Ecouter Kubrick

Un cinéaste aussi précis à l'oral qu'à l'écrit : pour preuve, ces extraits d'entretiens réalisés par Michel Ciment en 1975 (Barry Lyndon), 1980 (Shining), 1987 (Full Metal Jacket). Écoutez Stanley Kubrick !

Sur la piste du 18ème siècle (Barry Lyndon)
Kafka à l'hôtel Overlook (Shining)
Recréer le Vietnam (Full Metal Jacket)
L'homme et son double (Full Metal Jacket)
"Un scénario arrogant et désinvolte" (Fear and Desire)
Vertus du cinéma muet

Jan Harlan, producteur exécutif des films de Stanley Kubrick, évoque le fascinant système d'ordre du cinéaste.

"Un bureau rangé est le signe d'un esprit dérangé", dit-on parfois, un peu par désespoir. Stanley était l'incarnation d'un esprit hyper-organisé entouré par le chaos. Il était capable d'une concentration absolue sur ses priorités, à côté du désordre le plus complet. Il y avait tout simplement trop de choses dont il aurait voulu s'occuper, et comme il était incapable de déléguer, la montagne de papiers, de lettres, de projets, et d'idées qui finissaient par sombrer dans l'oubli, ne faisait que croître. [...]

Stanley adorait les systèmes de classement. Il en a conçu ou acheté un grand nombre, sans nécessairement les mettre en œuvre, ce qui montre bien son désir d'ordre. C'était un premier pas en direction d'un but jamais atteint. Stanley fantasmait sur des systèmes qui lui permettraient un accès instantané à toutes ses notes et ses documents, tous ces Chefs d'Œuvres Inachevés dans lesquels il avait investi quelques pensées fugaces ou bien des heures d'intense réflexion. Il a accueilli à bras ouverts les ordinateurs et les bases de données, qu'il avait attendus toute sa vie.

Il est exact de dire que Stanley n'était pas ordonné, mais cette affirmation ne lui rend pas justice. Il est aussi vrai qu'à côté du chaos régnait l'ordre et la plus grande précision. L'ordre matériel n'arrivait tout simplement pas à suivre celui de son esprit. Nous nous sommes retrouvés régulièrement pendant trois décennies pour nous occuper des "choses à faire" et définir des priorités. Il appelait cela "pelleter le merdier", et en sa compagnie, même cette tâche, pouvait se révéler très amusante ; toutefois, les résultats n'étaient en général guère probants et la montagne augmentait souvent au lieu de diminuer. Si cela ne se passait pas bien, il interrompait la séance en déclarant : "Bon, maintenant, il faut que je me mette au travail" [...]

Son principal système de classement consistait tout simplement en des cartons ouverts, des centaines de cartons, sur des tables et des étagères. Il les étiquetait à la main : "à faire", "lire", "urgent", "nul", "archiver", "déchirer", "script", "WB", "financement", "à discuter avec... (suivi de noms ou d'initiales)" etc. Le même système, souvent avec les mêmes étiquettes, se répétait dans plusieurs pièces différentes. En 1980, la famille emménagea dans une immense maison et Stanley put croire que son rêve s'était réalisé : il disposait enfin de plus d'espace qu'il ne pourrait jamais en remplir. Il acheta 140 meubles de classement Ikea, des étagères et des dizaines de tables et d'autres meubles. Au bout de dix ans, toutes les pièces étaient remplies, la moindre surface était occupée et nous avons été obligés de prendre des préfabriqués pour entreposer des choses à l'extérieur. Christiane, la femme de Stanley, a très bien résumé cette situation en disant : "Dans cette maison, on ne cherche pas des aiguilles mais des bottes de foin".

Jan Harlan