Les documents relatifs au recouvrement de l'avance sont consignés en fin de dossier, un peu pêle-mêle : bordereaux d'exploitation en salles de cinéma fournis par le producteur en justification des recettes, tableaux de suivi du remboursement établis par le Crédit National et acte de mainlevée. Cette dernière pièce permet d'identifier la date de remboursement final de l'avance : il consiste en la levée des actes inscrits au Registre public de la cinématographie conformément au contrat de prêt.
Le Registre public assure, comme le fait la conservation des hypothèques, la publicité des actes, conventions et jugements relatifs - entre autres - à la production cinématographique. L'inscription a un double effet : opposabilité à un tiers, et ordre des inscriptions, l'acte inscrit en premier l'emportant sur les actes inscrits ultérieurement, quelle que soit la date de ces actes. Le Registre public fournit donc un système de sûreté (nantissement sur la copie lavande, délégation de recettes) qui doit faciliter l'accès des professionnels au crédit : il se trouve ainsi au cœur du dispositif mis en place par le Crédit National. Dans les dossiers de La Ronde (Max Ophuls, 1950), la mainlevée ne figure pas, car l'inscription de l'acte au Registre a été prolongée au-delà du terme échu de trois ans, puis renouvelée avec régularité jusqu'en décembre 1989. A cette date, le prêt de 22 millions accordé trente-neuf ans auparavant n'avait en fait toujours pas été intégralement remboursé, ce qui interroge sur la présentation du film de Max Ophuls comme « l'un des plus grands succès commerciaux de l'après-guerre ».
Ce film fournit l'exemple de dossiers du Crédit National dont le gros volume est lié à un contentieux (la boîte B304 CN 1752 concerne ainsi le seul « recouvrement des années 1950 à 1951 » transmis à l'Agence judiciaire du Trésor en 1956). Ici, il s'agirait d'établir si les résultats d'exploitation de La Ronde ne permettent pas au producteur de solder le remboursement de son prêt « au plus tard le 2 mars 1953 » comme il s'y était engagé par contrat ou, au contraire, si la situation des Films Sacha Gordine, qui enchaîne les productions à un rythme rapide depuis sa création en 1945, pèse sur le film d'Ophuls. Entre juillet 1949 et août 1950, soit en l'espace d'un an, le Crédit National a financé cinq longs métrages produits par S. Gordine : Un Homme marche dans la ville, La Marie du port, Le Traqué, La Ronde et Juliette ou la clé des songes. Or, en 1954, le retard global dans le règlement des intérêts exigibles s'élevait à 9 206 711 F, et le chef du contentieux enregistrait bientôt une déclaration de faillite. Par la suite, le renouvellement de l'inscription au Registre public se poursuivait auprès de nouvelles sociétés, Dispafilm et Cofradis, cessionnaires successives des droits sur La Ronde. En 1959, lorsque le Crédit National fait état de détournement de recettes d'exploitation vers d'autres créanciers que lui, en contravention avec les inscriptions portées en 1950, la société des films Sacha Gordine n'est donc pas citée.