Elizabeth Taylor, la fille qui avait tout

Tania Capron - 6 septembre 2020

« À quoi cela me sert-il d'être une bonne actrice ? On se contentera de dire : comme d'habitude, Elizabeth Taylor est ravissante. »

On a tant parlé de ses yeux violets, de ses extravagances, de ses combats contre la mort, on a tant compté ses mariages, le nombre de carats de ses diamants... La légende a parfois fait oublier l'actrice, par-delà la beauté et les frasques, et les perles cinématographiques qui jalonnent sa carrière. George Stevens, John Huston, Joseph Losey, Joseph L. Mankiewicz, Franco Zeffirelli : les noms des réalisateurs qui ont voulu travailler avec « Liz » témoignent qu'elle fut avant tout une étoile du septième art.

Cinémonde n°1458 du 17 Juillet 1962

Promising Young Woman

Elizabeth commence tôt et vite, poussée et coupée d'une vraie vie d'enfant par une mère en mal de réussite. Après La Fidèle Lassie, son deuxième film, vient Jane Eyre (Robert Stevenson), dans lequel elle est Helen, orpheline douce et tendre, amie et soutien de Jane la révoltée. La maturité paisible de son regard et sa grâce lumineuse lui attirent immédiatement l'amour des spectateurs. L'année suivante, Le Grand National (Clarence Brown) la propulse en tête d'affiche au côté de Mickey Rooney. Elle a douze ans, en paraît quatorze, et elle est Velvet Brown, cavalière prodige qui se fait passer pour un garçon. Déjà, le temps s'organise autour de la vedette : Liz est trop petite pour le rôle, juge le producteur. Qu'à cela ne tienne, on retarde le tournage de septembre 1943 à janvier 1944, le temps qu'elle prenne 7 centimètres et des cours intensifs d'équitation. Naît alors la légende selon laquelle la demoiselle se serait fait grandir par la force de sa volonté, tant est puissant son désir de réussir... Surtout, c'est la première fois que le mot « star » apparaît à son sujet. À la sortie de Cynthia, de Robert Z. Leonard, en 1946, la jeune fille reçoit 900 lettres d'admirateurs par semaine et, sous la houlette de sa mère, Liz signe avec la MGM un contrat qui la liera jusqu'à La Vénus au vison en 1960.

Tournage de Grand National (© MGM 1945)

Mickey Rooney et Liz Taylor sur le tournage de Grand National

Les acteurs sont alors quasiment la propriété des studios et utilisés comme tels. La jeune Taylor enchaîne les tournages. L'adaptation des Quatre Filles du docteur March, en 1948, est un collector : ce sera l'unique apparition en blonde de la brune aux yeux améthyste. Cette même année, elle occupe des seconds rôles conséquents dans trois autres films : Ainsi sont les femmes, Guet-apens, La Belle Imprudente – des comédies distrayantes et de gentilles love stories pour lesquelles, exhibée aussi souvent que possible dans ces robes de mariée qu'elle porte si bien, elle incarne les jeunes filles de bonne famille ou les riches héritières capricieuses, une image à laquelle elle est de plus en plus identifiée.

Liz Taylor dans Les quatre filles du Docteur March

Liz Taylor dans Les Quatre filles du Docteur March

Elle n'a que 17 ans quand elle est choisie pour Une place au soleil, de George Stevens. En adaptant le roman à succès de Theodore Dreiser, An American Tragedy, Stevens développe le personnage d'Angela, romanesque et écervelée, pour le confier à la vedette, qu'il place face à Montgomery Clift, lui aussi star montante. Bien qu'il dénigre et maltraite la jeune femme durant tout le tournage, Stevens, « très attaché au glamour et au romantisme voluptueux » (Pierre Berthomieu), la dirigera à nouveau dans Géant, puis dans son dernier film en 1968, Las Vegas, un couple, avec Warren Beatty. L'idylle quasi juvénile qui unit l'exquise héritière et l'ambitieux rongé d'angoisses séduit le public. « On est ravi d'aise par les scènes d'amour entre George et Angela qui se mangent littéralement de caresses devant nous. Stevens a choisi de nous le montrer à l'aide des plus gros plans que l'on ait vus sur un écran depuis longtemps. Sur le grain de beauté de la ravissante Elizabeth Taylor, nous sommes tentés de poser le doigt durant que battent ses longs cils sur son regard de biche enamourée. » écrira Jacques Doniol-Valcroze dans Les Cahiers du Cinéma.

