Programme de recherche ANR Cinémarchives

La Triangle (1915 - 1919)
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Galerie d'extraits de films

La restauration de The Despoiler

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La restauration de The Desert Man

Le film

En 1917, William S. Hart réalise et interprète The Desert Man, western supervisé par Thomas Harper Ince pour la société de production New York Motion Picture Corporation - Kay-Bee. Le tournage s'étend de mi-décembre 1916 à début février 1917. La distribution aux États-Unis est assurée par la Triangle Film Corporation à partir du 22 avril 1917.

Résumé : alors qu'il traverse le désert, le chercheur d'or Jim Alton (William Hart) rencontre une femme mourante qui l'implore de s'occuper de son enfant, le petit Joé. Arrivé à la Cité du désespoir, il se heurte au père, le brutal Dick Burton, et prend Joé sous sa protection. Jim tombe amoureux de Jenny (Margery Wilson), une jeune femme dont le père meurt malgré les soins du docteur Howard. Ce dernier convainc Jenny de le suivre chez lui pour se marier. Découvrant qu'il a déjà une femme, Jenny le quitte mais, n'osant revoir Jim, accepte de travailler dans un dancing. Pendant ce temps, Jim devient riche et populaire. Tacoma Jake, un ambitieux malfaiteur, souhaite s'installer en ville avec sa bande mais Jim leur en refuse l'accès. Pour se venger, ils kidnappent Joé avec l'aide de Dick Burton pour contraindre Jim à se rendre…

La Cinémathèque française conserve une copie d'exploitation nitrate d'époque teintée, distribuée en France par Ciné-Location Eclipse à partir du 24 décembre 1920, sous le titre La Cité du Désespoir.

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La datation du tirage a été possible grâce à une indication sur le support filmique, introduite par le fabricant américain Kodak, aux alentours de 1917. Le film n'étant sorti en France qu'en 1920, il est probable qu'Eclipse a alors acquis une copie déjà exploitée dans un pays anglophone. Par ailleurs un carton américain d'origine, en surimpression et en fondu, est resté légèrement visible au début d'un plan de la première bobine.

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Enfin, un carton de fin de partie est datable de 1925. Sa typographie et sa composition, qui diffèrent des autres cartons de début et fin de parties, indiquent qu'il s'agit d'un carton de récupération. Cet élément a vraisemblablement été réexploité quelques années après la première distribution en France.

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Cette copie est malheureusement incomplète. Son métrage de 1019 mètres est inférieur au métrage d'origine de 1460 mètrestooltip. Il manquerait donc l'équivalent d'une bobine.

L'élément a été endommagé par les projections successives. Les rayures sont très abondantes, les perforations abimées par endroits et on observe des collures de réparation sur quelques plans et cartons, manifestement plus courts.

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Certains plans de la bobine 5 présentent une très mauvaise qualité d'image car ils ne sont pas issus directement du négatif original mais contretypés à partir d'une copie et remplacés dans le négatif qui avait du être abîmé lors des tirages successifs. La création de deux générations supplémentaires explique la médiocre qualité de ces plans.

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Bien qu'incomplète et en mauvais état, cette copie est, à notre connaissance, l'unique élément filmique localisé à ce jour.

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Les enjeux de la restauration

L'étude de l'élément a soulevé plusieurs problèmes :

  • La copie étant incomplète, il a été nécessaire de comprendre les manques, afin de combler les lacunes narratives.
  • Les teintes appliquées sur le film présentent des incohérences. Il a donc été nécessaire de les analyser pour les restaurer.

Pour l'analyse du film, les sources suivantes ont été utilisées : presse française d'époque, archives du fonds Triangle Film corporation / H. Aikten conservé à la Cinémathèque et plus particulièrement le dossier du filmtooltip qui comprend les documents américains d'origine suivants :

  • La liste des dépenses ;
  • Le certificat de copyright et le certificat de transfert de copyright ;
  • La nouvelle écrite pour le film ;
  • La liste des intertitres précédée du générique ;
  • Le scénario provisoire d'avant tournage.

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La reconstruction du film

Les intertitres ont permis de localiser et de déterminer ce qui manquait. Les cartons sont signés « ECLIPSE » et portent le numéro 638, correspondant probablement au numéro du film dans le catalogue du distributeur. Sur chaque carton apparait un code composé du numéro du carton, d'une lettre correspondant à la bobine suivi du numéro « 1. », indication que l'on retrouve sur tous les cartons.

Les codes de la première bobine vont de 1. 1. à 21.1. (curieusement, la lettre « A » est absente), ceux de la deuxième bobine vont de 3. B 1. à 25. B 1. (a priori il manquerait donc les deux premiers cartons et peut être quelques plans au début), ceux de la troisième bobine de 1. C 1. à 19. C 1. et les cartons de la dernière bobine vont de 2. E 1. à 13. E 1. (il manque le premier carton, 1. E 1., et peut-être quelques plans au début).

