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Bibliographie


Projets non aboutis : Zhung-kuo (1926)

Il est vraisemblable que c'est à Sergueï Trétiakov que l'on doit l'idée d'un film sur le mouvement révolutionnaire chinois. Eisenstein et lui avaient collaboré et s'étaient liés d'amitié au théâtre du Proletkult. En 1924-1925, Trétiakov enseignait la littérature russe classique et contemporaine à l'université de Pékin. Rentré en URSS, il écrit Hurle, Chine !, une pièce mise en scène par un ami d'Eisenstein - Vassili Fédorov - selon les recommandations du maître lui-même, V. Meyerhold (la première eut lieu le 23 janvier 1926, pratiquement en même temps que la première du Potemkine). Quelque temps après, Eisenstein et lui proposent à Goskino d'organiser une expédition en Chine. Sortant de deux films sur l'histoire de la révolution russe, il souhaitait confronter son expérience à des événements directement contemporains. « Lorsque nous eûmes terminé le Cuirassé Potemkine, deux questions brûlantes se posèrent à nous : les événements de Canton ou la campagne soviétique ? » (Rabotchaïa Moskva, 22 février 1929).

Eisenstein va résoudre ce dilemme avec le livret d'un film en trois parties, dont on doit l'essentiel de la trame à Trétiakov, intitulé Zhung-kuo (ce qui signifie Chine en chinois) : 1. « le péril jaune » (l'histoire d'un batelier et de sa fille vendue dans une maison publique, sur fond d'une Chine doublement victime de l'impérialisme et des rivalités entre généraux de guerre. Le batelier devient soldat, puis bandit ; la jeune fille passe de la « maison de thé » dans le lit de l'empereur Pou Yi) ; 2. « l'express bleu » (la Chine cesse de redouter les étrangers et commence à leur porter des coups ; l'attaque d'un train rempli d'Européens sur la ligne Shangai-Tientsin) ; 3. « la Chine hurle » (la Chine s'organise pour lutter contre l'impérialisme ; le soulèvement des ouvriers de Shangaï et de Canton contre les « tigres de papier » et l'intervention de l'escadre anglaise).

Le projet ne fut pas mené à bien pour au moins deux raisons : la complexité d'organisation d'une telle expédition (et son coût en devises!) ainsi que les bouleversements politiques intervenus entre-temps en Chine.

On peut également penser que le côté « aventures exotiques » du projet ne correspond pas à ce qu'Eisenstein pensait à la même époque : « Longtemps avant la sortie de la Grève, nous opposant à l'individualisme de l'Occident nous écrivions [...]: a) à bas les personnages individuels (les héros coupés des masses), b) à bas la chaîne individuelle des événements (l'intrigue-la fable). » (« Béla oublie les ciseaux », Kino Gazeta, 10 août 1926).

Il n'en reste pas moins que ce projet est à l'origine de deux autres films soviétiques : en 1928, le Document de Shangai (de Yakov Bliokh, qui était par ailleurs le directeur du studio de Goskino où Eisenstein avait réalisé le Potemkine), et, en 1929 l'Express bleu d'Ilya Trauberg (qui avait été son assistant sur Octobre).

Au bout du compte, Eisenstein, sur la sollicitation de G. Alexandrov, va se tourner vers la seconde éventualité initialement envisagée : cela donnera la Ligne générale.

Bibliographie :

TRETIAKOV, Sergueï, « La Chine au cinéma », Sovietskoïe Kino, 1927, n° 5-6.

KRASSOVSKI,Youri, « Un projet inabouti », Iz Istorii Kino, 1962, n° 5, pp. 107-119.