Liz Taylor et Spencer Tracy, Allons donc, papa ! (Photo de tournage, 1950, DR)

Liz Taylor et Spencer Tracy sur le tournage de Allons donc, papa ! 

Le physique de Liz défraye la chronique. Entre le début et la fin du tournage de la première comédie non musicale de Vincente Minnelli, Le Père de la mariée (1950), celle que l'on appelle déjà « la plus belle femme du monde », courtisée de toute part et pressée de fuir le nid familial, convole avec Nick Hilton, le richissime héritier de l'empire hôtelier. La presse ne la lâche plus. La MGM, ravie de ce formidable coup de pub, offre la robe de la mariée. Minnelli transforme l'essai avec un deuxième opus, Allons donc, papa, où l'on retrouve le tandem Spencer Tracy en daddy bougon et Liz en future maman radieuse. La vraie vie est moins photogénique : en décembre, Elizabeth, dévastée par quelques mois de vie commune dans les palaces avec cet enfant gâté joueur, alcoolique et brutal, demande le divorce en refusant toute pension. Elle a à peine 19 ans.

Screen Stars (Octobre 1950)

« Un mariage sorti d'un conte de fées » dans Screen Stars (Octobre 1950)

La femme la plus coûteuse du monde

Elizabeth Taylor fait d'ores et déjà figure de caution financière pour les studios. Les films continuent de se succéder : elle est Rebecca dans Ivanhoé, coûteuse superproduction en Technicolor pour laquelle un château du XIIIe siècle est reconstitué jusque dans les moindres détails et dans laquelle elle éclipse presque Robert Taylor et Joan Fontaine ; elle remplace au pied levé Vivien Leigh, victime d'une grave dépression, sur le tournage de La Piste des éléphants, de William Dieterle ; puis dans Rhapsodie, de Charles Vidor, la « plus belle fille des écrans », dixit la bande annonce, incarne la riche et égocentrique Loulou, tiraillée entre un violoniste, Vittorio Gassman, et un pianiste épousé par dépit.

Liz Taylor et Vittorio Gassman, Rhapsodie (Mon Film, n°443, 16 février 1955)

Liz Taylor et Vittorio Gassman dans Rhapsodie (Mon Film, n°443, 16 février 1955)

« Les producteurs de Rhapsodie pour la MGM et La Piste des éléphants pour la Paramount ont placé Elizabeth Taylor, star des deux films, dans la situation invraisemblable de se voir rejetée par un total de quatre hommes qu'elle aime. [...] Ces contes moroses prennent néanmoins un pouvoir étrange entre les mains de Miss Taylor : témoigner de son talent grandissant en tant qu'adulte et qu'actrice, capable de faire croire n'importe quoi au public. » (extrait de Look)

Liz Taylor, Rock Hudson et George Stevens sur le tournage de Géant (DR)

Liz Taylor, Rock Hudson et George Stevens sur le tournage de Géant

À nouveau prêtée à la Warner par la MGM, Elizabeth retrouve George Stevens, qui l'avait déjà malmenée pour Une place au soleil. La mort de James Dean la veille de la prise du dernier plan du film clôt douloureusement un tournage tendu et harassant dans les plaines poussiéreuses du Texas, où les températures atteignent 49°. Mais l'enfant chérie des magazines people gagne en crédibilité comme véritable actrice de composition.

La machine s'emballe durant le tournage de La Chatte sur un toit brûlant. C'est la première fois que Taylor se frotte à l'univers de Tennessee Williams, avec l'adaptation de la pièce mise en scène par Elia Kazan à Broadway. La plus jeune de la troupe, avec ses 26 ans, fait figure de « vieux professionnel blasé », juge Richard Brooks, qui l'avait déjà dirigée en 1954 dans La dernière fois que j'ai vu Paris, un drame romantique sentimental. Moins de dix jours après le début du tournage, le Lucky Liz, l'avion de son troisième mari Mike Todd, s'écrase – leur fille Elizabeth Frances a huit mois. Après trois semaines de désespoir hébété et de sommeils artificiels, Liz reprend le tournage, sous barbituriques mais en professionnelle aguerrie. Sa féminité éclatante fait merveille dans ce drame étouffant de l'intimité asphyxiée, des corps frustrés. L'accueil est triomphal à New York, et beaucoup plus partagé en France, où l'on juge Taylor inexpressive et pas assez torride... « L'ex-petite fiancée de l'Amérique, l'ex-plus jolie maman du monde est toujours très belle, mais elle a beau crier comme une mégère, elle reste toujours bien convenable ; une biche sur un pré verdoyant. » (L'Express, janvier 1959)

