Affiches de cinéma, la magie de la restauration

Jacques Ayroles - Tania Capron - 29 mars 2022

Année après année, le très riche fonds d'affiches de la Cinémathèque s'accroît, au gré d'achats et de dons ou dépôts de personnes privées ou d'institutions. La collection compte aujourd'hui 24 108 affiches, françaises ou étrangères, anciennes ou contemporaines, pimpantes ou très fatiguées. Donateurs et déposants accordent leur confiance, motivés par l'assurance que ces documents précieux pourront être valorisés, conservés comme ils le méritent, voire remis en état. Focus en images sur quelques vieilles dames remarquables.

L'affiche de cinéma, objet patrimonial

Une passion désordonnée unit Henri Langlois, collectionneur compulsif, aux affiches de cinéma : tout autant que les bobines de films rares et les appareils anciens, tubes d'affiches et cartons à dessins s'accumulent dans les locaux de la Cinémathèque. Pour Langlois, tout est cinéma, histoire et patrimoine et, très tôt, il organise dans le hall de l'avenue de Messine des événements baroques associant projections, exposition de documents divers, débats...

Affiche de Loup (Lou Bonin ou Tchimoukov) pour l'exposition inaugurant le musée de la Cinémathèque en janvier 1945 (128 x 88. Loup © Loup)

Affiche de Loup (Lou Bonin ou Tchimoukov) pour l'exposition inaugurant le musée de la Cinémathèque
en janvier 1945 (128 x 88. Loup © Loup)

Si la plupart des documents que reçoit le service des affiches sont aujourd'hui en parfait état et immédiatement pris en charge selon les normes de conservation préventive en usage dans les institutions muséales, lui parviennent encore des affiches rares et anciennes (avant 1970), voire très anciennes (avant-guerre), qui exigent des soins tout particuliers.

En effet, les affiches de cinéma, matériel promotionnel par excellence, longtemps considérées comme mineures, y compris par les artistes qui les signent – ou pas –, ne sont généralement pas conçues pour durer. Imprimées plus ou moins professionnellement sur des papiers de plus ou moins bonne qualité, souvent peu maniables du fait de leur format, elles ont longtemps été manipulées et traitées avec une grande désinvolture. Exposées à tous les vents, scotchées ou punaisées ici ou là, pliées, déchirées, oubliées dans des cagibis ou les placards des salles de projection, elles moisissent, cassent, se décolorent, parfois irrémédiablement semble-t-il. C'est là que les doigts de fée des restaurateurs entrent en scène, opérant de petits miracles.

Avant/Après : The Garter Girl, d'Edward Griffith, restauré par Régis Fromager

Avant/Après : The Garter Girl, d'Edward Griffith, restauré par Régis Fromager
(Lithographie, 200 x 101 cm. D.R. Don Carleton University, Ottawa)

Étapes et éthique de la restauration

Comme tout élément patrimonial, les affiches qui entrent à la Cinémathèque font désormais l'objet de quelques mesures préventives destinées à les préserver des outrages du temps. En prémices le nettoyage, pour débarrasser le papier des acides qui le rongent peu à peu. Puis l'entoilage, grâce auquel il sera plus facile et plus sûr de rouler les affiches pour les conserver en réserve. Le service des affiches de la Cinémathèque fait entoiler 50 à 100 documents par an, en fonction des arrivages. Protégées par un doublage de papier japon ou « barrière », les affiches sont contrecollées sur de la toile de coton ou de lin avec des colles à base d'eau, neutres et, surtout, décollables. En effet, tous les gestes effectués dans la restauration doivent être réversibles, pour parer au risque de nouvelles altérations.

Kino Glaz de Dziga Vertov, 1924

Kino Glaz de Dziga Vertov, 1924
(102 x 77 cm. Alexandre Rodtchenko © ADAGP Paris, 2022)

Cas rare, cette affiche du film-manifeste de Dziga Vertov, Kino Glaz – Ciné-Œil, la vie à l'improviste, compte parmi les trésors de la collection. Jacques Ayroles, alors responsable du service des affiches, dessins et matériels publicitaires, l'exhume peu après son arrivée à la Cinémathèque en 1993. Signée de l'artiste Alexandre Rodtchenko, datée de 1924, l'affiche semblait avoir été totalement oubliée, bien à l'abri, roulée dans un tube. Une chance, car préservée des manipulations, elle reparaît dans un état remarquable et constitue aujourd'hui une des pépites de la collection. Le restaurateur Régis Fromaget, à qui elle est confiée, n'a guère qu'à lui prodiguer les soins élémentaires de nettoyage et d'entoilage. Même cas de figure pour l'affiche de l'exposition 3 quarts de siècle de cinéma mondial, inaugurant le Musée du Cinéma au palais de Chaillot en juin 1972. Illustrée d'une sérigraphie originale de Fernand Léger, l'affiche était dans un état remarquable. C'est une pièce très demandée pour des expositions hors les murs.

