2001 : L'Odyssée de l'espace Inventions

Déterminé à faire un film scientifiquement juste, Kubrick porte le plus grand soin aux décors et aux trucages, loin du futur de pacotille des autres films de science-fiction. En 1965, il recrute artistes traditionnels et talents novateurs pour la supervision des nombreux effets spéciaux : les vétérans anglais Wally Veevers et Tom Howard (1) et les jeunes Américains Douglas Trumbull et Con Pederson (2). Combinant trucages optiques et mécaniques, les effets spéciaux dirigés par le cinéaste multiplient les innovations techniques : l'usage intensif de la projection frontale pour les paysages de "L'aube de l'humanité" ou l'invention de moteurs pas-à-pas asservis à un ordinateur pour le déplacement des vaisseaux.

La centrifugeuse du vaisseau Discovery, imposante roue de 11,59 mètres de diamètre, donne lieu à des effets surprenants, comme le jogging de Poole dans son couloir circulaire. L'acteur semble défier les lois de la pesanteur en courant indifféremment en haut et sur les parois de ce décor motorisé tournant à près de 5 km/h. Un premier cadrage déroutant présente la roue à l'horizontale. Placée au-dessus de l'axe de la roue, la caméra pivote à 360 degrés avec le décor, qui, de fait, semble statique. L'angle qui suit nécessite une installation plus ardue : Poole poursuit sa course à la verticale comme un hamster dans sa roue, le sol défilant sous ses pieds tandis que la centrifugeuse tourne sur elle-même. La caméra, fixée sur une dolly, est suspendue à 6 mètres sur la paroi par un câble d'acier savamment dissimulé pour rester en position pendant que la roue tourne et pour garder la distance nécessaire avec le jogger. Kubrick dirige ces prises de vues délicates de l'extérieur grâce à un système de télévision en circuit fermé.

L'arrivée de Bowman sur Jupiter, à travers des couloirs de lumière, constitue une expérience visuelle originale. Avec pour seule indication l'illusion de traverser "quelque chose", Trumbull s'inspire de films expérimentaux de Jordan Belson et John Whitney. Il conçoit un dispositif d'animation image par image, développant le procédé de Slit Scan de Whitney (3). Une caméra de banc-titre munie d'un obturateur à fente filme avec un temps d'exposition prolongé un dessin coloré. Son déplacement pendant l'obturation crée des effets de filage et autres kaléidoscopes de formes abstraites.

(1) Veevers a débuté sur La Vie future (Things to Come, William Cameron Menzies, 1936) et a collaboré à Dr. Folamour (1964). Howard, responsable des effets spéciaux à la MGM, a travaillé sur Le Voleur de Bagdad (The Thief of Bagdad, Michael Powell, 1940) et sur Les Aventures de Tom Pouce (Tom Thumb, George Pal, 1958).

(2) Les deux animateurs viennent de Graphic Films, petit studio hollywoodien spécialisé dans la réalisation de courts métrages techniques pour l'armée de l'air et la Nasa. Ils sont les auteurs de To the Moon and Beyond, vu par Kubrick en 1964.

(3) Littéralement "balayage de fente".