Liz Taylor et Paul Newman dans La Chatte sur un toit brûlant (Photo de tournage, DR)

Liz Taylor et Paul Newman sur le tournage de La Chatte sur un toit brûlant

Modern Screen, Photoplay, Motion Pictures, Mon Film, Studio, Illustrierter Film Bühne, Ciné Revue, Cinémonde... La Cinémathèque française conserve des centaines de revues qui témoignent de l'avidité avec laquelle la presse s'empare de chaque nouveau film, de chaque aléa, se scindant en deux camps, celui qui en fait ses choux gras, et celui qui au mieux l'ignore, au pire l'éreinte. La vie privée de la star, depuis longtemps surexploitée par les magazines people, commence à faire écran à la critique « sérieuse ». Taylor est la cible de toutes les attaques lors de son quatrième mariage avec le meilleur ami de Mike Todd, Eddie Fisher, avec qui elle partage l'affiche de La Vénus au vison. Le film lui vaut l'Oscar, mais elle n'est pas dupe : « Je savais que c'était par pitié, parce que j'avais souffert de la mort de Mike, pour m'encourager et me soutenir, ce n'était pas pour ce navet que j'exécrais. La Chatte sur un toit brûlant aurait mérité des récompenses, mais n'obtint rien ; Hollywood est ainsi fait. » (citée par Hélène Merrick)

Puis vient Cléopâtre, « le plus grand chaos qu'ait jamais connu Hollywood » (Hélène Merrick) et la consécration ultime de la diva. Après le coup de foudre avec Richard Burton, la presse et l'opinion publique mettent en pièces la mangeuse d'hommes briseuse de foyers.

Matériel publicitaire italien pour Hôtel international d'Antony Asquith

Matériel publicitaire italien pour Hôtel international d'Antony Asquith

Mais Liz a grandi dans l'arène et a le cuir solide. Malgré ces bruits parasites, les réalisateurs ne s'y trompent pas : au-delà de la gracieuse fraîcheur, du sex-appeal incendiaire ou du tapage lucratif, l'actrice possède une intelligence animale des rôles, une intériorité incandescente, une palette de fausses candeurs et d'émotions fulgurantes ; et elle a fait un pacte avec la caméra. Sollicitée par les plus grands, Taylor est désormais en position d'imposer ses conditions et de faire ses choix, et n'y manquera jamais plus. « Elizabeth Taylor, la dernière des grandes divas. Elizabeth Taylor qui donne rarement des interviews, mais qui est suivie par les journalistes comme un chef d'État ou un membre d'une famille royale. Liz, la femme la plus coûteuse du monde », écrit Antony Asquith dans la plaquette destinée à la presse pour présenter Hôtel international, le deuxième film qui réunit Taylor et Burton. Les amants terribles en tourneront onze ensemble, deviendront le couple le plus légendaire d'Hollywood et ne cesseront de défrayer la chronique pendant près de vingt ans.

Personnage en quête d'auteurs

« Ma première impression fut qu'elle était la plus belle femme que j'ai jamais vue. Mais en commençant à parler avec elle, je compris aussi qu'elle était intelligente et d'une honnêteté presque désarmante. [...] Elle avait le chic pour apparaître sous deux éclairages, celui qu'avait créé la presse et également celui d'un être, honnête et cynique, victime d'un désenchantement. » (Richard Brooks, cité par Patrick Brion).

Pour Soudain l'été dernier (1959), Taylor exige un cachet de 500 000 dollars, le plus important jamais payé alors à une actrice. Elle obtient également que l'on confie à Montgomery Clift, malgré son état de faiblesse et d'addiction extrêmes, le rôle du docteur Cukrowicz, et pèse lourdement sur le choix de Joseph L. Mankiewicz par le producteur Sam Spiegel. Comme dans La Chatte, Liz incarne une femme blessée, encagée, dont l'entourage et la société ne peuvent tolérer les désirs et la vérité que recouvrent ses traumatismes. Elle parlera de ce tournage comme de l'expérience professionnelle la plus formidable et stimulante de sa carrière, mais aussi la plus épuisante nerveusement. Mankiewicz, qui admire la jeune actrice, multiplie les gros plans dans la scène finale de la catharsis, utilisant avec brio sa capacité à passer de la lumière aux ténèbres et à faire de son visage un véritable instrument de narration.

