Maquette de costume pour « L'Héritière » (William Wyler, 1948)

26 mars 2018

Griffée de la plus belle signature d’Edith Head, cette maquette de costume grand format immortalise à l’aquarelle et à l’encre l’héroïne de L’Héritière (1948) dans la scène finale. C’est le premier film de la fameuse costumière de la Paramount avec William Wyler – avant Histoire de détective (1951), Un amour désespéré (Carrie, 1952), Vacances romaines (1953) et La Maison des otages (1955). Dans ce woman’s picture adapté du Washington Square d’Henry James, Olivia de Havilland incarne Catherine Sloper, la richissime héritière timide et maladroite, étouffée entre un père tyrannique (Ralph Richardson) et une tante frivole (Miriam Hopkins) qui s’inquiètent de la voir rester vieille-fille tout en l’empêchant de s’épanouir. Elle joue le jeu à fond, le sourcil broussailleux et la coiffure austère, face à Montgomery Clift dans la peau du prétendant sans le sou dont les motivations posent question. Edith Head a déjà habillé la comédienne pour Mitchell Leisen dans Par la porte d’or (1941) et À chacun son destin (1946) qui lui a valu l’Oscar de la meilleure actrice. L’Héritière lui offre sa seconde statuette et à la costumière, la première des huit remportées au cours de sa carrière.

L’illustration met fidèlement en scène le costume, présentant le personnage en situation, accessoires et effets d’éclairage inclus, jusqu’au reflet de la lampe à huile dans sa chevelure. Portée avec une parure de bijoux camés et conçue en mousseline de soie, la robe a aussi son histoire dans le film. Elle a été ramené de Paris, référence suprême en matière de mode et de féminité, lors d’un précédent séjour pour éloigner Catherine de son soupirant. Sa tenue lui vaut aussi un compliment au début de la séquence mais on ne dira rien de la raison pour laquelle elle décide de s’en vêtir afin de ne pas déflorer la fin. Le textile d’une blancheur vaporeuse tranche en tous cas avec le reste de son dressing. Une autre esquisse du même vêtement mentionne un « mauve pâle », révélant la teinte adoptée pour cette robe finalement bicolore, dont on verra le discret contraste à l’image en noir et blanc. Sur l’étude très aboutie conservée à la CF, le colori indiqué n’est présent que sur la ceinture.

Edith Head évoque les contraintes de la garde-robe de l’héritière qui évolue à mesure de son émancipation : « Les costumes n’étaient pas jolis. La difficulté était de rendre Olivia de Havilland peu attrayante. Les tissus étaient des serges rudes et des lainages raides, sans fantaisie au niveau de la couleur. Les encolures sévères. J’ai habillé Olivia comme une femme mûre, plutôt que comme la jeune femme qu’elle était, au milieu de femmes qui semblaient jeunes et gaies. Au bal, où les autres portaient du tulle et des organdis légers, elle était vêtue de lourde soie sombre, brodée en jet, un peu trop richement. Je devais rendre compte à quel point elle était mal à l’aise avec son image. Je ne pouvais pas le faire en lui donnant des vêtements inexpressifs ou laids, car son père était un homme riche et tout ce qu’elle portait était de la meilleure qualité ». Plutôt que d’ajuster parfaitement l’actrice, la costumière coupe délibérément un col un peu trop haut ou une manche un peu trop courte, non sans ajouter parfois un pli au mauvais endroit. « Si sa robe avait des volants, elle avait un peu trop de volants, combinés avec trop de rubans et un peu trop de dentelles, reflétant son goût peu sûr ». Edith Head met un point d’honneur à concevoir des costumes qui reflètent la vérité profonde de leurs personnages et assure fièrement : « si cela avait été un film muet, n’importe qui aurait pu raconter l’histoire simplement en regardant les costumes ».

Du costume design haut de gamme également du point de vue historique, sous la direction pointilleuse du cinéaste. « William Wyler est un tel perfectionniste. The Heiress se passait dans les années 1840 et 1850, si bien que nous avons dû composer avec deux périodes. Nous avions des crinolines, mais aussi des cerceaux, qui donnaient une silhouette légèrement différente. Et des scènes dans lesquelles Olivia de Havilland s’habillait, et où on la voyait en jupons, corsets et cache-corsets. Wyler m’a même envoyé dans un institut de mode à New York, qui disposait d’une grande collection, pour m’assurer que chaque bouton et chaque boutonnière étaient absolument conformes. Si je devais choisir un film que j’ai fait qui soit absolument parfait jusqu’à la plus petite boutonnière, ce serait The Heiress. Wyler a insisté sur ce point. Il n’y avait pas une seule fermeture Éclair, tout était fait avec des petits boutons ».


  • Type d'objet : Maquette de costume
  • Support : Aquarelle et encre sur carton
  • Auteur : Edith Head
  • Année : 1948
  • Pays : États-Unis
  • Format : 76 x 55 cm
  • Crédits : © Edith Head