacre final. Mais Ince et Barker ont décidé de pousser le bouchon ici plus loin : non seulement il n'y aura pas de sauvetage final, mais en plus la victime des viols, meurtrière de son agresseur, sera abattue par son propre père colonel, qui ne la reconnaît pas sous le voile où elle pensait se cacher (le père tuant par mégarde son enfant dans le contexte d'une guerre civile est un schéma narratif exploité à l'envi par Ince, de la Mutual à la Triangle). Il faudra qu'il reconnaisse sa terrible méprise pour arrêter le carnage qu'il était en train d'autoriser.

Le premier viol a eu lieu dans une pièce presque entièrement plongée dans le noir. Dans le film, on sort du noir quasi-complet lorsque l'émir allume au premier plan et en plein milieu de l'image une unique et frêle bougie. Le second viol semble évoqué entre le retour de l'émir avec sa bouteille de Chianti (!) et la découverte du révolver sur la table (...). On est ainsi passé de l'obscurité à la lumière. La situation se renverse quand, déjà touché par une balle, l'émir renverse la table et la bougie avec, permettant à l'obscurité de se réinstaller. Le jeu sur la lumière accompagne et souligne donc l'intensité dramatique. Jeu qu'il faut mettre en relation avec ce qu'étaient les codes du teintage, à l'époque : bleu pour les extérieurs nuit, ambre pour les intérieurs, rose pour les extérieurs de l'aube.

Le film démontre les ambitions esthétiques et politiques de la Triangle qui entend bien rendre compte, à travers ses longs métrages, de la situation internationale et des hésitations des États-Unis dans la conduite à suivre. Par exemple, on ne sait pas si la censure, contrariant la distribution du film sur le sol américain, a visé en priorité l'évocation trop insistante d'un viol ou la représentation trop transparente des liens entre les Turcs et les Allemands.

Marc Vernet

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