Tournage de Soudain l'été dernier (DR)

Tournage de Soudain l'été dernier

Vie privée et carrière se mêlent de plus en plus étroitement : détestant se séparer trop longtemps, Taylor et Burton choisissent des films dans lesquels ils peuvent travailler ensemble, tel Le Chevalier des sables, de Vincente Minnelli (1964), qui les met en scène dans le décor mythique de Big Sur. Eva Marie Saint, que Monty Clift abandonnait déjà pour Taylor dans L'Arbre de vie en 1957, voit cette fois son pasteur de mari succomber à l'irrésistible Laura, artiste un peu hippie, indépendante et fougueuse, sur les plages californiennes. « Ce n'est pas par hasard que ce couple est l'un des plus célèbres du monde. Il y a entre Elizabeth Taylor et Richard Burton une telle complicité, une telle entente, que les scènes qui les réunissent ont une très grande intensité » écrit Robert Chazal.

Richard Burton et Liz Taylor sur le tournage de Qui a peur de Virginia Woolf ? (Photo de promotion DR)

Richard Burton et Liz Taylor « avant maquillage » sur le tournage de Qui a peur de Virginia Woolf ?

Une nouvelle déflagration vient marquer leurs carrières respectives : Qui a peur de Virginia Woolf ? de Mike Nichols, adapté de la pièce d'Edward Albee en 1965, portrait cinglant de la bourgeoisie américaine et de ses hypocrisies. À la scène – et de plus en plus à la ville –, Martha Taylor et George Burton se font la guerre, à coups d'humiliations et de répliques vénéneuses. Les critiques américains sont dithyrambiques, les français circonspects voire choqués par cette « scène de ménage diabolique », mais le public et l'académie des Oscars (13 nominations pour ce film) plébiscitent la performance prodigieuse des deux monstres sacrés. Pour la deuxième fois, Elizabeth est couronnée meilleure actrice.

Mike Nichols, Taylor et Burton sur le tournage de Qui a peur de Virginia Woolf ? (DR)

Mike Nichols dirige Taylor et Burton sur le tournage de Qui a peur de Virginia Woolf ?

« Burton était fasciné par le calme qui habitait sa femme dès qu'elle se trouvait sous l'œil des caméras, et par l'extraordinaire économie de moyens qui caractérisait son jeu. L'observant avec passion au cours du tournage de Virginia, il s'astreignit à combattre sa propension personnelle aux gestes grandiloquents. « C'était follement stimulant, mais quel supplice. Jouer un cran au-dessous, encore au-dessous, et devoir constamment retenir, contrôler le moindre geste, le mot le plus insignifiant » » (cité par Kitty Kelley).

Liz ne joue pas la facilité, cherche tout sauf les personnages de beautés sulfureuses. Son intelligence et son recul face à sa propre image se révèlent dans le choix de rôles de virago, prostituée, actrice sur le déclin, femme à la dérive, malade, portant le deuil d'un mari, d'un enfant, d'une carrière... Elle œuvre pour que son ami de toujours Montgomery Clift soit le major Penderton de Reflets dans un œil d'or, homosexuel refoulé et impuissant méprisé par sa femme. Son décès brutal laisse le rôle à Marlon Brando pour cette adaptation d'anthologie par John Huston du grand roman de Carson McCullers.