D'autres en revanche arrivent dans un état critique et une évaluation méticuleuse doit être effectuée pour déterminer ce qu'il convient d'en faire. Il faut déterminer l'intérêt du document, sa rareté, son prestige, et le bien-fondé et la possibilité de procéder à sa restauration, au plan patrimonial, au plan du bon sens et au plan du budget. La Cinémathèque se tourne alors vers des restaurateurs spécialisés qui, dans leurs ateliers, vont procéder à un état des lieux et chiffrer le coût des interventions.

Conservation sans restauration : Carmen de Jacques Feyder

Conservation sans restauration : Carmen de Jacques Feyder
(Jean-Adrien Mercier © ADAGP Paris, 2022)

Face aux deux superbes affiches de Jean-Adrien Mercier pour le Carmen de Jacques Feyder (1925), Jacques Ayroles décide de concentrer les efforts sur le joli couple Carmen-Lucas à cheval : il a établi que la Bnf possède un exemplaire en parfait état de la seconde, avec Lucas en picador face au taureau. Il est moins nécessaire de ce fait d'engager une restauration très coûteuse sur sa jumelle – dont le format gigantesque, 241 x 322 cm, est à lui seul un frein. Celle-ci sera donc nettoyée, stabilisée et entoilée, sans autre intervention sur les lacunes, un parti adopté parfois selon lequel le document d'archive et les aléas qu'il a connus prévalent sur l'objet d'art. Les traces de pliures dans lesquelles l'acide du papier a migré au fil des années, détruisant la couleur et le support lui-même, constituent presque un cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire.

Affiche d'Alain Cuny pour Feu Mathias Pascal de Marcel L'Herbier, 1925

Affiche d'Alain Cuny pour Feu Mathias Pascal de Marcel L'Herbier, 1925
(Lithographie, 127 x 165 cm. Alain Cuny © Alain Cuny, D.R)

Parti-pris moins radical pour les restaurations comme celles de l'affiche de Feu Mathias Pascal. Ici, le choix est fait de conserver les belles marques du temps, en l'occurrence le jaunissement du papier dans les plis de l'affiche. Une décision prise dans un souci de transparence historique et de respect de l'intégrité de l'œuvre, qui pousse à y toucher le moins possible et à ne pas chercher à gommer les interventions.

The Whisper Market de George L. Sargent, 1920

The Whisper Market de George L. Sargent, 1920, don de Carleton University.
Exemple de restauration « illusionniste » opérée par Bussière et Deknuydt en 2016 (Lithographie, 108 x 75 cm)

Deux grands chantiers, les fonds Carleton University et Albatros

Outre ces travaux qui constituent plus ou moins le quotidien du service des affiches, une dizaine d'entre elles font chaque année l'objet d'une restauration de haut vol. Parmi les dernières en date, l'affiche de The Combat, un film de 1916 de Ralph Ince, pionnier du muet formé auprès de Winsor McCay, acteur, directeur de Vitagraph et réalisateur de plus de 170 films, pour la plupart disparus. Ce « drame d'un mariage sans amour et de la foi inexpugnable d'une femme », selon les annonces de l'époque, a pour tête d'affiche Anita Stewart, « la plus gracieuse des actrices américaines », star du muet et productrice.

Elle est la dernière d'un lot de huit affiches américaines venues en 2015 de la Carleton University d'Ottawa. L'institution canadienne a choisi de confier à la Cinémathèque ces vénérables demoiselles, des raretés en bien triste état, sans exigence ni demande de contrepartie. Déchirées, maculées, elles présentent des lacunes importantes, mais le jeu en vaut la chandelle.

