Hollywood Noir
L'histoire du cinéma classique hollywoodien telle qu'on la connaît est un mythe désormais coulé dans le bronze ; elle a ses héros (Griffith, Hitchcock, Ford) et ses martyrs (Von Stroheim), ses stations de la croix (la « black list »), et ses légendes qu'il convient d'imprimer. La politique des auteurs, d'une part, et le récent déballage orchestré par les studios et les chaînes câblées comme TCM, ont fait découvrir les cinéastes majeurs, les films importants, même les films amusants. Mais il reste encore bien des recoins inexplorés, ou très mal connus. Les années 30 et 40 étaient une époque où les gens allaient en moyenne au cinéma trois fois la semaine, où les films passaient rarement plus de trois jours à l'affiche. Le nombre de films de série B et feuilletons produits est simplement sidérant. Depuis plus de quinze ans, Eddie Muller s'évertue de nous montrer qu'on n'en sait pas tant que ça sur ce qu'on croyait pourtant bien connaître – le film noir, par exemple. Avec ses livres, d'abord 1, puis avec les festivals qu'il programme à San Francisco et dans les centres majeurs du pays, il a fait découvrir ou réévaluer beaucoup de films à un public pourtant connaisseur. Et toujours avec le même principe : ne jamais se contenter des films disponibles, si souvent montrés. Avec sa complice Anita Monga, qui co-programme le San Francisco Film Noir Festival au Castro Theatre et est elle-même une sorte de détective de la copie disparue et du nitrate récalcitrant, Muller s'est évertué à dénicher des titres qui ne disaient rien à personne, des films insoupçonnés, ou crus perdus – mais surtout, il s'est mis à les montrer. Et lorsque qu'il s'est fatigué de les montrer en copies détériorées ou dans des formats insatisfaisants, il a commencé à collaborer avec les archives et les différents studios pour rendre les copies disponibles, ou en faire tirer de nouvelles. Au lieu de déplorer le triste état des choses qui fait que bien des studios restent encore réticents, ou sourds, à leur patrimoine, il s'est mis à mettre l'argent rapporté par ses festivals au travail. En créant la Film Noir Foundation, il a aussi forgé des alliances fécondes avec certains studios et les archives du pays, notamment l'UCLA Film and Television Archives : localiser les meilleurs éléments, et financer une restauration complète ou partielle. Plusieurs des films programmés ici proviennent de ces efforts conjugués : la version restaurée de The Prowler, de Joseph Losey, mais aussi le réjouissant Cry Danger, premier film de Robert Parrish, The High Wall et Loophole. Et aussi un film Allied Artists dont le négatif n'était sans doute jamais sorti de sa boîte depuis plus de 60 ans, The Hunted.
On peut prendre ce dernier film comme exemple du modus operandi d'Eddie Muller, pour qui les hiérarchies, artistiques ou autres, sont l'anathème absolu. Tout archiviste ou conservateur de cinémathèque fonctionne fatalement selon certains principes, et doit nécessairement naviguer avec des noms connus comme points cardinaux. On les voit donc mal s'exciter à la mention d' un film fauché mis en scène par l'aimable faiseur Jack Bernhard (Decoy), avec pour vedettes un ancien de chez John Ford et une vedette de patinage artistique londonienne. Dans The Hunted, un flic balance bien son grand amour à la justice et l'envoie bien en prison à Tehachapie (comme Brigid O'Shaughnessy dans Le Faucon maltais), sauf qu'au royaume de la perle noire l'histoire est concoctée par Steve Fisher, pas par Hammett, et ce n'est ni Bogart ni Mary Astor qui s'y collent, mais Preston Foster et Belita, la réponse de Monogram à Sonja Henie 2. Il n'y a pas de faucon, juste un butin et un avocat véreux. Il n'y a pas d'argent non plus dans cette production, ce qui nous vaut des scènes de dialogues d'une longueur d'anthologie, et un film qui semble se passer exclusivement dans des chambres et dans des halls d'hôtel. Et sur une patinoire de hockey ! Même chose pour Woman on the Run : un ancien acteur passé metteur en scène mais surtout connu pour ses films Disney (Norman Foster) ; une Ann Sheridan décatie ; et Dennis O'Keefe, ancien danseur de claquettes passé demi-sel ou agent du FBI chez des producteurs de second échelon comme Eddie Small ou Steve Broidy. Comment pourrait-on s'attendre à un joyau de film noir tardif qu'on croirait écrit par David Goodis ? (en fait, supérieur et plus « fidèle » à son monde que bien des adaptations de ses romans). C'est le type même du film orphelin : parents mal aimés, copie provenant d'un studio qui n'avait ni les droits dessus, ni le négatif, mais une unique copie 35 mm; et elle a depuis brûlé dans le récent incendie aux studios Universal.