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Toutefois, la comparaison des cartons français avec les intertitres américains d'origine indique qu'il ne manque aucun carton au début des bobines 2 et 5, ces cartons manquants correspondraient à des ajouts spécifiques à la version française (cartons d'introduction de bobinetooltip pour les cartons 1. B 1. et 1. E 1. et autre carton ajouté pour le deuxième carton de la bobine 2).

L'absence de la lettre « D » indique qu'il manque la quatrième bobinetooltip. Le manque de cette bobine rend la dernière partie du film difficilement compréhensibletooltip. La comparaison de la nouvelle à l'origine du film et de la liste des intertitres américains avec la copie a permis de retrouver les cartons manquants et la description de l'action correspondante. Il a alors été possible de créer un carton résumant l'action manquante afin de permettre au spectateur de suivre l'histoire.

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Par ailleurs, le distributeur français a modifié certains cartons, certains codes incluent en plus une étoile.

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Par rapport aux cartons américains d'origine, cette étoile apparait toujours sur des cartons de début de bobine ayant été ajoutés ou modifiés. Contrairement à la version américaine, chaque bobine est introduite par un carton-titre de partie. Il ne subsiste aujourd'hui dans la copie que le carton-titre de la première partie « L'HOMME DU DÉSERT » (traduction littérale du titre original du film The Desert Man alors que le titre français du film est La Cité du Désespoir) et celui de la troisième partie « L'ABANDONNÉE ».

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Ces deux cartons-titres n'ont pas été reproduits dans la copie restaurée, ni les cartons de début et fin de partie ou le carton « Entr'acte » (à la fin de la deuxième bobine). En revanche, ils seront conservés dans le contretype, élément de tirage et de conservation, reflet et mémoire de la copie nitrate d'origine.

L'analyse des cartons français témoigne aussi de nombreuses erreurs : une composition maladroite et une interprétation erronée du texte rendent parfois la compréhension confuse, une traduction parfois approximative, voire différente ou bien omise, des coquilles et un registre de langage non respecté (idiomes de la version américaine absents dans la version française). L'exemple le plus emblématique est sûrement l'écriteau à l'entrée du coiffeur-bar.

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Ces erreurs indiquent que les cartons français ont été peu soignés et réalisés à partir d'indications peu précises.

La copie comporte de nombreuses collures de réparation, des cartons et photogrammes manquent en début et fin de certains plans. Le montage du film semble donc parfois brutal et la copie se termine aussi de façon abrupte sur le dernier carton sans carton de « FIN » et surtout sans les toutes dernières images, car le plan final est incomplet. Afin d'adoucir cette chute, du fondu au noir a été introduit, ainsi qu'un carton « FIN ».

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Enfin, le générique français du film se résume à un carton unique présentant le distributeur (Eclipse), l'acteur principal (William Hart) et le titre du film (La Cité du Désespoir). Un générique plus complet a donc été élaboré grâce aux documents du fonds Triangle Film Corporation / H. Aikten.

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L'étude des teintes et de l'étalonnage

La copie est principalement teintée en ambre léger, une teinte très courante à l'époque pour remplacer le noir et blanc. C'est le cas ici pour les séquences d'intérieur et d'extérieur de jour, ainsi que pour les séquences de nuit en intérieur. Les séquences de nuit en extérieur étaient souvent tournées de jour et devaient donc être teintées en bleu, convention utilisée pour situer l'action dans la nuit. Les cartons français sont teintés en rose léger, teinte qui se rapproche de l'ambre à la projectiontooltip.

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Cependant, différentes tonalités d'ambre sont présentes. Il pouvait s'agir d'un traitement différent pour les séquences en intérieur et en extérieur, pour marquer les différences spatio-temporelles. Mais les variations étaient nombreuses, sans collures, parfois en cours de plan, et incohérentes par rapport à la narration. Une analyse plus poussée montre qu'il n'y a en fait que deux teintes ambre, dues à des bains colorants légèrement différents d'un bloc à l'autretooltip et que les variations de lumière proviennent en réalité d'un mauvais étalonnage.

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Le teintage ambre semblait inadéquat par endroits : à la fin de la deuxième bobine, le héros fait un voyage, dont une partie semble se passer de nuit. Certains plans ont été tournés en contre-jour avec des personnages apparaissant en silhouette, ce qui donne une impression de soir ou de nuit.