L'affiche de The Combat, avant restauration

L'affiche de The Combat, avant restauration (D.R)

C'est une « 6 sheets » américaine, grand format carré atypique de deux mètres sur deux, que son grand âge et des usages et stockages sans doute hasardeux ont mise à rude épreuve. Jacques Ayroles la confie au restaurateur Régis Fromaget qui dresse l'état des lieux suivant : « Doublée avec un papier cartonné brun. Très abîmée : usures, salissures importantes. Traces de colle en surface. Déchirures sur le pourtour. Lacunes importantes sur toute la hauteur à gauche et coin supérieur gauche. Lacune coin supérieur droit (30 x 20 cm). Moisissures ». Puis il établit la liste des interventions préconisées : « Décollage de l'affiche du doublage avec séparation des 6 feuilles. Gommage, suppression au maximum des traces de colle, traitement des moisissures. Intégration de papier similaire au ton du papier d'œuvre aux lacunes. Collage sur toile de coton débouillie (250 g/m2) avec un papier japonais intermédiaire (17 g/m2), mélange de colles d'amidon de blé et de méthylcellulose. Retouche à l'aquarelle sur les lacunes et les manques de couleur ».

L'affiche de The Combat, après quelque six mois de travail

L'affiche de The Combat, après quelque six mois de travail (D.R)

Autre chantier d'envergure, celui du fonds Albatros. La Cinémathèque possède une quarantaine d'affiches des studios, qui toutes ont fait l'objet d'une restauration sur mesure. Celle de Suzanne, de Raymond Rouleau et Léo Joannon (1932), est la dernière à avoir été restaurée.

L'affiche de Suzanne de Raymond Rouleau (1932) avant restauration

L'affiche de Suzanne de Raymond Rouleau (1932) avant restauration

Méticuleusement pliée en 32, cette affiche à l'impressionnant format (160 x 240 cm) compte probablement parmi les documents qui ont été sauvés de l'incendie survenu dans les locaux de la rue de Courcelles à l'été 1959. Les très fortes chaleurs avaient provoqué l'embrasement spontané des bien-nommés films flamme et l'affiche a été récupérée littéralement tronçonnée par le feu.

Les restaurateurs Brigitte Bussière et Thierry Deknuydt ont dû en préambule éliminer les bords noircis et procéder à une désacidification du papier, les incendies domestiques générant la production de gaz acides délétères. Ensuite seulement le réassemblage a pu être opéré, puis la restitution des manques sur le dessin.

Détail d'une lacune sur l'affiche non restaurée de Suzanne de Raymond Rouleau (1932)

Détail d'une lacune sur l'affiche non restaurée de Suzanne de Raymond Rouleau (1932)

La position de la jambe droite de l'héroïne est incertaine. Une zone en particulier posait problème : la position exacte du couple enlacé étant devenue illisible. La découverte providentielle d'une photo de plateau dans les collections de la Cinémathèque a permis de lever les doutes et de mener à bien la restauration.

Photo de plateau de Suzanne

Photo de plateau de Suzanne (Collection Cinémathèque française, D.R)

Les affiches françaises font l'objet d'un dépôt légal systématique à la BnF. Protection ultime, la numérisation a radicalement changé la donne : scannées dans des ateliers professionnels, les affiches deviennent des objets facilement manipulables, qui peuvent circuler rapidement et sans dommage, et peuvent être montrées avec un minimum de manipulation. Les 24 108 affiches référencées sur le catalogue Ciné-Ressources sont toutes numérisées et consultables dans l'enceinte de la bibliothèque. Et dans les réserves de la Cinémathèque, quelque 10 000 de plus attendent patiemment leur tour d'être traitées.

Affiche de Suzanne restaurée

Affiche de Suzanne, parfaitement restaurée
(Collection Cinémathèque française, D.R)


Sources

  • Laurent Mannoni, Histoire de la Cinémathèque française, Gallimard, 2006
  • Jean-Louis Capitaine, L'Affiche de cinéma, éd. Frédéric Birr, 1983
  • Emmanuelle Chevry Pébayle, Simona De Iulio, « Les collections d'affiches publicitaires numérisées : entre construction de l'offre et appropriations », in Les Enjeux de l'information et de la communication, 2015/2 (n° 16/2), pages 41 à 52

Jacques Ayroles a été responsable de la collection d'affiches à la Cinémathèque française de 1993 à 2022.

Tania Capron est médiathécaire à la Cinémathèque française.