Tous les films offerts ici n'ont pas ce genre de pedigree, mais ont été négligés pour des raisons diverses. Ils ne sont néanmoins ni kitsch, ni « si mauvais qu'ils sont bons », comme beaucoup de films culte. Tous présentent un intérêt, ou plusieurs, et surtout offrent du bon temps. Il y en a même qu'Eddie et moi avons programmés parce qu'on ne peut pas les voir en Californie, du moins dans de bonnes conditions. Mais pourquoi ne s'intéresserions-nous pas à Hell on Frisco Bay, quand le film a été tourné à San Francisco (la ville d'Eddie), et quand l'inégalable Paul Stewart y figure ? Encore une règle à surmonter : l'aversion du public pour un certain genre d'acteurs et d'actrices, qui s'est surtout communiquée par une critique française qui n'avait pas toujours accès à tous leurs films. Même un Alan Ladd vieillissant vaut parfois le coup, si Paul Stewart est son lieutenant. Qui a jamais vu George Raft jeune dans Rumba ? Vieux mais toujours efficace dans Red Light ? Virginia Mayo y joue une fille nommé Carla North, et nous sert toujours de boussole en cas de doute. Car c'est cette curiosité mal embouchée et un peu forcenée qui a conduit Eddie Muller à populariser des titres comme Loophole (la façon la plus originale de dévaliser une banque, sinon la plus convaincante), Abandoned (trafic de bébés volés à Los Angeles), ou The Mob (Le Sur les quais du pauvre, mais presque meilleur, avec Broderick Crawford). Il y a un film (City That Never Sleeps) dans lequel la ville de Chicago est le narrateur. Il y a aussi l'étonnant film de Felix Feist Tomorrow Is Another Day, qui commence comme un film noir et se termine comme Les Raisins de la colère. Et un des plus beaux Garfield, The Breaking Point.
Crash Out, un film anonymement écrit par Cy Endfield, est un festival à lui tout seul, une sorte de maison pour seconds couteaux du cinéma, mais pas une maison de repos. Avec William Bendix, Luther Adler, et William Talman (la sale tronche de The Hitch-Hiker, ici en prêcheur agité du cran d'arrêt) en fugitifs, il ne peut en être autrement. Filmé par le moins connu de tous nos Foster conjugués, Lewis R. Foster (dont on aimerait quand même bien voir Manhandled, avec Sterling Hayden. Une autre fois ?).
