Programme de recherche ANR Cinémarchives

La Triangle (1915 - 1919)
Archives, recherche et histoire du cinéma

Les films Triangle à la Cinémathèque française

La restauration de The Desert Man

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Galerie d'extraits de films

Hell's Hinges (William S. Hart, Charles Swickard, 1915)

La Cinémathèque avait reçu en dépôt un contretype diacétate 35 mm issu d'une copie nitrate d'exploitation pour les pays anglophones (intertitres anglais d'origine) qui avait été très exploitée au moment de la duplication. En mars 1964, Henri Langlois fit tirer une copie 16 mm, puis une copie 35 mm en mai 1969, dont seule subsiste la quatrième et dernière bobine.

Analyse

Le scénario est simple : un prêtre sans expérience est envoyé dans une bourgade de la frontière où sa naïveté est mise à rude épreuve tant par les hommes que par les femmes. Le cow-boy incarné par Hart n'entend au départ pas prendre parti : il ne se confond pas avec les bouffeurs de curé, mais il entend aussi garder ses distances avec les religieux pratiquants. On est dans un produit Kay Bee classique, avec une intrigue dessinée au cordeau. La primitivité supposée de l'Ouest et de la frontière servent d'alibi au dépouillement économe du décor (des planches en bois non équarri). On notera que la panoplie de l'homme de l'Ouest n'est pas encore stabilisée, et le costume de Hart nous apparaît fantaisiste alors qu'on sait qu'il était très attentif à la véracité des détails : c'est qu'il faudra un certain temps pour décanter les habits du « cow-boy » et arriver au canon des années cinquante et soixante, avec des couleurs éteintes et des étoffes usagées.

L'extrait montre le moment de l'engagement du héros dans la défense des opprimés, dans une scène canonique de la révolte d'un seul contre une foule amorale lancée contre une femme seule. On relèvera ici plusieurs points de cinéma. Le premier est la présence du son dans ce film muet : alors qu'il s'éloigne de la grange où se dit l'office, il entend à travers la porte la voix de la prédicatrice qui a pris la place de son frère, le prêtre déconsidéré, écrasé de honte à ses côtés. C'est cette voix, et la vision d'une croix au bord de l'Océan, qui le rappelle à son devoir et qui le fait entrer dans la grange. Le second point peut paraître étrange, mais il tient au filmage du groupe d'opposants aux religieux, les cow-boys agités. Pour pouvoir montrer l'opposition entre les deux groupes, les cow-boys au premier plan de dos et les religieux au fond de face, la caméra s'est élevée, a dépassé son habituelle hauteur d'homme pour s'incliner vers le bas et échapper ainsi à la nécessité de disposer les acteurs en un ou deux rangs d'oignons. C'est un angle particulier qu'on repère dans les photos de plateau chaque fois qu'il y a en intérieur une foule assemblée (bal, gala, grand restaurant, mais aussi église). Il y a une raison supplémentaire à cette position particulière de la caméra : les objectifs de l'époque sont des courtes focales (avantage : une grande profondeur de champ) qui ont l'inconvénient, lorsqu'on veut avoir en studio de la profondeur et de la largeur, de découvrir le haut et donc le toit technique (une verrière) du studio. Pour éviter de dévoiler l'appareillage technique tout en ayant un champ large, il faut incliner la caméra vers le sol (qui, lui, se diégétise facilement).

La fin du film sera une coda à la Triangle : prise dans la spirale de la violence entre les cléricaux qui veulent brûler les lieux de plaisir comme le saloon ou le dancing, et les anti-cléricaux qui veulent brûler la nouvelle église, la bourgade sera la proie des flammes pour un gigantesque incendie (réel) des baraques en bois, pendant que le personnage interprété par Hart s'en ira, tranquille et solitaire. Ainsi faisait-on brûler le décor pour avoir de belles images, qu'on imagine teintées de rouge.

On peut interroger le recours régulier de la Triangle au thème de l'intolérance. On y trouve bien sûr un ressort mélodramatique dans l'opposition entre la vraie innocence et la bigoterie fielleuse. On peut aussi y voir un appel à l'unité, à la construction d'une société sans classe et tolérante, respectueuse des différences. Mais on peut aussi penser que cet appel récurrent à la tolérance est également un plaidoyer pro domo, pour une firme, la Triangle, qui connaît de nombreux déboires à cause de la censure, nationale et locale, dans son système de distribution : alors qu'elle a organisé tout son système de production sur la base de deux longs métrages par semaine, ce qui implique une rotation hebdomadaire des programmes en salle, les à-coups de la censure mettent à mal ce système qui demande une grande régularité dans la production et une grande ponctualité dans la distribution, avec en bout de chaîne d'une part un fort mécontentement des exploitants et d'autre part un rétrécissement des couloirs de retour sur investissement.

crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

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