Dernière déambulation onirique : Le Testament d’Orphée

Véronique Doduik - 13 novembre 2022

Tourné en 1959, Le Testament d’Orphée ou Ne me demandez pas pourquoi est le dernier long métrage de Jean Cocteau. « Je lègue ce dernier poème visuel à tous les jeunes gens qui m’ont fait confiance, malgré l’incompréhension totale dont mes contemporains m’entourent », précise en exergue le poète. En effet, Cocteau a pu produire ce dernier film testamentaire grâce à François Truffaut, ambassadeur d’une nouvelle génération de cinéastes et admirateur fidèle. Jean Cocteau, alors âgé de 70 ans, retrouve dans ce film ses acteurs favoris : Jean Marais en Œdipe aveugle, Maria Casarès et François Périer dans leurs costumes d’Orphée, Edouard Dermit en nouveau Cégeste. Jean Cocteau y incarne son propre rôle, celui d’un poète qui revient sur son itinéraire et traverse plusieurs épreuves, avant de mourir et d’accéder à l’immortalité.

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Le Testament d’Orphée (Jean Cocteau, 1959) : Le poète (Jean Cocteau) est guidé par Cégeste (Edouard Dermit), le jeune poète du film Orphée (1949). Photographie Yves Mirkine. Collection Cinémathèque française

Le film, en noir et blanc (exceptée la scène de la fleur d’hibiscus - symbole de l’existence du poète- sur le sol de pierres blanches), a un côté spectral et presque translucide. La voix off de Cocteau s’y déploie sur plusieurs registres, narratif, dramatique, ou poétique. Le Testament d’Orphée rejoint Le Sang d’un poète dans sa structure non linéaire. La distorsion de l’espace-temps, déjà à l’œuvre dans les films précédents, trouve ici une sorte d’accomplissement : dans une séquence, Cocteau recompose une fleur pétale par pétale (comme dans son court métrage de 1951, La Villa Santo Sospir), illustrant ses propos sur le cinéma qui pour lui filme la mort au travail, mais peut aussi, prodigieusement, remonter le cours du temps.

Avec ce film, Cocteau laisse tomber le masque d’Orphée, affichant son omniprésence, ballotté dans un temps indéfini, errant dans des espaces étranges, en une déambulation onirique, confronté à lui-même, à son œuvre, à ses mythes, avant de trouver la mort.

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Le Testament d’Orphée (Jean Cocteau, 1959) : le poète (Jean Cocteau) croise dans sa déambulation onirique un homme-cheval, ambassadeur de la mort. Photographie Yves Mirkine. Collection Cinémathèque française

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Le Testament d’Orphée (Jean Cocteau, 1959) : le poète (Jean Cocteau) rencontre dans sa déambulation les deux motocyclistes d’Orphée (1949), qui formaient l’escorte de la Princesse (Maria Casarès), elle-même incarnation de la Mort. Photographie Yves Mirkine. Collection Cinémathèque française

Le Testament d’Orphée est un « film guide », dans lequel le poète incarne un être-temps et revient sur ses aventures esthétiques, nous conviant à visiter son musée intérieur. C’est une réflexion du cinéma sur lui-même, avec comme personnage principal le cinéaste en personne, plein de toutes les images qu’il a enfantées. Cocteau convoque les figures mythologiques de son œuvre protéiforme, la statue antique sous les traits de la déesse Minerve, l’homme-cheval, ou l’ange Heurtebise. Il revient sur des scènes fondatrices de son œuvre, mettant en scène l’élève Dargelos sous les traits de Jean-Pierre Léaud, partant explorer la « Zone intermédiaire » où se meuvent les divinités et les symboles qui hantent son esprit, croisant sur sa route un campement de gitans pour finir transpercé par la lance de la déesse, mourir, puis se relever du tombeau avec les yeux peints de l’initié.

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Le Testament d’Orphée (Jean Cocteau, 1959) : le poète (Jean Cocteau), projeté dans le passé, rencontre l’élève Dargelos assis à une table d’écolier. Ce souvenir, consigné dans les souvenirs de collège de Jean Cocteau, explore un mythe personnel, celui de Dargelos, emblème de la beauté et premier objet d’amour du poète, jouissant d’un grand prestige auprès de ses camarades. Photographie Yves Mirkine. Collection Cinémathèque française

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Le Sang d'un poète (Jean Cocteau, 1930). Photographie Sacha Masour. Collection Cinémathèque française

Jean Cocteau évoque ses « années collège », dominées par le mythe de Dargelos, « premier symbole des forces sauvages qui nous habitent. Mes vrais souvenirs de collège commencent où les cahiers se ferment : cour de récréation, farces, rixes, escapades, école buissonnière ». Dans ses souvenirs de collège, Jean Cocteau écrit : « L’épisode de la boule de neige, y apparaît comme le détail significatif de ces années de collège, parce qu’il éclaire à merveille les formations et déformations du souvenir ». Dans cet éclairage, la boule de neige frappant la poitrine de Paul apparaît comme une grâce accordée à la victime du coup de foudre : elle a du moins attiré le regard, l’attention de l’idole. Mourir de sa main devient doux ».

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Le Testament d’Orphée (Jean Cocteau, 1959). Photographie Yves Mirkine. Collection Cinémathèque française

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Le Testament d’Orphée (Jean Cocteau, 1959). Photographie Yves Mirkine. Collection Cinémathèque française

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Le Testament d’Orphée (Jean Cocteau, 1959). Photographie Yves Mirkine. Collection Cinémathèque française

Réflexion sur la condition du poète, sa solitude, sa mort nécessaire pour accéder à l’immortalité, Le Testament d’Orphée rassemble en un bouquet saisissant toutes les obsessions de Jean Cocteau.

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Le photographe de cinéma Léo Mirkine avait rencontré Cocteau pour la première fois en 1937 par l’entremise de Marcel L’Herrbier. Quand Cocteau fait appel à lui pour Le testament d’Orphée, c’est son fils Yves Mirkine (1938-1993)  qui a débuté sa carrière avec Christian-Jaque qui se charge de photographier le film du maître.


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.