« Elizabeth Taylor, dans le rôle de l'épicurienne sensuelle, provocante, un brin vulgaire mais très saine, est tout simplement prodigieuse. Elle prouve – sous la direction de John Huston – qu'elle est vraiment une grande star du cinéma américain : seule Ava Gardner aurait pu l'égaler il y a dix ans. » (Henri Chapier dans Combat)

John Huston et Liz Taylor sur le tournage de Reflets dans un œil d'or (DR)

John Huston dirige Liz Taylor sur le tournage de Reflets dans un œil d'or

De son côté, Richard Burton, tout comme Franco Zeffirelli, brûle d'envie de revenir à Shakespeare, au point que l'acteur financera une large partie de La Mégère apprivoisée. Zeffirelli souligne dans ses mémoires la fécondité de la collaboration de l'acteur classique et de l'orfèvre du septième art. « Richard aidait Liz à construire son personnage et Liz aidait Richard à tempérer son style noble et théâtral. Avec Liz, nous ne tournions une seconde prise que pour des raisons techniques, une prouesse. On pouvait juger du talent de Liz par la manière dont elle arrivait au maximum d'effet avec le minimum de moyens : un simple mouvement de sourcil, un simple signe de la tête suffisaient à mettre en valeur une séquence. Oui, Liz savait ce qu'était une caméra. »

À jamais, dirait-on, Elizabeth Taylor incarne la beauté éternelle et hors du monde, une aura très consciemment exaltée par les costumes invraisemblables et fabuleux de Tiziani pour Boom (1967), curiosité ésotérique de Joseph Losey. C'est la troisième fois qu'elle endosse le premier rôle dans une adaptation de Tennessee Williams, la milliardaire Flora Gofort qui vit en recluse extravagante sur une petite île sarde où débarque Chris Flanders (Burton), séducteur sulfureux qui se révèle n'être autre que l'ange de la mort.

Liz Taylor sur le tournage de Boom (Joseph Losey) DR

Liz Taylor sur le tournage de Boom de Joseph Losey.

« Elizabeth Taylor mérite ici son titre de première actrice du monde, elle est extraordinaire de la première à la dernière image » Henri Chapier, Combat, 23 juin 1968.

Losey poursuit l'exploration de la folie dans un autre drame, Cérémonie secrète (1968), qui met en scène la relation inquiétante et morbide de Leonora, qui a perdu sa fille et se prostitue pour survivre, avec Cenci (Mia Farrow), riche et étrange orpheline de 22 ans qui en paraît 15 et se convainc que Leonora est sa mère disparue.

« Pour Losey, elle réserva sa plus grande prestation, une des plus éblouissantes de sa carrière : Leonora, mère et prostituée, figure tragique et vulgaire à la fois. Son regard bleu y était plus troublant que jamais, alors que sa bouche se contractait en une moue vipérine pour proférer insanités, cruautés et insultes. Liz Taylor était dans ce paradoxe. Il n'y aura plus rien qui lui ressemblera. » (Christian Viviani).

Joseph Losey, Mia Farrow et Elizabeth Taylor sur le tournage de Cérémonie secrète. DR

Joseph Losey, Mia Farrow et Elizabeth Taylor sur le tournage de Cérémonie secrète.

Dans des scénarios toujours plus sombres et troubles, Taylor donne la réplique à Michael Caine, Henry Fonda, Helmut Berger, Peter O'Toole... et encore et toujours, à Richard Burton dans Divorce, Liberté provisoire, Under Milk Wood... On la voit en proie d'un psychotique dans Identikit, de Giuseppe Patroni Griffi (1973) : « Quarantaine marquée, maquillage chargé, Elizabeth devient Lise, schizophrène à la dérive dans une Rome fantasmatique. Le réalisateur de Dommage qu'elle soit une putain signe un autre ovni invendable à souhait, capitalisant sur une nouvelle page dans la carrière d'Elizabeth Taylor : celle des projets de plus en plus incongrus, loin du prestige et des statuettes dorées qui ont bâti sa gloire. » (Jérémie Marchetti). 

Liz Taylor et Ava Gardner dans L'Oiseau bleu (Matériel promotionnel, 1975) DR.

Liz Taylor et Ava Gardner dans L'Oiseau bleu (Matériel promotionnel)

Vers la fin des années soixante-dix, santé, enfants, couples, amis – dont Michael Jackson, qu'elle entoure et protège comme elle l'avait fait avec Monty –, la détournent de sa carrière, Coproduction soviéto-américaine mise en scène par George Cukor, L'Oiseau bleu, gentil conte féérique adapté du poème de Maurice Maeterlinck, réunit des stars américaines, le clown Popov et le ballet du Kirov. Ava Gardner est Plaisir, Jane Fonda est Nuit, Elizabeth Taylor tient quatre rôles dont, comme il se doit, le premier, celui de la reine de la Lumière. À l'issue de 40 semaines de tournage à Léningrad, Liz retrouve Richard Burton dont elle a divorcé en 1974 et le convainc du geste ultime du romantisme : un remariage sur la rive d'un fleuve du Botswana. L'Oiseau bleu fait un flop total, les épousailles aussi, le couple divorce à nouveau moins d'un an plus tard.

