Filmer le théâtre

13 novembre 2022

Jean Cocteau a adapté au cinéma certaines de ses propres œuvres théâtrales. C’est le cas de L’Aigle à deux têtes, pièce de théâtre en trois actes, créée le 21 décembre 1946 au théâtre Hébertot à Paris (le film est tourné en 1947, avec Edwige Feuillère et Jean Marais), et des Parents terribles (tourné en 1948, avec Jean Marais et Josette Day), dont il a été aussi le scénariste et le dialoguiste.

L’Aigle à deux têtes remporte un vif succès au théâtre. Jean Cocteau se lance presque immédiatement dans son adaptation cinématographique. C’est la première fois qu’il adapte de façon aussi directe l’une de ses œuvres littéraires. S’il conserve pour le film un certain caractère théâtral, développant parfois de longues séquences de dialogues à deux personnages, Cocteau introduit aussi un découpage très dynamique. La caméra épouse les mouvements des acteurs, les recadre en de multiples petits panoramiques, multiplie les plongées et les contre-plongées. La pièce originelle est reprise par une écriture expressément cinématographique. Cocteau a prouvé qu’une œuvre pouvait exister dans une double incarnation théâtrale et cinématographique.

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L’Aigle à deux têtes (Jean Cocteau, 1947) : le cadrage reconstitue la scène théâtrale. Photographie de Raymond Voinquel. Collection Cinémathèque française

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L’Aigle à deux têtes (Jean Cocteau, 1947) : la caméra filme une scène en plongée, vision proprement cinématographique. Photographie de Raymond Voinquel. Collection Cinémathèque française

En revanche_,_ pour le film Les Parents terribles, Jean Cocteau décide d’adapter la pièce en respectant le texte et l’espace scénique. Au lieu de chercher à dissoudre le théâtre dans un espace cinématographique, il intègre le cinéma à la mise en scène théâtrale, le fait entrer dans son jeu. Ainsi qu’il s’en explique dans son texte Du cinématographe, il choisit d’exhiber le mécanisme de la pièce. Il n’y a aucun plan d’extérieur. Il n’opère aucune coupe significative dans le texte original et ne change presque rien à son décor. À contre-courant des conventions du cinéma français de l’époque, Cocteau ne cherche pas à masquer l’origine théâtrale du récit, mais il l’intègre avec des moyens spécifiques au cinéma : les cadres sont concertés, composés, extrêmement signifiants. Les comédiens jouent comme au théâtre, mais ils sont regardés comme seul le cinéma peut le faire, avec des inserts de visage d’une grande puissance expressive.

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Gabrielle Dorziat et Josette Day dans Les Parents terribles. Photographie de Roger Corbeau. Collection Cinémathèque française

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Yvonne de Bray dans Les Parents terribles. Photographie de Roger Corbeau. Collection Cinémathèque française

Cocteau a su se servir de la caméra aussi bien pour cacher que pour montrer, et la voix off renforce ce dispositif. Malgré un nombre assez élevé de plans, une impression de continuité relie les images entre elles, les raccords passant presque inaperçus grâce à la liberté éblouissante des cadrages et des angles.

Avec l’adaptation au cinéma des Parents terribles, Jean Cocteau, en prenant le parti apparemment le moins cinématographique qui soit, a fait un pur morceau de cinéma, en démontrant qu’une certaine fidélité à l’esprit et aux moyens du théâtre n’est pas seulement compatible avec l’écran, mais encore qu’elle peut être le gage de la plus grande invention cinématographique.