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Un teintage bleu aurait donc été plus cohérent ici. Le scénario de pré-tournage cautionne d'ailleurs cette temporalité car il est clairement indiqué que cette séquence se déroule la nuit et la séquence suivante à l'aubetooltip, mais il n'y a pas d'indications pour les teintes. La première hypothèse sur cette incohérence narrative est la perte de ces informations. Or, l'une des particularités de la Triangle est que ses films étaient tournés sur la côte Ouest des États-Unis tandis que le tirage des copies d'exploitation et la distribution s'effectuaient sur la côte Est. Cette dispersion d'un bout à l'autre du continent obligeait la Triangle à détailler des informations pour les laboratoires, comme des indications pour le teintage, informations consignées dans divers documents qui accompagnaient le négatif.

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De même, on sait que la Triangle fabriquait ses films de façon industrielle. La chaîne de fabrication comportait des taches bien définies pour les différents ateliers : les numéros des plans, la teinte, le titre du film, et le métrage étaient également indiqués sur une amorce au début de chaque rouleau, comme en atteste aujourd'hui l'élément de Reggie Mixes In (W. Christy Cabanne, 1916), autre film Triangle conservé par la Cinémathèque.

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Mais sachant que pour l'exploitation en Europe, les négatifs étaient envoyés à Londres pour le tirage des copies, il se peut que l'amorce comportant ces informations ait été accidentellement perdue et ne soit plus dans l'élément. Cependant, il ne semble pas exister d'information précise sur la façon dont étaient transmises les indications pour les tirages à l'étranger.

La seconde hypothèse serait que le teintage bleu, bien qu'envisagé au départ, ait finalement été abandonné à cause d'un mauvais rendu. La teinte ambre aurait été préférée.

De même, le teintage d'une autre séquence, à la fin du film, a semblé étrange : la séquence précédente est teintée en bleu car l'action se situe pendant la nuit. Or, dans la séquence suivante, trois plans nocturnes d'extérieurs sont alors teintés en ambre. Il pouvait s'agir d'une erreur. Mais, cette séquence est principalement constituée d'intérieurs nocturnes teintés en ambre, la teinte ambre des plans peut s'expliquer par la source lumineuse émanant de la fenêtre qui surplombe l'extérieur.

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Ne disposant pas des indications de teintes prévues à l'origine, il a été décidé de restituer les teintes présentes dans la copie afin de présenter le film tel qu'il a pu être vu, lors de son exploitation à l'époque, en harmonisant toutefois l'étalonnage afin d'obtenir un ambre uniforme, ainsi qu'un bleu homogène car, avec le temps celui-ci s'était affaibli et était même devenu vert par endroits.

Pour restituer les couleurs, il fallait choisir la technique la plus adaptée :

- Une option était le tirage d'un internégatif couleur, duplication des couleurs de la copie directement sur l'internégatif (contretype émulsion couleur). Ce procédé comporte cependant un inconvénient majeur : il reproduit les défauts des couleurs de l'élément source. Dans ce cas précis, les défauts d'origine liés au mauvais étalonnage et aux différents bains de teintage, ainsi que les couleurs dénatuées avec le temps par endroit, auraient été reproduits.

- L'utilisation du procédé Desmetcolor a donc été préférée : un contretype noir et blanc est tiré à partir de la copie teintée d'époque. Les teintes sont ensuite reconstituées à l'œil à l'aide de filtres, en prenant comme référence pour chaque teinte les parties mieux conservées dans le film. Les couleurs sont alors obtenues au tirage de la nouvelle copie, qui se fait en deux passages dans la tireuse : une première fois pour dupliquer l'image sur la pellicule vierge, puis une seconde fois pour flasher la couleur sur la pellicule contenant l'image latente. Ce procédé a permis de réintroduire des teintes uniformes et homogènes, proches de celles d'origine.

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Ces travaux ont été réalisés par le laboratoire de la Cinémathèque Portugaise. La copie d'époque a donc été réparée et préparée pour un tirage traditionnel, argentique et photochimique. Elle a été dupliquée en plein cadre sur pellicule Kodak polyester, émulsion noir et blanc par tirage en immersiontooltip, ce qui a permis d'atténuer les nombreuses stries et rayures. Le contretype obtenu est à la fois l'élément de tirage et de conservation (reflet fidèle de l'élément d'origine). Enfin, une première copie a été tirée sur émulsion couleur, pellicule Kodak polyester. Pour affiner l'étalonnage et les couleurs, il a été nécessaire de tirer une deuxième copie.

Malgré le fait que l'on soit parti d'un élément très endommagé, la restauration photochimique - notamment grâce au tirage par immersion, à un étalonnage soigné et au procédé Desmetcolor - a permis d'obtenir un résultat très satisfaisant qui se rapproche le plus possible du film tel qu'il a été vu à l'époque, dans les salles françaises.

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Extrait

Deux extraits de The Desert Man (La Cité du désespoir), William S. Hart, 1916 (restauration Cinémathèque française 2010)

Clarisse Bronchti et Loïc Arteaga, sous la supervision de Camille Blot-Wellens.

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crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

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