Le Baiser du tueur Masques

Convoitant tous deux la séduisante Gloria, le patron de night-club Vincent Rapallo et le boxeur Davy Gordon se retrouvent dans une fabrique de mannequins de vitrine. Encerclés par des dizaines de modèles féminins en cours d'assemblage, ils se livrent là un duel sans merci. Armés d'une hache ou d'un éperon, ils brisent, embrochent, démembrent ou décapitent les graciles silhouettes de plâtre et de cire. Gordon tue Rapallo et ce dernier s'écroule parmi les corps enchevêtrés des moulages. La séquence s'achève par un gros plan sur le visage renversé d'un mannequin, dont l'aspect figé symbolise le masque de mort de Rapallo.

Kubrick utilise ici une métaphore visuelle pour traduire l'inconscient des personnages. Il se place dans la tradition du film noir, dont les productions traduisent tant d'un point de vue plastique que thématique les théories psychanalytiques, popularisées aux États-Unis depuis les années 1930.

Ainsi, les mannequins de plâtre et de cire sont-ils autant de répliques de Gloria, celle qui suscite le désir et la jalousie des duellistes. Mais ces "femmes" sont aussi les spectatrices passives de leur joute, poupées muettes et immobiles, manipulées (au sens propre et figuré) par les deux hommes. Femmes objets, elles sont victimes de la violence masculine suscitée par des pulsions sexuelles inassouvies. Derrière la violence du combat, "c'est l'homme descendu au plus profond de son inconscient, au cœur du labyrinthe terrifiant où le sexe est violence et où les frustrations se déchaînent, irrépressibles" (1).

(1) Thomas Bourguignon, "Le Baiser du tueur", Positif, n° 388, juin 1993, pp. 6-7.