Dr. Folamour Masques

Après une première collaboration fructueuse sur Lolita (1961), Kubrick fait de nouveau appel à Peter Sellers pour Dr. Folamour. À lui seul, le comédien doit incarner quatre des principaux rôles. Gageure artistique qui se double d'un pari de production : si l'acteur britannique est une star dans son pays, il est encore peu connu à l'étranger. Sa performance va pourtant largement contribuer au succès et à l'aura du film.

Acteur de composition, Sellers n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'il travestit sa voix (diction, phrasé et accent) et son apparence. À la demande de Kubrick, il joue avec sobriété le rôle du président Muffley, politicien démocrate, qui tente de faire preuve de logique et de pragmatisme mais se trouve sans cesse dépassé par les événements. Pour Mandrake, caricature de l'officier britannique flegmatique, Sellers apporte une touche de douceur en total décalage avec la brutalité des situations. Mais sa composition la plus mémorable est sans conteste celle du délirant docteur Folamour.

Voix haut perchée, accent allemand très prononcé, costume et lunettes noirs, ce transfuge scientifique de l'Allemagne nazie apparaît d'emblée comme un personnage maléfique. Cloué dans un fauteuil roulant, il ne maîtrise plus les mouvements mécaniques de son bras droit ni de sa main semblables à ceux d'un robot. Il "résume le conflit entre les hommes et les machines" (1) au cœur du film.

Méconnaissable dans les trois rôles, Sellers devait aussi interpréter le major Kong, pilote du B-52 qui largue la bombe nucléaire. Mais, blessé au pied, il renonce, au grand dam de Kubrick, qui aurait aimé le voir "présent dans tous les lieux du conflit" (1). Néanmoins, en laissant à l'acteur une grande part d'improvisation, le réalisateur lui permet d'aller du registre de la retenue à celui du grotesque et déclare : "Je ne pense pas qu'un autre aurait pu interpréter les trois personnages aussi bien. C'est comme d'avoir trois grands acteurs différents" (2).

(1) Thomas Bourguignon, "Dr. Folamour, ou comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe. Fin de partie, fin du monde...", Positif, n° 439, septembre 1997, pp. 77-81.

(2) Elaine Dundy, "Stanley Kubrick and Dr. Strangelove", in Stanley Kubrick: Interviews, Gene Phillips (dir.), (Jackson, University Press of Mississippi, 2001), p. 13.