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Projets non aboutis : « Projets météoriques » (1929-1930)

Dans sa Préface aux œuvres non réalisées, qui date de 1933, Eisenstein énumère quelques-uns de ces « brillants météores » que furent les multiples propositions inabouties, qui lui ont été faites durant son séjour européen :

1. Un projet sur Simon Bolivar. Eisenstein est invité au Venezuela pour réaliser un film jubilaire à la gloire du libérateur de l'Amérique du Sud.

Ses archives conservent le scénario d'un projet, qui lui est soumis par les productions Marcus le 21 mars 1930, afin qu'il le lise avant d'éventuelles négociations.

L'action se déroule dans le premier tiers du XIXe siècle. Outre Bolivar, on trouve le président du Venezuela, Gomèz, pas mal de généraux aux noms espagnols, Mme de Staël et Mme de Récamier, Eugénie de Beauharnais, Humboldt et quelques autres personnalités historiques. L'affaire se termine à Paris en 1830, sur les barricades.

La destinée des discussions sur ce film à costumes reste inconnue.

2. Un film sur l'Afrique. À Londres, par l'intermédiaire de John Grierson, la Direction de l'administration coloniale de l'Empire britannique l'invite à réaliser un film sur l'Afrique. Seule contrainte : montrer que le pouvoir de l'Angleterre « contribue au développement culturel et au bien être des Noirs. Grierson a assez de tact pour ne pas me transmettre cette proposition ».

3. Un film publicitaire pour Nestlé. Le responsable de la publicité de la firme suisse lui propose de réaliser un film intitulé Nestlé : le tour du monde. Sujet : « Celui qui vous plaira, ou pas de sujet du tout. Une condition impérative : montrer que les enfants africains, indiens, japonais, australiens, groenlandais, etc., buvaient le lait concentré de la firme Nestlé. Nous ne fûmes pas d'accord, me semble-t-il, sur le montant... des indemnités de déplacement. »

4. Un film sur la Belgique. Le gouvernement belge lui propose de réaliser un film pour célébrer le centième anniversaire du pays. La proposition lui a été transmise par l'intermédiaire de la représentation commerciale soviétique à Paris.

5. Don Quichotte de la Manche. La proposition aurait été transmise secrètement par Chaliapine. Mais, en l'absence de tout financement, le projet ne sera mené à bien qu'en 1933 par G. W. Pabst.

6. Yvette Guilbert aurait proposé à Eisenstein de réaliser un film sur la Grande Catherine, dont elle aurait assuré le rôle titre.

7. Le petit soldat en chocolat. Bernard Shaw aurait « permis » à Eisenstein de réaliser un film à partir de sa pièce. Ils en évoquent la possibilité à l'occasion de rencontres à Londres, au domicile du dramaturge. Alors même qu'Eisenstein est en route pour les États-Unis, il va jusqu'à lui radiographier ses conditions : l'intégrité de son texte sera respectée. Sans doute faut-il voir là le résultat de leurs discussions londoniennes : les conceptions du réalisateur relatives à l'usage du son et de la parole avaient dû quelque peu inquiéter Shaw.

8. « Le premier thème qui me fut proposé à Hollywood fut le Martyre des pères-missionnaires de la Compagnie de Jésus par les Peaux-Rouges d'Amérique du Nord, les derniers, le Juif Süss, et Après de Remarque. L'affaire en resta au stade de la conversation. De même qu'avec Grand Hôtel et la Vie de Zola, pour lesquels j'avais déjà été engagé par la Paramount dès la signature du contrat à Paris. »

Courant avril 1930, Eisenstein avait rencontré à Paris Jesse Lasky, l'un des dirigeants de la Paramount. Celui-ci multiplia les propositions. Entre autres, les discussions portèrent sur l'adaptation d'une pièce, le Procès de Zola, de deux auteurs allemands assez populaires à l'époque (Herald et Herzog). « C'était le moment où, sur ce thème, j'étais tout feu tout flamme. Pour moi, "mon" approche de ce thème était claire : je voulais, sous l'impression encore vive de mon épopée, en finir avec la France réactionnaire. Opérer une coupe longitudinale à travers les mille-feuilles de la réaction française, en mêlant les prototypes des personnages des romans de Zola avec mes propres impressions vivantes, et monter une lutte de masse gigantesque autour du procès de mon romancier favori. Et, au milieu de l'affaire, régler quelques comptes personnels... » C'est William Dieterle qui hérita du projet et tourna une Vie d'Emile Zola en 1937.

Outre les thèmes déjà évoquées, les conversations avec Jesse Lasky portèrent sur la Guerre des mondes d'après Wells (l'écrivain était d'accord, mais la Paramount jugea le projet trop cher), et sur l'Homme que j'ai tué, qui sera finalement confié à Lubitsch et qui sortira sous le titre de Broken Lullaby.

9. « Lorsque, bien plus tard, je suis assis entre deux chaises à la frontière de Nuevo Laredo, entre le Mexique et les États-Unis d'Amérique, je reçois la proposition de filmer l'histoire... de l'état du Texas, avec l'assurance que les propriétaires des ranchos de l'endroit mettront à ma disposition autant de chevaux que je veux... »

10. Les propositions de la Paramount se multiplient aux États-Unis. Les titres d'une vingtaine de romans et de noms de personnalités sont avancés : une biographie de John Brown, une autre d'Al Capone, la Révolte des anges d'Anatole France, les Voyages de Gulliver de Swift, RUR de K. Capek, Le tunnel de Kellerman, Deux sœurs de Zweig, Germinal de Zola, Kim de Kipling, Manhattan Transfert de Dos Passos.

11. Le Torrent de fer d'après Alexandre Sérafimovitch. Les archives Eisenstein conservent un télégramme adressé en anglais à Sovkino : « 10 juillet 1930 - Hollywood. Sur le principe, Paramount sympathise avec idée collaboration. Cela dépend des sujets. Prie expédier livre et scénario Torrent de fer. Salutations. Eisenstein. » La demande est satisfaite le 21 juillet. Sans suite de la part de la firme américaine.