Elizabeth fait croisade contre le sida, préside le festival de Deauville en 1985, reçoit la Légion d'honneur des mains du président Mitterrand. À nouveau conviée par Franco Zeffirelli pour une production à grand spectacle, Toscanini (1987), elle force le respect des critiques dans le rôle de la cantatrice russe Nadine Boulichev, pour lequel elle a pris des cours de chant lyrique afin de placer convenablement sa bouche et sa gorge dans les playbacks à l'image. « Je lui ai dit : C'est un rôle pour toi. Là-dedans, tu voleras comme un petit oiseau » raconte Zeffirelli. 

Toscanini (Photo de plateau, DR)

Liz Taylor sur le plateau de Toscanini

Après un huitième et ultime mariage en 1991 avec Larry Fortensky (à Neverland, chez Michael Jackson) et une ultime apparition sur grand écran en 1993 dans La Famille Pierrafeu, Elizabeth Taylor quitte à jamais la scène en 2011, laissant 50 films, plus de 15 millions de dollars d'objets d'art, mobilier et bijoux, une trentaine d'opérations et de séjours à l'hôpital, des centaines d'ordonnances de médicaments et psychotropes qui vaudront à trois praticiens d'être mis en accusation... et des milliers de clichés.

« Avec elle disparaît une diva comme il n'en existe plus. Elle était très belle, intelligente, et assez diva pour créer chez ceux qu'elle rencontrait juste ce qu'il faut d'embarras. C'était aussi une femme plus que libérée, qui s'est permis d'avoir huit mariages et sept maris à une époque très différente de celle d'aujourd'hui. » (Franco Zeffirelli, 2011).


Sources

Périodiques

  • Michel Pérez, Les Nouvelles littéraires, 15/07/1976
  • Pierre Billard, L'Express, 27 juin 1966
  • Henri Chapier, Combat, 3 avril 1968
  • Henri Chapier, Combat, 23 juin 1968
  • Robert Chazal, France Soir, 27 septembre 1965
  • Philippe Demonsablon, Cahiers du cinéma, n°107, mai 1960
  • Jacques Doniol-Valcroze, Cahiers du cinéma, n°10, mars 1952
  • Bernard Hamel, La Nouvelle République du Centre Ouest, 13 février 1981
  • Joseph Losey, interview in Le Monde, 22 juin 1968
  • Marcel Martin, Les Lettres françaises, 23 février 1967
  • Hélène Merrick, « Itinéraire d'une enfant gâtée », L'Avant-scène cinéma, n°523, juin 2003
  • Christian Viviani, Positif, n°603, mai 2011
  • Franco Zeffirelli, interview dans Le Figaro Magazine, 30 janvier 1988

Ouvrages

  • Pierre Berthomieu, Hollywood, le temps des géants, éd. Rouge profond, 2009
  • Patrick Brion, Mankiewicz, éd. Du Chêne, 1986. 51 BROOKr BRI
  • Patrick Brion, Richard Brooks, éd. de La Martinière, 2005. 51 MANKI BRI
  • Richard Burton, Journal intime, Séguier, 2020. 51 BURTI BUR
  • Kitty Kelley, Elizabeth Taylor, la dernière star, Sylvie Messinger, 1981. 51 TAYLOe KEL
  • Pascal Mérigeau, Mankiewicz, Denoël, 1993. 51 MANKI MER
  • Jerry Vermilye, Mark Ricci, The Films of Elizabeth Taylor, The Citadel Press, 1976. 51 TAYLOe VER
  • Alexander Walker, Liz la passion, JC Lattès, 1991. 51 TAYLOe WAL
  • Franco Zeffirelli, Portrait d’un homme du siècle, 1956, Belfond. 51 ZEFFI ZEF

Autres

  • Jérémie Marchetti, in http://www.chaosreign.fr/
  • Elizabeth Taylor, interview par Yves Mourousi, journal de TF1, 11 septembre 1985

N.B. Les dates indiquées pour les films sont celles d’entrée en production.


Tania Capron est médiathécaire à la Cinémathèque française.