Jean-Baptiste Siegel

Les bourses Jean-Baptiste Siegel

La Cinémathèque française a mis en place en 2008 une nouvelle initiative : l’attribution de deux bourses annuelles à des étudiants ou chercheurs désireux de travailler sur des sujets ou des thèmes de l’histoire du cinéma en relation avec nos riches collections.
Cette initiative, nous la devons à des donateurs privés.
C’est en mémoire de leur fils disparu, Jean-Baptiste, jeune cinéphile qui se destinait à des études de cinéma, que M. et Mme Siegel ont souhaité faire un don à la Cinémathèque française, institution en charge de la mémoire du cinéma.
Ensemble, nous avons eu l’idée de créer ces bourses portant le nom de Jean-Baptiste Siegel, permettant d’aider et d’encourager dans leurs études de jeunes cinéphiles et historiens du cinéma.
Jean-Baptiste Siegel écrivait sur les films qu’il aimait. Cet exercice avait pour lui une importance vitale ; il faisait lire ses écrits à ses proches, cela enrichissait son dialogue avec eux, nourrissait sa propre vision du cinéma. À lire ses critiques, on a le sentiment que tout lui était ouvert. Écrire sur des films, faire des films, écrire des films…
Cette initiative revêt une grande importance à nos yeux. Elle vient accompagner la Cinémathèque dans sa volonté de devenir un véritable centre de recherche sur l’histoire du cinéma, sous ses formes les plus diverses : histoire des techniques, histoire économique ou encore esthétique. Le rapprochement des collections films et « non film », suite à la fusion intervenue en 2007 entre la Cinémathèque et la BIFI, offre de nouvelles opportunités aux historiens et aux chercheurs, en leur permettant d’approfondir leurs études, documents à l’appui.
La poursuite de l’enrichissement de nos collections est également un élément essentiel de notre développement.
C’est avec beaucoup d’émotion que je tiens à remercier, au nom de la Cinémathèque française, M. et Mme Siegel pour l’aide généreuse qui nous a permis la mise en place des « bourses Jean-Baptiste Siegel ».

Serge Toubiana,
Directeur général de la Cinémathèque française

Objectif des bourses Jean-Baptiste Siegel

Télécharger la plaquette de présentation des Bourses Jean-Baptiste Siegel (PDF)

Participer au développement des études historiques sur le cinéma a toujours été l’une des ambitions, l’une des missions, de la Cinémathèque française. A cet effet, Henri Langlois avait créé une commission de recherches historiques qui fonctionna de 1943 au début des années 60. Les archives de cette commission sont conservées et consultables à la Bibliothèque du film.

En 2007, avec la création d’une direction du patrimoine au sein de la Cinémathèque française, la nécessité de réactiver la recherche historique sur le cinéma à partir des importantes collections films et non-film de la Cinémathèque est apparue comme une évidence. La décision a été prise de reformer une Commission de recherches historiques, associant universitaires, professionnels du cinéma, jeunes chercheurs et membres de la direction du patrimoine. Un conseil scientifique a été créé, sous la présidence du professeur Jean-Loup Bourget. Dans le même temps, un Conservatoire des techniques cinématographiques était mis en place, pour enrichir, conserver, valoriser les importantes collections techniques de la Cinémathèque et favoriser la recherche sur l’histoire des techniques cinématographiques. Un programme de conférences a débuté en janvier 2008.

Grâce à la générosité de la famille de Jean-Baptiste Siegel, la Cinémathèque française a pu compléter ce dispositif en créant deux bourses annuelles pour soutenir de jeunes chercheurs en histoire du cinéma désireux de travailler sur nos collections. Le premier appel à chercheurs a été lancé en mai 2008, pour l’année universitaire 2008-2009. Deux lauréats ont été sélectionnés parmi les quinze candidats avec le statut de chercheurs invités et se sont vu attribuer les bourses Jean-Baptiste Siegel. Quatre autres jeunes bénéficient d’une aide matérielle de la Cinémathèque et du statut de chercheur associé.
Ils seront encadrés par des responsables de la Cinémathèque française tout au long de leur parcours au sein de nos collections. Un nouvel appel à chercheurs sera lancé tous les ans au printemps.

