Programme de recherche ANR Cinémarchives

La Triangle (1915 - 1919)
Archives, recherche et histoire du cinéma

Les films Triangle à la Cinémathèque française

La restauration de The Desert Man

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Galerie d'extraits de films

His Picture in the Papers (Amour et publicité), John Emerson, 1916

En 1959, la Cinémathèque reçut en dépôt une copie diacétate teintée (uniformément en orange) avec intertitres français. En 1998 furent tirés un contretype, un marron et une copie noir et blanc.

Analyse

Il s'agit d'une comédie avec plusieurs thèmes croisés : deux familles riches, adeptes des régimes végétariens et promotrices de produits parapharmaceutiques à base de plantes, représentent une société guindée, âpre au gain et s'imposant des règles et un mode de vie tournant le dos au naturel. On peut donc voir dans le film une critique de l'industrialisation portée par la publicité et du puritanisme qui entend masquer cette recherche constante du profit. Mais ces deux familles, les Prindle et les Gherkin, ont chacune un rejeton, Peter Prindle (interprété par Douglas Fairbanks) et Christine Gherkin (interprétée par Loretta Blake), qui sont tous deux réfractaires aux principes parentaux. Peter n'est pas un fou de travail et il préfère un steak saignant à un régime végétarien, et Christine n'est pas enthousiaste du fiancé pâlichon que lui destinent ses parents. L'intrigue sera donc fondée sur la rébellion des enfants contre les parents. Mais elle est limitée : amoureux de Christine, Peter ne pourra obtenir sa main qu'en étant devenu, selon le souhait des parents, célèbre. Le troisième thème est donc la publicité ou plus exactement une société où tout est fondé sur la représentation et la notoriété (comme les produits Prindle) conférée par les médias : Peter va tout faire pour avoir sa photo dans les journaux afin de pouvoir épouser sa belle. Fairbanks interprète donc ici un de ses personnages favoris : le sympathique dilettante, non conformiste, aimant la gaieté et la spontanéité par opposition aux règles trop rigides du savoir-vivre bourgeois.

Ce sont sans doute ces raisons qui ont poussé l'Office cinématographique d'enseignement et d'éducation de Paris (l'ancêtre de la Cinémathèque scolaire de la Ville de Paris) à inscrire à son catalogue ce film, dont la copie est aujourd'hui conservée par la Cinémathèque français, réalisant ainsi un des grands souhaits d'Edison et de Griffith réunis de voir le cinéma devenir les cours d'éducation de demain. On voit bien ce qui motive l'Office : une comédie raillant les règles sociales trop strictes, mais aussi se moquant d'une certaine Amérique, capitaliste, productiviste, transformant la nature (les plantes médicinales) en produits de conserve obligatoires et au goût amer de médicament. Parallèlement, le fait de soumettre les sentiments (le mariage de deux jeunes gens) à la notoriété validée par les médias apparaît comme tout aussi américain et anti-naturel. Plus généralement, le thème de la liberté des jeunes contre la rigidité des parents n'est pas pour déplaire au public de l'Office. Ce que ne voit peut-être pas l'Office, c'est que cet anti-américanisme cache en réalité un discours pro-américain, fortement porté par Fairbanks, au nom des fondamentaux de la société américaine que sont le naturel et la débrouillardise dans une société qui serait sans classe. C'est sur cette base d'ailleurs que se construira la formidable renommée de Fairbanks en Europe après-guerre, avec sa tournée triomphale à Londres et à Paris déchaînant les foules (il ne faut pas oublier qu'avant-guerre c'était Max Linder qui, aux États-Unis, bénéficiait de ce type de renommée).

L'extrait retenu met en avant plusieurs points. Le premier est le rapport entre Fairbanks et les voitures : il est d'ordinaire plutôt associé à des bolides sportifs ou des limousines cossues, et la guimbarde présentée ici en est le commentaire ironique (on peut noter en arrière plan à l'entrée du garage, la calandre d'une voiture nettement plus cossue), participant au comique du film et à l'auto-dérision de l'acteur et du personnage (une marque de fabrique de Fairbanks). Le second est le tournage en extérieur réel, dans les rues (de Los Angeles ?), en un temps où le trafic n'était pas un obstacle au tournage. Le troisième point est le côté performance physique (ou cascade) de la part de Fairbanks, qui passe du vélo à la voiture, autre trait de la persona de l'acteur qui a toujours mis en avant ses qualités sportives. Cela nous permet au passage de noter le travelling d'accompagnement de la voiture sans conducteur : c'est un mouvement de caméra encore rare dans les films de fiction, et qui demande une voie déjà aménagée (rue, route goudronnée ou rails de chemin de fer) car les rails de travelling n'existent pas encore et on a donc recours à des véhicules motorisés (voiture ou train). Le quatrième point est évidemment la chute du passage : l'accident volontaire, le sacrifice gratuit de la voiture à des fins publicitaires (sacrifice atténué par le caractère archaïque de la voiture). La chute est constituée par d'un côté le passage de la pancarte (Emmenez-moi) de la voiture à vendre au jeune homme à promouvoir, et de l'autre part l'effet miroir entre le personnage et l'acteur dans la critique de la recherche sans limite de la notoriété.

crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

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