Chantage à la photo (Shakedown), camionneur revanchard (George Raft dans Red Light), douairières affabulatrices (Strangers in the Night), arnaqueurs à l'identité (Larceny), Zachary Scott en détective alcoolique à la recherche de son fils (Guilty Bystander, du parfait inconnu Joseph Lerner), les perles noires couvrent tous les plans, toutes les turpitudes, toutes les trahisons. On a même un Glenn Ford, le plus connu des acteurs de genre, dans le très peu connu Framed, un titre pourtant plus noir que l'encre, avec une femme fatale dure comme l'ongle. Peu connu parce que dirigé (de façon d'ailleurs très capable) par Richard Wallace. Évidemment, il y a des petits cailloux blancs dans tout ça : en général, si le dialogue est de William Bowers, c'est une perle noire ; officiellement ou non, parce que la prolixité de Bill Bowers était aussi prodigieuse que sa soif. Connu pour pouvoir transformer un scénario banal en film craquant, il a écrit cinq des films sélectionnés ici, dont Cry Danger, Larceny, The Mob et Abandoned. Il a souvent collaboré avec son ami André DeToth, et leur Pitfall est le plus grand film noir programmé ici – aussi le film le plus triste à la fois sur la mariage et sur l'adultère. Dick Powell, Lizabeth Scott, Raymond Burr – tiercé gagnant pour ce genre de choses. Pas John Wayne mais John Payne, pas Spencer Tracy mais William Bendix, pas Van Johnson mais Edmond O'Brien.
Il y a aussi deux films qui par leur ton et leur époque se distinguent des autres, mais qui font partie d'un genre qui n'a existé qu'entre 1931 et 1934, des films en réponse au désarrois de la Dépression, mais surtout à l'impuissance ressentie par tous devant la corruption généralisée. Dans Afraid to Talk et dans Okay, America (tout comme The Beast of the City – écrit par W.R.Burnett, l'auteur de Quand la ville dort – ou du moins connu Corruption), le héros, qu'il soit policier, journaliste ou autre, rend justice lui-même, quand tous les autres moyens échouent. C'est un autre genre d'histoires, mais un pessimisme qui débouchera aussi sur le film noir.
Philippe Garnier
- Dark City, The Lost World of Film Noir, The Art of Noir: the Posters and Graphics from the Classic Era of Film Noir, Dark City Dames: the Wicked Women of Film Noir ↩
- Dans une interview de 1974, Belita a révélé que le studio de Henie, Twentieth Century Fox, lui avait offert une énorme somme d'argent si elle renonçait à patiner à Hollywood. ↩
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Du 15 juin au 31 juillet 2011
Les films
- Abandoned Joseph M. Newman / Etats-Unis / 1949 Sa 2 juil 15h00 Je 28 juil 19h30
- Afraid to Talk Edward L. Cahn / Etats-Unis / 1932 Di 19 juin 21h00 Di 19 juin 21h00 Je 14 juil 19h00 Je 14 juil 19h00
- Allô, l'assassin vous parle Hubert Cornfield / Etats-Unis / 1959 Sa 2 juil 19h30 Di 31 juil 19h00
- Amants du crime (Les) Felix E. Feist / Etats-Unis / 1951 Je 16 juin 21h00 Lu 11 juil 19h30
- Amants traqués (Les) Norman Foster / Etats-Unis / 1948 Je 7 juil 19h00 Di 17 juil 21h00
- Among the Living Stuart Heisler / Etats-Unis / 1941 Di 3 juil 21h00 Ve 22 juil 19h00
- Bodyguard Richard Fleischer / Etats-Unis / 1948 Sa 16 juil 15h00 Lu 25 juil 21h30
- Colère noire Frank Tuttle / Etats-Unis / 1955 Sa 18 juin 15h00 Me 13 juil 21h00
