Cette affiche française du Narcisse Noir de Powell & Pressburger, datant de 1947, n’est pas signée. Très dense, elle est composée pour moitié, comme il est d’usage à partir des années 1945-1950, d’un habile montage de photographies promotionnelles et d’extraits de films, restituant l’intrigue en plusieurs touches désordonnées. L’autre partie de la composition est dessinée, plus aérée, faisant la part belle au personnage central et à une des scènes emblématiques du film, sa véritable acmé.
L’emploi de la bichromie pour le dessin, associé au noir et blanc des photos, est pour le moins frappant pour vanter un film en Technicolor – procédé discrètement mentionné en bas. L’affiche se concentre ainsi uniquement sur l’histoire, et ne rend pas hommage à la flamboyance des couleurs du chef opérateur, Jack Cardiff (oscarisé pour le film), ni à la sensualité qui émaille l’atmosphère dramatique du film.
Si le personnage clef du scénario est incarné par Deborah Kerr, elle n’est pas encore la star qui atteindra le succès dans les années cinquante. Mais son nom apparaît déjà en tête de générique. Jean Simmons, dans l’un de ses premiers grands rôles, est la véritable révélation du film, mais c’est surtout Kathleen Byron, alias Soeur Ruth, et dont le nom est simplement inscrit en bas de l’affiche, qui occupe la majeure partie de l’espace. C’est en effet son personnage qui fera basculer l’intrigue. Sabu, interprète du jeune dignitaire indien, est également très présent, de même que David Farrar, incarnation des tentations masculines. Tout en bas sont mentionnées les productions Archers, fondées par les deux réalisateurs britanniques, et dont le nom est francisé pour l’occasion.
La construction de l’illustration souligne la confrontation de deux mondes, et leur perméabilité illusoire : une Inde exotique face à une Angleterre plus austère, anglicane et colonialiste. Le dessinateur a bien restitué l’importance et le poids du décor : l’Himalaya écrasant domine le monastère implanté au bord d’un précipice, double allégorie des tourments des religieuses. Sorti à point nommé en 1947, à l’heure où l’Inde recouvre son indépendance, Le Narcisse noir, outre sa réflexion sur le doute, la mémoire, la solitude, la frustration et le désir, constitue aussi un portrait en creux de la décolonisation britannique.