Programme de recherche ANR Cinémarchives

La Triangle (1915 - 1919)
Archives, recherche et histoire du cinéma

Le fonds de la Cinémathèque française

Les collections complémentaires

Imprimer

Histoire d'une acquisition

Le fonds Triangle Film Corporation - Harry Aitkentooltip a été acquis à New York par Henri Langlois en février 1961 auprès du collectionneur américain John Allen, qui a donné son nom initial au fonds. On sait peu de choses de John Allen. Il aurait travaillé à la George Eastman House (en lien avec James Card, son directeur à l'époque de l'acquisition) et aurait pris sa retraite dans le New Jersey où il aurait trouvé les documents dans un bâtiment désaffecté (siège social, laboratoire, studio ?). Allen aurait aussi pu entrer en possession des documents lors d'une vente aux enchères en mars-avril 1957 à New York, mais cela n'est pas attesté. Langlois était en contact avec lui depuis 1960 et lui avait, dans un premier temps et par correspondance, acheté à la pièce des documents divers (photos, affiches, programmes…) concernant le cinéma muet américain.

Cinq choses sont très étonnantes dans cette acquisition :

- Elle porte sur une maison de distribution américaine totalement méconnue (Langlois s'intéresse à une institution mystérieuse mais sans prestige) ;
- Elle porte sur une masse considérable de documents (94 boîtes d'archives aujourd'hui après catalogage et conditionnement) ;
- Elle porte sur une somme importante (10 000 dollars) dont en réalité Langlois n'a pas le premier cent ;
- Une partie notable de ces documents a subi le feu, la fumée et l'eau et a été retaillée aux ciseaux sans grande précaution, avant la vente ;
- Malgré tout cela, l'ensemble est parvenu jusqu'à nous au grand complet et dans toute sa richesse initiale.

Langlois a sans doute été mis sur la piste de ce fonds de deux façons : tout d'abord, Jean Mitry a organisé en 1956 une rétrospective des films de Thomas H. Ince, lequel a joué un rôle majeur dans la Triangle ; ensuite James Card semble avoir été l'informateur sur l'existence de ce fonds (c'est en tout cas lui que Langlois remercie pour le plaisir de son voyage à son retour des États-Unis, en 1961).

Au départ, le marché entre Langlois et Allen semble un marché de dupes. Langlois croit acheter, si l'on en juge par ce qu'il déclare au Conseil d'administration de la Cinémathèque française du 27 juin 1961, des manuscrits originaux de haute valeur et des documents qui lui donneraient des droits sur les films de la Triangle, tout en lui fournissant des éléments à intégrer dans son futur musée sur l'histoire du cinéma (il est particulièrement friand des photos du fonds). Allen pense faire une bonne affaire en fixant à 10 000 dollars le prix du tout : James Card affirmera ensuite à Langlois avoir refusé le lot pour la moitié de cela. Mais il semble aussi que Langlois joue un tour à tout le monde en acquérant la totalité (Card, qui l'a mis sur la piste mais espère peut-être encore pouvoir acheter d'autres éléments, pense sans doute que le Français ne pourra prélever que de petites pièces) à destination de Paris : il laisse miroiter à Allen un très fort gain tout en gelant l'ensemble qui ne peut plus être débité à la pièce. Une forme de préemption sauvage en territoire étranger.

Langlois a juste signé sur place un contrat dont on a perdu la trace, mais il n'emporte rien (pas même un catalogue à présenter au Conseil d'administration de juin 1961) et ne paie rien. Le contrat semble porter sur le fait que la Cinémathèque française paiera par traite de 2000 dollars par an, sur cinq ans. Allen devra livrer à chaque paiement un cinquième de la collection, mais Langlois affirme qu'Allen a finalement préféré tout livrer d'un bloc (ce qui est effectivement arrivé) avant tout paiement, pour une histoire de fisc américain. Les documents arrivent à la Cinémathèque française, livrés par Langlois, en 1962 et 1963, mais sans qu'Allen ait touché son prix : Langlois a fait jouer sur place trois intermédiaires (dont le collectionneur-distributeur Raymond Rohauer) pour maintenir la pression tout en faisant patienter Allen.

Allen mettra cinq ans à toucher d'abord 1 000 dollars (avancés par Raymond Rohauer), puis 4 000 dollars réglés par la Cinémathèque française en 1966, soit le prix indiqué par James Card comme étant celui de base. Un coup de maître.

Marc Vernet

crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

Le blog Cinémarchives