Prélude à la nouvelle vague

Véronique Doduik - 13 novembre 2022

Jean Cocteau a été proche des cinéastes de la Nouvelle Vague, qui se sont reconnus dans sa pratique cinématographique, sa liberté et son goût pour la nouveauté. En effet, au début des années 1950, soit presque dix ans avant les Quatre cents coups (1958) de François Truffaut, Cocteau jette les bases d’une pratique du cinéma qui sera celle de la Nouvelle Vague. Une absence de vedettes, un tournage en décors naturels, des intérieurs débarrassés des effets d’ombres et de nuances du cinéma classique, des budgets modestes, seront désormais pour lui les conditions économiques indispensables à une approche libre et neuve de l’écriture cinématographique. En retour, il fut accueilli à bras ouverts par les jeunes critiques des Cahiers du cinéma (revue fondée en 1951 par André Bazin et Jacques Doniol-Valcroze), Jean-Luc Godard, François Truffaut, Éric Rohmer, Jacques Rivette, Claude Chabrol entre autres, futurs cinéastes d’une « Nouvelle Vague » qui apportera au cinéma français au début des années 1960 un vent de liberté et une audace créative nouvelle.

R. Lachenay _ Maquette d'affiche pour les séances du cercle Cinémane _ 1947

Maquette de l’affiche de la séance du Cercle Cinémane consacrée aux films Entr’acte de René Clair (1924), Un Chien andalou de Luis Buñuel (1928), et Le Sang d’un poète de Jean Cocteau (1930). Robert Lachenay, 1947. Collection Cinémathèque française

Robert Lachenay est l’un des amis les plus proches de François Truffaut, qu’il rencontre en 1943. Scénariste, acteur, réalisateur et producteur lié à la Nouvelle Vague, il fonde avec lui en 1948 un ciné-club baptisé Le Cercle Cinémane, qui projette des films dont l’originalité ou le parfum de scandale leur apparaît comme profondément novateur.

Cocteau s’émerveille de l’entreprise de bouleversement esthétique à laquelle s’attellent ces jeunes hommes, et affirme se reconnaître dans leur combat d’où le cinéma français sortira si profondément modifié. Ainsi, Jean Cocteau a pu apparaître comme un précurseur de la Nouvelle Vague, dans sa conception d’un « cinéma en liberté », artisanal, s’attaquant lui aussi à l’académisme du cinéma français et prônant son ouverture à la modernité. François Truffaut s’est reconnu en Jean Cocteau. Il lui apportera son soutien pour la production du Testament d’Orphée, en partie financé par les ventes à l’étranger des Quatre cents coups.

Lettre manuscrite de Jean Cocteau et Claude Pinoteau

Lettre manuscrite de Jean Cocteau à Claude Pinoteau (1959). Fonds Claude Pinoteau. Collection Cinémathèque française

Claude Pinoteau, l’auteur de La Gifle (1974) ou de La Boum (1980), est l’assistant réalisateur de Jean Cocteau pour Les Parents terribles (1948) et Orphée (1949). Dans cette lettre, Jean Cocteau l’informe de l’intention de François Truffaut de financer la production du Testament d’Orphée, qui peine à se monter. Cocteau se montre dans ce manuscrit très touché et fier de cette initiative. D’un point de vue formel, on reconnaît la graphie particulière de Cocteau, qui utilise la totalité de la surface de la page, en des circonvolutions dont il est familier.

François Truffaut et Jean Cocteau lors du tournage du Testament d'Orphée

François Truffaut et Jean Cocteau lors du tournage du Testament d’Orphée (1959) D.R. Collection Cinémathèque française

François Truffaut rendra hommage à Jean Cocteau dans son film La Chambre verte (1977), en le faisant figurer parmi les photographies de la chapelle illuminée des chers disparus de son héros. Il est intéressant à ce propos de noter que pour Cocteau, le cinéma était également un moyen d’entrer en communication avec l’Invisible, avec les morts et peut-être aussi avec l’éternité.


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.