Ainsi, grâce à la famille Siegel, la Cinémathèque remet au premier plan l’une de ses missions traditionnelles : être un lieu d’accueil et de dialogue entre les métiers de la recherche, du cinéma et de la conservation patrimoniale. Que Monsieur et Madame Siegel trouvent ici l’expression de notre profonde reconnaissance.

À propos de Jean-Baptiste

Le cinéma est, depuis 1992, omniprésent dans les « écrits » de Jean-Baptiste : journal personnel – moultes fois repris après des interruptions plus ou moins longues –, lettres ou cartes postales puis, plus tard, messages et participations à des forum de discussion lui permettaient d’exprimer ses sentiments sur tel ou tel film, tel ou tel réalisateur ou de confier ses projets pour « plus tard ».
Malgré leur abondance – Jean-Baptiste adorait écrire –, ces textes ont, pour la plupart, aujourd’hui disparu, Jean-Baptiste ne les destinant à aucune « postérité », tout en confiant en juillet 2001 :
« J’adore ce que dit Sartre sur le cinéma et j’aimerais écrire un jour quelque chose d’aussi passionné… sur ma passion. » Grâce à ses amis, et en particulier grâce à Julie Proust, confidente précieuse et admirée, un certain nombre de ces textes ont pu être conservés.


 

« Ce que nous demandons au cinéma, c’est l’impossible, c’est l’inattendu, le rêve, la surprise, le lyrisme qui effacent les bassesses dans les âmes et les précipitent enthousiastes aux barricades et dans les aventures ; ce que nous demandons au cinéma, c’est ce que l’amour et la vie nous refusent, c’est le mystère, c’est le miracle*. » Mystère du cinéma, Robert Desnos, in Œuvres, Gallimard.

Le livre se referme, privant de sa lumière le visage rêveur de l’adolescent.
La voix de Desnos s’éteint dans le bruissement des pages emprisonnées et laisse place à la voix traînante de Jean-Baptiste. Ses yeux bruns fixent le vide, à la recherche de mots pour matérialiser sa passion.
Ce que je demande au cinéma… Le jeune homme est tel un acteur débutant, dont l’enthousiasme timide peine à ressortir : son discours est laborieux. Des vagues de sentiments s’écrasent contre les rochers de son hésitation. Les idées en ressortent flétries, affaiblies, pâles reflets des pensées l’agitant. Les lacs bruns de ses yeux se troublent, volcans prêts à laisser ressurgir la lave des émotions. Mais les mots s’envolent dès qu’il les serre de trop près ou ne sont que faibles euphémismes de cet amour qui le dévore. Ce que je demande au cinéma… Ce que j’aime dans celui qu’on nomme, à juste titre, le septième art…

Mais comment emprisonner dans le Verbe une passion insensée ? Retracer par des mots cette excitation qui survient alors que les lumières s’éteignent dans la salle : une nouvelle nuit commence alors, étoilée de sourires rêveurs. L’homme redevenu enfant savoure la lente naissance de l’écran, contemple la neige fleurissant petit à petit d’images féeriques, nouveau Thomas le Rimeur enchaîné à une Titiana moderne pour un bouquet d’heures. Oh, comment décrire cet engourdissement du corps et ce soudain bouillonnement de l’esprit et des sens ? Cette chute brutale dans l’imaginaire de l’Autre, le cœur entraîné dans le vertige de la musique, dans une totale adhésion avec les acteurs se mouvant dans ce tableau animé : les larmes qui vous envahissent à la mort de l’un d’eux, et la colère face au traître, une colère doublée d’impuissance. Oh, ressentir pour ces héros de la tendresse, de la joie, de la peine ; sangloter et rire avec ces hommes fantoches et les regretter, comme on pleure un ami, quand le générique de fin se présente ! Comment vous décrire alors le retour à la réalité et à ses lumières criardes, et la joie qui illumine les yeux engourdis, pleins encore de cette poussière de fée distillée par le réalisateur ? Raconter le coton qui envahit vos jambes à la sortie de la salle, décrire les battements d’un cœur impressionné, les troubles de l’âme recréant à plaisir les scènes du film. Dire cette euphorie qui vous étreint, alors que vous murmurez à voix basse quelque réplique ; chuchoter honteusement les rêves d’actrices hantant vos nuits de leur douceur. Oser parler de toutes ces heures, oscillant entre rêves et réalité, où l’on joue à imiter les gestes du héros ou du méchant, campé devant un miroir, avec un drap pour tout costume et l’imagination pour seule scène…

Une flamme de folle passion danse dans ses yeux, et tente de brûler un voile de retenue pour s’épanouir dans son regard. Peu à peu sa langue se délit, perd de sa pesanteur ; Jean-Baptiste apprivoise les mots, les fait danser dans un chant d’allégresse. Son visage, rayonnant de joie, touche à la perfection ; ses yeux se perdent dans l’infini du rêve, et irradient la beauté de son monde intérieur, de son âme emplie d’images et de verbes colorés.

