Galerie d'extraits de films

The Crab, Walter Edwards, 1917

Analyse

Encore un véhicule pour Frank Keenan et son rôle traditionnel de père trop sévère, mais ici sans aucun grimage et sans les grimaces de The Despoiler (voir extrait). C'est, dans la production Triangle, un film assez étonnant, au nombre de personnages très réduit (rarement plus de trois en scène), à l'intrigue très mince : un misanthrope, qui vient de perdre sa femme très aimée, recueille par obligation une fillette, qui au départ l'encombre, l'importune et l'irrite - d'où son surnom de « crabe » -, avant de le faire fondre et le transformer en grand-père joueur. Le tout est tourné pour une très grande partie du film en extérieurs réels (gare, magasins, rues, maisons, jardin), dans la banlieue sud de Los Angeles, sous un soleil éclatant, et avec parfois le concours des gens du coin. La construction d'ensemble est tout aussi épurée : c'est dans le general store où le vieil homme est venu au début récupérer sans tendresse la petite fille, sous le regard désapprobateur de ses voisins, qu' il étonne à la toute fin ce même voisinage en dévalisant ledit general store, dont il achète tous les jouets, petits et grands, pour combler la fillette et changer leur mode de cohabitation.

L'extrait garde l'épure du film en situant tout dans le jardin de la maison. La fillette, qui s'ennuie ferme dans la grande maison condamnée au silence du deuil, cueille par amusement des fleurs, veut les offrir à son hôte qui n'en a cure (il se peut que ce soit son père, mais cela n'est pas clair dans la copie telle qu'elle nous est parvenue). Compréhensive, elle les dépose sur la tombe de la femme tant aimée. Appelée par le petit voisin, qui pourrait être Tom Sawyer, pour jouer, elle s'en sépare tout net en prenant la défense de l'homme triste dont tente de se moquer celui qui pourrait être un vrai camarade de jeu.

On retrouve là deux lignes directrices présentes dans les scénarios de la New York Motion Picture et de Reliance - Majestic. La première est la lutte contre l'intolérance. L'homme qui recueille la fillette représente une forme d'intolérance (il réprime au tout début du film un ivrogne, il est près de frapper le médecin incapable de soigner l'aimée malade, il congédie les voisins venus présenter leurs condoléances, et il punit à coups de verge le non-respect d'un interdit par la fillette). Mais à l'inverse, le voisinage (à commencer par le petit garçon) est trop sévère avec lui en le traînant au tribunal pour mauvais traitements à enfant (le petit garçon a rapporté aux voisines bien-pensantes, en l'exagérant, la scène de la punition par les verges). Les compères et les commères en seront pour leurs frais, car la fillette déclarera au contraire que l'homme est doux et attentif et qu'elle l'aime profondément. Ici s'amorce le deuxième fil : l'adulte sauvé d'autres adultes par l'enfant (c'est un schéma narratif déjà présent du temps de la Mutual, chez Ince par exemple). Le ressort est mélodramatique (triomphe de l'amour familial sur les exigences de la société, renversement de l'ordre logique où ce sont les enfants qui protègent les parents), et on voit bien en quoi ces thèmes sont propres à rassembler, comme le désire la Triangle, le plus large public possible, des enfants aux adultes. Mais au plan idéologique, cela participe de l'effort pour construire une image unie des États-Unis (société qui se veut tolérante, accord entre générations). Cela participe aussi de la critique des bigots censeurs, mais relève surtout peut-être de la preparedness (en 1917, les États-Unis viennent de s'engager dans la Grande Guerre), c'est-à-dire d'une forme de propagande qui consiste à montrer que les enfants sont aussi là pour protéger leurs prédécesseurs.