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Projets non aboutis : Moscou (1933)

La lutte engagée par les autorités contre l'école historique dirigée par Mikhaïl Pokrovski incite la direction du cinéma à entreprendre la réalisation d'une série de films d'histoire conformes à la ligne circonstancielle du moment. Eisenstein se voit confier un projet sur l'histoire de Moscou, sous la responsabilité du Komsomol de la ville.

Commencé en juin 1933, le travail préparatoire de Moscou prend forme le 11 juillet avec la publication de l'article « Moscou à travers les âges », qui expose le projet général d'Eisenstein : « Dans notre nouveau film, nous n'insérons pas la dynamique des événements qui ont fait Moscou dans le calendrier de l'histoire de Moscou, pas plus que dans l'histoire exhaustive de la classe ouvrière et de la lutte des classes. Notre projet est de ressusciter en toile de fond « l'histoire de l'État de Russie ». » C'est effectivement de cela qu'il est question, sous la forme de l'épopée : de la naissance de la Principauté de Moscou aux temps présents, en passant par l'évocation d'Ivan le Terrible, de Pierre le Grand, de l'invasion de Napoléon et de la révolution.

Eisenstein structure son récit en cinq « grands » actes : 1. les Baskaki (militaires mongols installés en Russie aux XIIIe et XIVe siècles), 2. 1812 ; 3. 1905 ; 4. 1917, 5. 1934 (la construction du métro). Il intercale dans ce schéma quatre « petits » actes : 1. Pierre le Grand ; 2. les usines russes au XIXe siècle ; 3. les usines du plan quinquennal ; 4. un finale.

On aura reconnu la tentation épique de son premier projet Vers la dictature, dont la composition s'articulait autour de neuf temps forts. On n'est pas non plus très éloigné de Que Viva Mexico !, et de sa composition en « époques » différentes.

Le ressort de l'intrigue tourne autour de la destinée de deux frères, fondateurs de deux « dynasties » parallèles.

La collaboration de N. Zarkhi, sérieusement envisagée en vue de la réécriture du scénario, est compromise par un accident de voiture où il trouve la mort (Poudovkine était au volant).

Eisenstein va travailler sur ce projet jusqu'en septembre 1933, date à laquelle il entreprend un voyage en voiture à travers le Caucase. À son retour, il apprend que le projet est suspendu, à la suite d'une intervention directe du directeur de la cinématographie, Boris Choumiatski.

Citation :

« Cher Sergueï Mikhaïlovitch !

Je regrette beaucoup de n'avoir pas eu l'occasion de faire votre connaissance avant votre départ et de m'entretenir avec vous sur votre travail au cinéma, que j'estime au plus haut point.

J'ai cette impression, peut-être fausse, selon laquelle votre vie créatrice est influencée par les commérages et les bruits répandus par les gens de cinéma et ceux qui gravitent autour : Eisenstein « s'est tu », il ne « fait pas de nouveaux films », etc.

Il me semble que vous ne devez surtout pas vous inquiéter de cette sorte de propos, car je sais que, pendant toutes ces années, vous n'avez pas cessé vos occupations, lesquelles, chez un maître tel que vous, sont liées à une authentique recherche du nouveau. Dans ces conditions (et je ne devrais pas vous le dire), on n'a pas toujours les moyens de faire ce qu'il faut. L'important en la matière, selon moi, est de ne pas succomber à la tentation de la forme pure, dès lors qu'on procède à des expérimentations : si ça commence par des satisfactions, ça se transforme bientôt en un frein.

Actuellement, votre nouveau travail sur Moscou m'intéresse beaucoup. Je ne peux pas vous dire avec quelle joie j'y participerais, car je ne doute pas que cela m'apporterait énormément. En particulier parce que la voie qui est la mienne en littérature présente peu d'analogies avec celle que vous empruntez au cinéma. J'ai d'autant plus envie de me lier avec vous. »

Alexandre Fadéïev, lettre du 22 août 1933.

Bibliographie :

EISENSTEIN, S. Moscou à travers les âges, Au-delà des étoiles, UGE, 1974, pp. 61-67.

BULGAKOWA, Oksana, S. Eisenstein – drei Utopien. Architekturentwürfe zur Filmtheorie, Berlin, Potemkin Press, 1996.