« Oui, dit-il avec ferveur, oui, nous demandons au cinéma le miracle, le mystère ! Et plus encore, nous lui demandons l’Ivresse : l’ivresse des paysages de l’Ailleurs, celle d’un voyage vers des terres familières mais de nouveau étincelantes. Nous lui demandons l’euphorie d’un futur lumineux, la reconstitution d’un passé brillant, ou encore un présent merveilleux, transfiguré, une évasion de quelques heures, loin du tracas de la vie quotidienne. Il nous faut des phrases dont les intonations passionnées seront éternisées, sans cesse répétées, et avec la même fougue. Nous avons trouvé notre navette vers l’Utopie, notre porte vers Faerie ; un nouveau conte aux personnages animés, propres à émerveiller l’enfant qui est en nous. Il nous faut ce retour à la passivité du tout-petit prêt à se coucher, qui attend une histoire pour mieux rêver ! Oui, il nous faut le rêve, l’aventure, le film pour nous évader, pour rendre à notre âme son allégresse, sa pureté. »

« Et il nous faut ces aventures, ces actes de bravoure, cet humour, cette danse des répliques pour oublier la vie, puis lui rendre sa part de beauté… Il nous faut, pour plus tard, des exemples à imiter, des héros à pleurer. Il faut qu’il ressuscite les mythes oubliés pour mieux nous transporter : revoir Arthur, Geneviève, Lancelot et leurs doubles souffrir une dernière fois d’un amour impossible, connaître d’autres chevaliers, approcher de près l’essence fay… Explorer les galaxies lointaines et les lointains passés, admirer d’autres lunes agitées. Oui, il nous faut un théâtre aux performances sublimées ! Car ce que nous demandons au cinéma, plus que tout, c’est le retour en notre jardin le plus secret : celui des émotions. Il nous faut rire, pleurer, crier ; il nous faut la peur, le doute, la joie. Des plus profondes souffrances aux plus grandes espérances, le cinéma doit nous permettre de repeindre la palette de nos sentiments, lui redonner sa vivacité d’autrefois. Nous demandons à l’art de communiquer sa grandeur aux sensations qui nous animent. Nous voulons une nouvelle école du plaisir… Un vol insensé dans les sphères des émotions, un réalisateur poète, un auteur voyant ! »

« Oui, ce que je demande au cinéma, c’est le temps d’évasion d’un autre regard, plus émerveillé et peut-être plus sage. Il lui suffit pour cela de colorer ma vie du vert d’Amélie, et la faire résonner de son rire. De m’offrir une seconde nuit propre à forger les plus beaux mystères… »

Derrière Jean-Baptiste, la porte grince. Un souffle de rêve passe dans la pièce et le fait frissonner, toute tirade interrompue. Son souffle s’apaise petit à petit, et la petite étincelle de passion qui, jusqu’alors, illuminait le visage du jeune homme se réfugie dans son infini intérieur. Jean-Baptiste baisse la tête, presque effrayé de cette crise d’enthousiasme effréné. Son regard virevolte, papillon enflammé, de ses revues de cinéma à sa vidéothèque. Pour s’arrêter sur une affiche au fond vert, la couleur de la magie. Accrochée au mur, une jeune femme vêtue de rouge cligne de l’œil malicieusement.

Pour le Jean-Baptiste en question, en espérant avoir apprivoisé du mieux possible la flamme folle dansant dans tes yeux de cinéphile… et en souvenir d’après-midi inoubliables.
Je t’ai écrit cette nouvelle au rythme de Yann Tiersen et de « ta » fabuleuse Amélie.

Julie Proust Tanguy
13 juillet 2001, in Petits portraits.

Julie Proust est devenue, grâce à Eyes Wide Shut, la grande « confidente artistique » de Jean-Baptiste ; c’était aussi l’une de ses amies les plus proches.