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Bibliographie


Projets non aboutis : Le Grand Canal de Fergana (1939)

En mai 1939, Piotr Pavlenko - coresponsable du scénario de Nevski - de retour d'Ouzbékistan, évoque le défi lancé par des kolkhoziens ouzbeks (dans l'esprit du stakhanovisme régnant et de la politique volontariste d'irrigation de l'Asie centrale) : construire en un mois un canal d'irrigation long de 240 km, qui amènerait l'eau du Syr-Daria dans la vallée de Fergana.

Du 18 juin au 12 juillet, date de son retour à Moscou, Eisenstein, accompagné de Tissé, de Pavlenko et d'un responsable administratif, M. I. Zaïonetz, voyage à travers l'Ouzbékistan et se familiarise avec le pays. Le 3 août, Eisenstein remet un scénario littéraire et un scénario de tournage, accompagnés d'une préface et de commentaires multiples, au Comité pour la cinématographie, qui doit donner son accord.

Le projet est conçu comme un triptyque dont l'unité serait assurée par une figure ouzbek traditionnelle : l'aède Tokhtasyne.

« Ce doit être un vieillard dès le début.

Il chante la première chanson sur les temps anciens.

Il chante la seconde sur la vie dans un régime de propriété privée [...]

Finalement, dans la troisième chanson, il a une démarche inattendue : il ne chante pas, mais il intervient directement dans l'action, il agit en tant que tel. »

1 e partie : l'époque de Tamerlan, la conquête dans le sang de l'antique capitale d'Ourguentch, au sud de la mer d'Aral ; l'envahissement par les sables du désert d'une région autrefois fleurie.

2nde partie : l'époque du tsarisme, la misère, l'exploitation des pauvres et l'appropriation des points d'eau par les féodaux ousbeks.

3 e partie : l'époque contemporaine, la lutte pour la maîtrise de l'eau, contre l'avancée du désert, dans la vallée de Fergana.

On reconnaît là le ressort « mexicain » du conflit des époques et des cultures, qu'on retrouve également dans le projet sur l'histoire de Moscou.

Dès le 13 août, et jusque début octobre, l'équipe (augmentée d'un décorateur, I. Chpinel, et d'une monteuse, E. Tobak), de retour à Tachkent, enregistre des images à caractère documentaire de la construction du canal et procède à des essais d'acteurs et de « typages ». Eisenstein annonce même la collaboration de Prokofiev, qui se récuse : il est en train de travailler à un opéra.

Fin octobre, Mosfilm propose à Eisenstein d'abandonner la première partie et de s'en tenir essentiellement à des visées documentaires, en raison de l'ampleur du projet et de la nécessité de réaliser le film dans des délais rapides : il s'agit d'exploiter ce « haut fait » récent et encore présent dans toutes les mémoires. Ce qu'Eisenstein refuse, considérant que les thèmes du despotisme national et de l'agression sont parfaitement d'actualité, et que toute la force dramaturgique du projet repose sur l'exposition du conflit entre les époques. De multiples démarches de sa part auprès du secrétaire du parti en Ouzbékistan (favorable à l'intégrité du projet) et de Jdanov à Moscou n'aboutiront pas. Le film est abandonné et Eisenstein rentre à Moscou en octobre.

On ignore la destinée des plans enregistrés. Sans doute ont-ils fini dans des bandes d'actualités ouzbeks. Mais ça n'est là qu'une hypothèse.

Bibliographie :

EISENSTEIN, Sergueï, The Film Sense, Ed. Harvest Books, p. 201. 657 indications de plans. Les 145 premières indications sont une sorte de « prologue » qui s'étend sur quatre siècles.

EISENSTEIN, Sergueï, « Un film sur le canal de Fergana », Au-delà des étoiles, pp. 83-85.

EISENSTEIN, Sergueï, [Films sur le temps], Mémoires, vol. 3, pp. 101-139.

YOURENIEV, Rostislav, « Perekop et le Canal de Fergana de S. M. Eisenstein  », Iz Istorii Kino, 1985, vol. 11, pp. 164-178.