Programme de recherche ANR Cinémarchives

La Triangle (1915 - 1919)
Archives, recherche et histoire du cinéma

Les films Triangle à la Cinémathèque française

La restauration de The Desert Man

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Galerie d'extraits de films

The Clodhopper, Victor Schertzinger, 1917

En 1963, Henri Langlois a eu accès à une copie nitrate d'exploitation pour les pays anglophones, à partir de laquelle il fit tirer un contretype 16 mm. En 1987, la Cinémathèque a procédé au tirage d'une copie 16 mm. Le film est parfois répertorié sous le titre « Le Lourdaud ».

Analyse

Avec Frank Keenan, Charles Ray est un des acteurs majeurs de la Triangle, dans une distribution des rôles complémentaire : Keenan incarne volontiers les pères trop sévères et Ray les fils trop tendres. Dans The Clodhopper, Charles Ray incarne Everett Nelson, fils d'un homme rude, banquier rural de son état (il se prénomme Isaac), qui mène à la baguette sa douce épouse et son fils unique, lesquels pourtant travaillent tous deux très dur sans s'accorder beaucoup de loisirs. Après avoir été corrigé à coups de ceinture par son père pour une faute qu'il n'avait pas commise, Everett décide de quitter la ferme.

L'extrait le présente arrivant à New York et tentant de s'engager, au vu d'une pancarte accrochée à une porte, comme concierge dans un music-hall. Le film reprend ainsi un thème que l'on trouve à plusieurs reprises dans le catalogue de la Triangle : l'arrivée à New York d'un ou d'une provinciale aspiré(e) dans le tourbillon du monde du spectacle (théâtre la plupart du temps). On a ici à ma connaissance une des premières représentations de l'envers du décor du music-hall, à travers les répétitions laborieuses (et même infructueuses) des danseurs et danseuses en tenue de travail (le réalisateur, qui dans une vie antérieure a été musicien, compositeur et chef d'orchestre, a sans doute une bonne connaissance du milieu).

La scène a plusieurs ressorts. Le premier est évident : les États-Unis sont un monde d'opportunité où la chance sourit à ceux qui savent la saisir (c'est la première partie sur l'emploi offert à celui qui passe par là). Le second ressort est le renouvellement de l'inspiration citadine par un paysan de passage : on est dans le thème cher à la Triangle de la complémentarité nécessaire entre l'Amérique profonde et (ici) Broadway. Le troisième ressort est de vengeance : celui qui a été humilié par un père trop sévère est en mesure de surpasser des professionnels de la danse en improvisant un pas de danse. Le quatrième ressort, qui sera manifeste dans une scène ultérieure montrant le numéro exécuté devant un public enthousiaste et dans un décor campagnard (moissonneurs et meules de paille) : la très singulière danse de Saint Guy qu'exécute Everett, qui ne correspond à rien sinon à son absence très personnelle de style (on en a vu un autre exemple, au féminin, dans l'extrait de A Child of the Paris Streets), est ici pour dire qu'il existe un art américain, spécifiquement américain, qui ne doit rien aux canons du théâtre ou du music-hall, sans doute trop tributaires d'une culture aristocratique européenne. On peut donc voir dans cette scène une métaphore de l'ambition culturelle de la Triangle, en ce qu'elle participe de l'« américanisation » du cinéma (terme de l'historien du cinéma Richard Abel).

Pour poursuivre dans le sens de la réconciliation (le public high brow du music hall fait une ovation à Everett), à la fin du film, la nouvelle vedette reviendra au village pour sauver, avec la petite fortune gagnée à Broadway, son père de la banqueroute engagée par la perte de confiance des petits déposants.

crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

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