Des trucages au service du rêve

13 novembre 2022

Dans ses films, Jean Cocteau a recours à des trucages variés, dont le rôle est d’ouvrir la voie à son imaginaire. Pour cela, il réalise les trucages au tournage et au montage, en laboratoire. Pour Le Sang d’un poète, Jean Cocteau, qui dit ne rien connaître des artifices du « cinématographe », se lance sans retenue dans des expérimentations diverses, parfois bancales, mais toujours inventives. Il mélange le parlant et le muet, travaille sur la diction et les sons, opère un mélange musical, et met en scène des personnages qui semblent défier la pesanteur. Afin de recréer une marche qui serait celle des rêves, il demande de coucher les décors du film sur le sol, de réaliser un décor fabriqué à l’horizontale, de manière à ce que le mur du décor soit par terre. Le personnage marche ainsi de manière étrange. « La musculature mouvante ne correspond pas à l’effort de sa promenade » (Du cinématographe, Jean Cocteau).

Le Sang d'un poète(1)

Le Sang d’un poète (Jean Cocteau, 1930) : le décor de cette scène (une cheminée) est posé à l’horizontale sur le sol. Jean Cocteau place son personnage à côté du décor.
Photographie de tournage de Sacha Masour
Collection Cinémathèque française

Le Sang D Un Po Te

Le Sang d’un poète (Jean Cocteau, 1930) : au tournage, le personnage, filmé en plongée, semble flotter au-dessus de la cheminée.
Photographie de Sacha Masour
Collection Cinémathèque française

Cocteau peint les yeux de la statue sur les paupières de l’actrice Lee Miller. Ne voyant rien, sa démarche devient irréelle.

Le Sang D Un Po Te 2

Légende : Le Sang d’un poète (Jean Cocteau, 1930). Photographie de tournage de Sacha Masour. Collection Cinémathèque française

Le Sang D Un Po Te 3

Légende : Le Sang d’un poète (Jean Cocteau, 1930) : l’actrice Lee Miller dans le rôle de la statue aux yeux peints. Photographie de Sacha Masour. Collection Cinémathèque française

Dans Orphée, les personnages se déplacent dans « la zone » selon des lois inconnues de notre monde. Pour ce film, Jean Cocteau réalise néanmoins les trucages en laboratoire. Ainsi, on voit défiler des paysages en négatif neigeux, des personnages en mouvement filmés à l’envers, des miroirs cassés qui se reforment. Un bon nombre de trucages reposent sur le principe de l’inversion : scène tournées (et jouées) à l’envers, images en négatif (le paysage de l’au-delà). Une fois le miroir traversé, le monde est conforme à une certaine logique de l’irréel, et il est logique que les choses soient renversées. Montage à l’envers, surimpressions, décors renversés, cuts brutaux, intégration de dessins à l’image live, tous ces procédés sont à l’œuvre dans les films de Jean Cocteau.

Le Sang D Un Po Te 1 Bis

Légende : Le Sang d’un poète (Jean Cocteau, 1930). Photographie de Sacha Masour. Collection Cinémathèque française

Les trucages de La Belle et la bête (1945) sont le plus souvent réalisés au tournage. Ainsi, Belle semble voler lorsqu’elle pénètre dans les couloirs du château de la Bête. Elle en réalité tirée sur un tapis noir.

La Belle Et La B Te

La Belle et la bête (Jean Cocteau, 1945). Photographie de tournage de Serge Lido (D.R.). Collection Cinémathèque française

Les trucages et les effets spéciaux, l’emploi du négatif, les ralentis, donnent à l’écriture du film une poésie tragique. Certains trucages reposent sur le principe de l’inversion (scènes jouées et tournées à l’envers), ou combinent deux procédés (le tournage à l’envers et le ralenti). Cette « manipulation » de l’image appartient en propre à la grammaire cinématographique de Jean Cocteau. L’action n’est plus filmée dans son enchaînement, mais dans une sorte de décrochage, d’inflexion et d’indépendance. Apparitions et disparitions à vue, surimpressions ou double décor, scènes tournées à l’envers mais dont le résultat est projeté à l’endroit (les candélabres s’allumant seuls…).

La Belle Et La B Te 1
La Belle et la bête (Jean Cocteau, 1945). Photographie de G.R. Aldo. Collection Cinémathèque française

Tous ces procédés « artisanaux » rappellent les films des premiers temps du cinématographe, et en particulier ceux de Georges Méliès, inspirés de la prestidigitation et des tours du célèbre illusionniste Jean-Eugène Robert-Houdin. Cocteau tient à représenter un « merveilleux direct », reposant sur les seules ressources du bricolage et de l’ingéniosité, et laissant, au cours du tournage, une large place à l’erreur, à l’accident, pour produire un merveilleux fortuit, non prémédité.