Programme de recherche ANR Cinémarchives

La Triangle (1915 - 1919)
Archives, recherche et histoire du cinéma

Les films Triangle à la Cinémathèque française

La restauration de The Desert Man

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Galerie d'extraits de films

Don Quixote (Les Aventures de Don Quichotte), Edward Dillon, 1915

À partir d'une copie muette nitrate teintée destinée à la distribution française, issue de ses collections mais incomplète (seule la première bobine subsiste), la Cinémathèque a tiré en 2002 un internégatif, un interpositif et une nouvelle copie couleur.

Analyse

Voilà un étrange cas. C'est avec Macbeth (apparemment disparu sans laisser de trace), une des très rares grandes adaptations littéraires réalisées par la Triangle, et comme Macbeth, il s'agit d'une des toutes premières productions devant figurer dans les premiers programmes Triangle à la fin 1915. On trouve dans son catalogue très peu de grands titres de la littérature (Ibsen au début, Oscar Wilde tout à la fin), car la politique de la maison était plutôt d'acquérir du matériel littéraire issu des magazines populaires plutôt que des grands classiques universels. C'est aussi la quatrième adaptation depuis 1909 (deux en 1909, une en 1911), et l'on peut penser que ces deux facteurs réunis (succès populaire d'un roman de notoriété universelle) ont été déterminants pour mettre le film en production sous le label supervisé par Griffith, Fine Arts. De Wolf Hopper Sr., avec son 1m 88 et sa maigreur, fait très bien l'affaire dans le rôle principal, d'autant qu'il est lui aussi un acteur populaire (sa proximité avec le base-ball n'y est sans doute pas pour rien non plus). Edward Dillon, qui réalise le film, n'est pas le moindre des réalisateurs de la Triangle : il tourne beaucoup (soit en tant qu'acteur, soit en tant que réalisateur, soit les deux, comme ici). C'est d'ailleurs son premier long métrage (il n'a tourné jusqu'à présent que des courts et à partir de 1916 il ne tourne plus que des longs). Or, tout porte à croire que le film a été réalisé avec trois francs six sous, tant les décors de studio sont médiocres et peu soignés. On peut aussi trouver la confirmation de cette économie serrée par la présence dans la distribution du réalisateur (Dillon) mais aussi du scénariste (Chester Withey, qui interprète Don Fernando).

L'extrait s'ouvre avec le réveil du héros et le jour qui commence. Cela donne un topos cinématographique de l'époque : le soleil qui se lève se symbolise par le teintage rose et le plan à partir de l'intérieur permet d'y adjoindre des ombres chinoises bien nettes et bien noires, avec un peu d'insistance sur le profil si caractéristique de Don Quichotte. On se souvient que ce type d'effet avait été exploité par Griffith (mais sans gros plan) au début de Birth of a Nation pour la célébration nocturne par les Sudistes d'une de leurs victoires : le maître avait usé de feux de Bengale pour procurer l'éclairage en extérieur de nuit, les personnages se détachant en ombres chinoises devant pour exprimer en dansant leur joie. David O. Selznick se souviendra de la formule (nul doute qu'il a étudié de près le film de Griffith) pour Autant en emporte le vent (1939) avec le privilège donné, dans la couleur, au noir et à la silhouette. La réalisation n'est pas médiocre (Dillon a du métier et du talent), comme en témoigne certains plans d'extérieur (Don Quichotte et Sancho Pancha chevauchant l'un derrière l'autre sur la route).

D'où vient le sentiment de pauvreté du film ? Sans doute de deux choses. La première est le très faible nombre de personnages pour des plans larges qui veulent rendre la vastitude du monde et de l'entreprise : ici, le roman sert le film pour les vastes paysages, mais il dessert le cinéma pour la rareté des personnages. La seconde est sans doute le fait que Dillon en est encore à une économie du court métrage, étendue ici à un long métrage, lequel du coup ne bénéficie pas de l'apport financier, technique et artistique requis par une production aussi ambitieuse.

La copie conservée à la Cinémathèque française est française, a gardé une partie de ses teintages mais est très incomplète.

crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

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