Shining Masques

Dans la dernière séquence de Shining, le visage de Jack Torrance, mort congelé dans le labyrinthe, prisonnier à jamais de l'hôtel Overlook, évoque un masque mortuaire. Cette image fait écho à une photographie en noir et blanc où Jack, en tenue de soirée, pose au milieu des clients de l'hôtel lors du bal de la fête nationale de 1921. Cette séquence cristallise l'ambiguïté fondamentale du film : Jack Torrance, victime de ses démons intérieurs, est-il devenu un revenant de plus qui hantera l'hôtel à son tour ? Ou bien a-t-il fréquenté ce lieu habité par des fantômes dans une vie antérieure, en 1921 ?

Le visage de Jack Nicholson est l'élément le plus terrifiant du film. Stanley Kubrick a choisi l'acteur pour l'extraordinaire mobilité de ses traits. Il sait passer, dans le même plan, de l'expression du père affectueux à celle d'un démon habité d'une pulsion destructrice. Kubrick révèle, grâce à l'acteur, un masque intérieur du personnage qui finit par faire surface, un masque qui organise les traits du visage, lui donne une expression unique, créant un malaise par la fixité de ses traits ou, au contraire, par leur mobilité grotesque.

La possession progressive de Jack par les spectres qui hantent l'hôtel (fantômes réels ou projections de son imaginaire ?) est rendue visible par les métamorphoses de sa physionomie : à plusieurs reprises, dans ses déambulations à travers l'hôtel, des plans fixes montrent ses traits figés, comme hantés, exprimant une menace intérieure. Dans la scène où Jack dialogue avec l'ancien gardien meurtrier (dont le visage ressemble aussi à un masque), il s'établit une sorte de transmission de l'un à l'autre par le moyen de grimaces et de rictus.

La "déshumanisation" de Jack s'achève dans la scène finale de la poursuite dans le dédale, sorte de voyage de mort et de transfiguration : armé d'une hache, Jack, tel un Minotaure, front bas et souffle court, s'enfonce dans les méandres du labyrinthe blanc.