- Corruption Cy Endfield / Etats-Unis / 1949 Sa 25 juin 21h30 Sa 23 juil 19h30
- Crashout Lewis R. Foster / Etats-Unis / 1955 Me 6 juil 21h30 Sa 23 juil 17h00
- Dangereuse enquête Harold D. Schuster / Etats-Unis / 1954 Di 26 juin 19h00 Je 14 juil 21h00 Di 24 juil 21h30
- Dans l'ombre de San Francisco Norman Foster / Etats-Unis / 1950 Je 16 juin 19h00 Ve 15 juil 21h30
- Dans la gueule du loup Robert Parrish / Etats-Unis / 1951 Je 7 juil 21h00 Je 28 juil 21h30
- Emprise (L') Jack Bernhard / Etats-Unis / 1948 Sa 18 juin 19h30 Sa 18 juin 19h30 Je 21 juil 21h00 Je 21 juil 21h00
- Étranger dans la cité (L') Robert Stevenson / Etats-Unis / 1948 Je 30 juin 19h30 Di 10 juil 17h00 Di 31 juil 21h00
- Feu rouge Roy Del Ruth / Etats-Unis / 1949 Sa 25 juin 19h30 Lu 11 juil 21h30
- For You I Die John Reinhardt / Etats-Unis / 1947 Di 19 juin 19h00 Me 20 juil 21h30
- Guilty Bystander Joseph Lerner / Etats-Unis / 1950 Di 19 juin 17h00 Sa 16 juil 21h00
- Haute pègre George Sherman / Etats-Unis / 1948 Di 10 juil 19h00 Me 27 juil 21h30
- Ils ne voudront pas me croire Irving Pichel / Etats-Unis / 1946 Di 3 juil 19h00 Sa 30 juil 21h30
- Implacable (L') Robert Parrish / Etats-Unis / 1951 Me 15 juin 20h00 Je 23 juin 19h00
- Johnny Stool Pidgeon William Castle / Etats-Unis / 1949 Di 10 juil 21h00 Sa 23 juil 21h30
- Mur des ténèbres (Le) Curtis Bernhardt / Etats-Unis / 1947 Me 6 juil 19h30 Di 24 juil 17h00
- Okay America Tay Garnett / Etats-Unis / 1932 Ve 17 juin 19h00 Di 17 juil 15h00
- Pitfall André De Toth / Etats-Unis / 1948 Ve 1 juil 21h00 Je 21 juil 19h00
- Rôdeur (Le) Joseph Losey / Etats-Unis / 1950 Ve 1 juil 19h00 Sa 16 juil 19h00
- Strangers in the Night Anthony Mann / Etats-Unis / 1944 Sa 18 juin 21h30 Je 23 juin 21h00
- Tigresse (La) Byron Haskin / Etats-Unis / 1949 Je 30 juin 21h30 Me 20 juil 19h30 Ve 29 juil 19h30
- Trafic en haute mer Michael Curtiz / Etats-Unis / 1950 Ve 17 juin 21h00 Di 17 juil 19h00
- Traqué dans Chicago John H. Auer / Etats-Unis / 1952 Me 13 juil 19h00 Ve 29 juil 21h30
- Traquée Richard Wallace / Etats-Unis / 1946 Sa 9 juil 17h00
- Un pacte avec le diable John Farrow / Etats-Unis / 1948 Sa 9 juil 19h30 Sa 30 juil 19h30
- Une balle dans le dos William Castle / Etats-Unis / 1949 Ve 8 juil 19h30 Lu 25 juil 19h30
- Web (The) Michael Gordon / Etats-Unis / 1947 Ve 8 juil 21h30 Me 27 juil 19h30
- Dans l'ombre de San Francisco Norman Foster
- Les Amants du crime Felix E. Feist
- Dangereuse enquête Harold D. Schuster
- Les Amants traqués Norman Foster
- Dans la gueule du loup Robert Parrish
- Afraid to Talk Edward L. Cahn
- Afraid to Talk Edward L. Cahn
- Dangereuse enquête Harold D. Schuster
- Dans l'ombre de San Francisco Norman Foster
- Among the Living Stuart Heisler
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Aries, British Film Institute, Cinémathèque Municipale du Luxembourg, Cinémathèque suisse, Columbia, Fox, George Eastman House, Hollywood Classics, MoMA, Moving Image Archives, UCLA, Universal- Peter Langs, Warner Bros., Eddie Muller, Philippe Garnier, Eric Spilker, Jacques Lourcelles, Mark McElhatten, Martin Scorsese, Thierry Frémaux (Institut Lumière).
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